Touche pas à mon pays !

Alors que Flamands et Wallons se déchirent depuis plus de cent jours par médias interposés, les citoyens d’origine étrangère clament haut et fort leur attachement à l’unité du royaume.

Publié le 24 septembre 2007 Lecture : 6 minutes.

Pays modèle en matière d’intégration, de représentation des communautés étrangères, de plurilinguisme et de diversité religieuse, la Belgique est paradoxalement au bord de l’explosion. Les partis flamands et wallons ne parviennent toujours pas à s’entendre sur une déclaration de gouvernement et un programme de majorité dans la foulée des élections du 10 juin dernier, qui ont renouvelé la Chambre (Assemblée) et le Sénat. Une crise alimentée par le sentiment d’appartenance régionale mais aussi par le partage des richesses du pays.
Dans cette ambiance délétère, les Belges d’origine étrangère s’interrogent sur leur avenir. L’inquiétude va grandissant face à l’incapacité du vainqueur du scrutin, Yves Leterme, chef de file des démocrates-chrétiens et nationalistes flamands, de trouver un accord avec les libéraux et démocrates francophones. Dans bien d’autres pays européens, une telle alliance aurait été aisément scellée. Mais le système politique belge est ainsi fait que l’appartenance à une communauté, flamande ou wallonne, est tout aussi, voire plus importante, que les idées défendues. Ainsi, les partis flamands, toutes tendances confondues, affirment depuis la fin des années 1960 leurs revendications régionales. Plus nombreux démographiquement (58 % de la population) et plus riches (57 % du PIB, contre 24 % pour la Wallonie et 19 % pour Bruxelles-Capitale), ils ont imposé à leurs frères wallons cinq grandes réformes de l’État au cours des quarante dernières années.
Ces évolutions douloureuses ont rompu en partie le lien national en superposant sept niveaux de décision : l’État fédéral, les trois régions (Flandre, Wallonie et Bruxelles-Capitale) et les trois communautés linguistiques (néerlandaise, francophone et germanophone). L’État fédéral exerce les fonctions régaliennes (lois, justice, fiscalité, diplomatie, défense), les régions gèrent l’économie, et les communautés linguistiques ont pour domaines de compétence la langue et l’éducation. Sur le plan pratique, ce système de superposition des pouvoirs, avec le partage de certaines responsabilités, comme la police, est un vrai casse-tête et un facteur de corruption. Pas un mois ne se passe sans que la presse ne révèle de nouveaux détournements et trafics d’influence, notamment dans la ville de Charleroi, dont le bourgmestre socialiste, Léon Casaert, a été contraint à la démission en juin dernier.

Jouant sur le refus de la gabegie et de la mauvaise gouvernance, Leterme et ses alliés flamands demandent aujourd’hui une régionalisation accrue des prérogatives jusqu’alors régaliennes (dont la législation sur le séjour des étrangers et l’accès à la nationalité). Revendication rejetée par les partis wallons, unis pour la circonstance et forts du soutien de la majorité des citoyens de Bruxelles, à 80 % francophone, et de Wallonie. Il n’en fallait pas plus pour que certains leaders du Nord menacent à nouveau de proclamer l’indépendance de la Flandre. « C’est irréaliste car, avant cela, il faudrait qu’ils se mettent d’accord sur le statut de Bruxelles, en territoire flamand mais à majorité francophone, explique Mostafa Ouezekhti, un des premiers parlementaires belges d’origine maghrébine, aujourd’hui reconverti dans la coopération Nord-Sud. Nous sommes, comme toujours, dans le cadre de la surenchère politique. » Oui, mais la situation pourrait perdurer, car les Wallons campent fermement sur leurs positions : « Nous ne braderons pas les intérêts économiques des francophones. Nous sommes attachés au principe de solidarité entre les citoyens du royaume, explique le Belgo-Congolais Bertin Mampaka, échevin de Bruxelles. Pendant très longtemps, le sud du pays, riche de ses mines de charbon et des industries métallurgiques, a soutenu le Nord. Ce n’est qu’un juste retour des choses. »
Aux yeux des hommes politiques belges d’origine étrangère, le maintien de l’entraide entre les communautés est vital pour l’avenir du royaume. « Que vont devenir les politiques d’intégration, d’aide sociale, de sécurité, d’accès à l’emploi dans une Belgique scindée en deux ? s’alarme Mampaka. Je m’inquiète pour les communautés étrangères vivant en zone flamande. » En fait, la Wallonie a tout à perdre d’une fédéralisation des rentrées et des sorties fiscales. Avec un inquiétant taux de chômage de plus de 10 %, contre 5 % en Flandre, elle n’aurait tout simplement plus les moyens financiers de sa politique sociale. D’autant que la Flandre promet de baisser la fiscalité des entreprises dans sa zone, ce qui ne ferait que favoriser un peu plus l’attractivité et le dynamisme économique de la région.

