Abidjan sera toujours Abidjan

Les soirées sont courtes et le niveau de vie a baissé. Si la ville a perdu son lustre d’antan, elle semble avoir conservé son sens légendaire de la fête.

Publié le 24 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

Les hostilités ont changé jusqu’au vocabulaire des Ivoiriens. « DG » ne veut plus dire « directeur général », mais désigne les « déplacés de guerre », entre 300 000 et 1,5 million d’hommes et de femmes chassés de la partie septentrionale du pays, occupée depuis le 19 septembre 2002 par la rébellion des Forces nouvelles. Arrivés les mains vides, ayant tout abandonné derrière eux, les DG ont bouleversé l’équilibre démographique d’Abidjan, aggravant les problèmes d’urbanisation des faubourgs de la ville, notamment Abobo, Anyama, Yopougon… Sous la pression des dépenses liées à ces nouveaux venus, qu’ils hébergent et nourrissent, le budget des ménages explose. Leur pouvoir d’achat est en chute libre.
Les Ivoiriens se paupérisent, mais la morosité économique ambiante n’altère en rien leur goût pour la fête. Les « maquis » et les débits de boisson se multiplient, loin des barrages militaires dressés sur les artères principales. Comme si l’ambiance s’était « décentralisée », afin de permettre à tous de s’amuser non loin de l’endroit où ils habitent. Les Abidjanais fréquentent beaucoup moins la légendaire « rue Princesse », célèbre pour sa concentration de « maquis » unique au monde, sise à Yopougon, la « Commune de la joie ». Certains lui préfèrent Marcory-Gasoil. D’autres Roland-Garros ou Boucantier.
En cette période de vaches maigres, la bière aujourd’hui la plus prisée est la Bock locale, rebaptisée Drogba, du nom du footballeur vedette. Elle séduit par son intéressant rapport quantité-prix : une bouteille de 1,5 litre pour 600 F CFA (moins de 1 euro). Conjoncture économique oblige, il faut acheter moins cher et consommer ivoirien. Pour le plus grand malheur des restaurants huppés et des commerces de luxe, qui ferment les uns après les autres.
Le soir venu, la musique rythme la rue. « Sexibulance » et « Festibulance » sont les deux sonorités du moment, l’expression des tendances du « coupé-décalé », qui a supplanté le zouglou. De nouvelles vedettes font recette, comme Doug Saga, DJ Rodrigue, Mulukuku DJ et Shanaka Yakuza. Certains titres à succès traduisent la situation du pays : « Article 48 », « David contre Goliath », « Embargo n’est pas Gbagbo » ou encore « On veut s’amuser, arrêtez vos fusils »…
La société ivoirienne n’a jamais été aussi politisée. En ce milieu du mois d’octobre, les discussions de salon, les conversations au bureau, dans les restaurants, au stade… évoquent toutes la déclaration finale du 40e sommet du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (6 octobre), ainsi que la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies devant régir l’après-30 octobre. Les parlements et agoras, ces « espaces de libre expression » qui quadrillent toute la partie du pays sous contrôle du gouvernement d’Abidjan, ne désemplissent pas. Le 8 octobre, la qualification inattendue des Éléphants aux phases finales de la Coupe du monde de football 2006 a suspendu les querelles. Mais pas pour longtemps. La victoire de l’équipe ivoirienne de football a ravivé le sentiment national, qui se renforce à mesure que la crise fait peser des risques d’éclatement du pays.
Les vêtements, gadgets et objets divers aux couleurs nationales ne se sont jamais autant vendus. Créée en 2004 pour investir ce créneau porteur, l’entreprise OBV (pour Orange Blanc Vert, les couleurs du drapeau ivoirien) a déjà écoulé des milliers de tee-shirts, chemises et polos frappés de l’étendard national, des chiffres « 225 » (le code téléphonique du pays) ou encore des inscriptions aux accents militants : « La Côte d’Ivoire debout », « J’aime la Côte d’Ivoire », « L’Éléphant est de retour »… Les Ivoiriens vont de chocs en traumatismes, dans l’attente de ce jour où, enfin, ils retrouveront cette quiétude qui faisait leur bonheur de vivre.

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