Thierry Tanoh

En poste depuis juillet 2006, le directeur Afrique subsaharienne d’International Finance Corporation (IFC) – la filiale de la Banque mondiale consacrée au secteur privé – enregistre un volume d’activités en forte progression. Et ne compte pas en rester là

Publié le 24 septembre 2007 Lecture : 7 minutes.

Vos investissements en Afrique subsaharienne sont passés de 140 millions de dollars en 2003 à 1,4 milliard aujourd’hui. Sur quoi repose cette forte hausse ?
L’une de mes priorités a été de bâtir une équipe capable de faire croître nos activités. Pour cela, j’ai privilégié le recrutement de techniciens et d’experts africains, non pas pour africaniser le personnel par principe, mais parce qu’il est très important de connaître l’environnement dans lequel on travaille. Cela n’a pas été simple, notamment pour la zone francophone. Aujourd’hui, sur les trois cents collaborateurs du département Afrique subsaharienne de l’IFC, seuls quatre sont à Washington. Tous les autres sont sur le continent. Cela permet de proposer des produits adaptés au marché, qu’il s’agisse des produits financiers ou bien de l’assistance technique.
Ensuite, nous profitons d’un environnement macroéconomique favorable, caractérisé par la résolution de plusieurs conflits (RD Congo, Liberia, Sierra Leone), une hausse des cours mondiaux sur les matières premières et une forte croissance depuis plusieurs années. Aujourd’hui, le département Afrique subsaharienne de l’IFC est profitable et, pour la première fois, nous arrivons en deuxième position en termes de volume d’engagements au niveau mondial.

À ceci près que les pays où l’IFC est le plus engagée sont le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Cameroun, le Kenya et le Mozambique. Ce ne sont pas les plus démunis du continent ! Remplissez-vous votre rôle de levier au développement afin de lutter contre la pauvreté ?
Il est vrai que ces cinq pays arrivent en tête de nos engagements. Mais si vous ajoutez le Nigeria et l’Afrique du Sud, vous avez 50 % de l’économie africaine. Il est donc normal que nous soyons présents. Nous avons, par exemple, une très forte activité au Nigeria dans les banques pour accompagner la grande réforme engagée par les autorités pour restructurer et moderniser le secteur. Parallèlement, nous diversifions notre portefeuille, puisque nous sommes passés de neuf pays avec qui nous travaillions en 2004 à dix-sept pays en 2007. C’est le cas du Burkina, du Malawi, du Rwanda et du Togo. Notre objectif est ainsi de permettre aux pays les plus démunis de profiter de la croissance du continent.

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En vous appuyant notamment sur le rapport « Doing Business » [NDLR : l’édition 2007 sera rendue publique le 26 septembre], vous insistez sur l’environnement des affaires. Pourquoi ?
Un investisseur qui a la possibilité d’aller aussi bien aux États-Unis qu’en Amérique latine ou en Asie cherche des opportunités là où il a le meilleur retour sur investissement, et ce par rapport au risque encouru. Face à cette réalité, les États africains réalisent que la croissance économique et les emplois reposent pour une large part sur le secteur privé, et donc sur ses capacités à attirer des capitaux. Durant les vingt premières années qui ont suivi les indépendances, les économies africaines reposaient essentiellement sur le secteur public.
Par son discours et son accompagnement, l’IFC a contribué à cette évolution. Plusieurs pays ont fait de gros efforts pour faciliter la création d’entreprises, rationaliser les régimes fiscaux et, au final, améliorer le climat des affaires. Le 8 novembre, au Burkina, nous allons d’ailleurs distinguer cinq pays au cours d’une cérémonie officielle. Les choses vont vraiment dans la bonne direction. Et si à présent les matières premières renouaient avec un cycle baissier, l’Afrique ne serait pas épargnée mais elle serait plus à même de résister.

Si près de la moitié de vos investissements concernent le secteur financier, vos engagements dans les infrastructures se sont élevés à 185 millions de dollars sur l’année 2006. C’est donc votre deuxième priorité.
Oui, car quand vous êtes un homme d’affaires subsaharien, se déplacer n’est pas la chose la plus facile. Idem pour le transport des marchandises. Or, comme nous avons de petits pays, il faut intégrer leurs économies, accroître la taille des marchés et réaliser des économies d’échelle pour être plus compétitifs. Les pays à revenus élevés ou moyens ont en moyenne 92 kilomètres de routes pour 1 000 habitants, le chiffre est de 33 km en Afrique subsaharienne. La puissance électrique est de 1 308 watts par habitant en Europe. Hormis l’Afrique du Sud, le continent est à 33 watts.
Si on ne parvient pas à résoudre ce déficit énergétique, il sera impossible d’augmenter les capacités de nos outils de production. Et comme le secteur public ne peut à lui seul financer ces besoins, il est nécessaire de trouver des mécanismes grâce auxquels nos gouvernants et des partenaires privés puissent trouver des intérêts communs. L’exemple d’AES Sonel au Cameroun, où notre engagement s’élève à 89 millions de dollars, est l’exemple type de l’impact que le groupe Banque mondiale peut avoir dans ce domaine.