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Autre sujet d’inquiétude : la régularisation des sans-papiers, au nombre de 100 000. Pour le moment, elle se fait au cas par cas au niveau fédéral. Le milieu associatif demande une refonte de ce système sur la base de textes clairs et identiques au Nord et au Sud, la mise en place d’une commission de régularisation et l’accès à la nationalité pour les individus dans l’impossibilité de se réinsérer dans leur pays d’origine, ou dont la santé justifie de rester sur le territoire belge. Flamands et Wallons n’ont pour le moment pas réussi à se mettre d’accord sur la manière d’aborder cette question lors de la prochaine législature.
Mis sous pression par le Vlaams Belang (extrême droite), les partis traditionnels flamands semblent de plus en plus enclins à durcir leur position, ce qui constitue un retour en arrière, la Flandre ayant favorisé ces dernières années l’intégration des communautés turque, nord-africaine et subsaharienne. « La situation des immigrés a beaucoup évolué, explique Emmanuel Biniamu, installé à Anvers et représentant de la communauté africaine de Belgique. Il y a moins de discrimination à l’embauche et pour l’accès aux lieux de distraction (boîtes de nuit, restaurants). Nous avons aujourd’hui des représentants politiques et des cadres issus de l’immigration, chose impensable il y a quelques années. La Flandre accorde des aides à nos associations pour nous intégrer, sans oublier la gratuité de l’enseignement, qui va jusqu’au don des fournitures scolaires et les multiples possibilités d’accès aux cours de langues. » Et de s’inquiéter d’un repli identitaire de la Flandre, alors que le combat militant commence à porter ses fruits : « Les Flamands sont intransigeants sur l’apprentissage de leur langue. Cette difficulté acceptée, les immigrés s’intègrent beaucoup plus facilement et n’ont pas de problème d’emploi. » Dans la pratique, les autorités flamandes ne leur laissent guère le choix en liant l’attribution des aides aux progrès linguistiques et à la réelle volonté de s’insérer dans le tissu économique.

Un modèle beaucoup plus rigide que dans le reste du territoire – les mauvaises langues prétendant qu’au Nord il y a assimilation et au Sud intégration – mais qui porte ses fruits. En Wallonie et à Bruxelles-Capitale, la majorité des premiers immigrants n’ont pas fait l’effort d’apprendre le néerlandais, mais les choses changent avec la multiplication des établissements dispensant des enseignements dans les deux langues. « Mes enfants, comme ceux de nombre de mes compatriotes, sont inscrits dans une école bilingue, précise Mostafa Ouezekhti. Comment penser aujourd’hui que l’on peut réussir en Belgique sans maîtriser parfaitement des deux idiomes ? »
Et si la réconciliation des Belges se faisait par l’intermédiaire de ses communautés étrangères ? C’est en tout cas le vu le plus cher de la députée et sénatrice socialiste Joëlle Kapompolé, de père rwandais et de mère congolaise, arrivée en Belgique à l’âge de 2 ans, qui tente de mobiliser les parlementaires des deux régions au nom de l’unité : « Il faut penser à l’intérêt général de ce pays et s’attacher à résoudre les problèmes de nos concitoyens sur le plan économique, de l’emploi, de l’insertion des jeunes, de la lutte contre les discriminations. » Un avis partagé par son compatriote Emmanuel Biniamu : « Les Maghrébins et les Subsahariens sont aujourd’hui fiers d’être belges et d’avoir réussi leur intégration. Personnellement, j’ai pu constater les effets de la division dans mon pays d’origine, la République démocratique du Congo. Nous ne sommes pas près d’accepter l’éclatement du royaume. »

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