Toujours à propos du volet énergétique, où en est le projet du grand barrage d’Inga en RD Congo, qui pourrait à terme produire 40 000 mégawatts contre 709 actuellement ? Les bailleurs de fonds et Kinshasa semblent avoir du mal à s’entendre
Ce projet me semble déterminant non pas seulement pour ses capacités de production énergétique, mais aussi car il serait un signal fort en termes d’intégration régionale. Mais comme il s’agit d’un très gros projet, il faut procéder par phases. Nos collègues de la Banque africaine de développement (BAD) travaillent sur cette question. En ce qui concerne son financement, nos États souffrent d’un niveau d’endettement élevé et les ressources comme celles de l’Initiative internationale de développement (IDA) sont de plus en plus difficiles à mobiliser. Dans ces conditions, il est nécessaire de solliciter le secteur privé sous la forme d’un partenariat équilibré et à long terme. Pour Inga, les financements publics doivent faire levier pour attirer des capitaux privés et cela passe forcément par une participation des États de la région.

Et en Afrique de l’Ouest, quel projet vous semble prioritaire ?
Le gaz brûlé au Nigeria pourrait être utilisé pour produire de l’énergie. La Banque mondiale a déjà soutenu le Gazoduc reliant le Nigeria au Ghana, c’est une première étape. À présent, il faut valoriser cette ressource.

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En raison de leurs volumes, vos engagements touchent assez peu directement les petites et moyennes entreprises (PME). Comment pallier cette difficulté ?
Nous finançons les PME au travers des institutions bancaires classiques, et de plus en plus. À Madagascar, l’IFC utilise des fonds IDA pour fournir de l’assistance technique et apporter une garantie partielle aux établissements qui délivrent des prêts aux PME. Le même mécanisme sera mis en place au Sénégal. Grâce au Partenariat pour l’entreprise privée (PEP-Afrique), lancé en 2005, l’IFC ouvre aussi des lignes de crédit et propose une assistance financière. Cela a commencé au Burkina avec la Banque agricole et commerciale du Burkina (BACB) avec un accent tout particulier sur la microfinance. À Madagascar, au Kenya et au Mozambique, un Fonds de capital-risque dédié aux PME a été créé pour financer des projets allant de 50 000 à 500 000 dollars.
Par toutes ces initiatives, nous tendons à prouver que le retour sur investissement peut être bon sur les PME. Nous voulons aussi développer l’expertise financière des entrepreneurs car les banquiers ont besoin d’informations précises. Si on leur présente un compte de résultats fiable, ils sont prêts à prendre des risques.

En décembre 2006, vous avez émis votre premier emprunt obligataire en francs CFA sur la zone de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Quelle a été l’utilisation des 22 milliards mobilisés ?
Ils ont uniquement servi au financement d’entreprises et les souscripteurs ont été essentiellement africains. Nous envisageons d’émettre dans les mois à venir un emprunt similaire sur la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale (Cemac). Il devrait être concrétisé d’ici à la fin de l’année.

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Ne craignez-vous pas l’arrivée des capitaux chinois ? Pékin a annoncé vouloir délivrer 3 milliards de dollars en prêts préférentiels sur le continent d’ici à 2009. C’est beaucoup plus que vous
L’IFC n’est pas directement concurrencée car les financements chinois sont en général accordés aux États et non au secteur privé. Mais, d’une façon générale, si cet afflux de capitaux chinois se fait dans les normes de gouvernance préconisées par les institutions internationales, pourquoi pas ! Toutes les ressources qui visent à financer l’outil productif sont les bienvenues.

Et l’arrivée des fonds dédiés à l’Afrique dont la taille projetée cumulée dépasse les 5 milliards de dollars ?
C’est un très bon signe. Pour une fois qu’il y a un engouement pour l’Afrique, je ne demande pas mieux que d’avoir plus de concurrence. Le profil de l’Afrique s’élève. On ne peut que s’en réjouir.

Si ces fonds venaient un jour à se désengager, ne risque-t-on pas alors une sévère correction avec éventuellement l’éclatement de ce qui serait devenu une bulle spéculative ?
Ces fonds investissent surtout en capital. S’ils se retirent, cela veut dire qu’il y a des repreneurs, ou alors ils perdent de l’argent. Dans le private equity, leurs participations sont souvent minoritaires et ils contribuent à améliorer la gouvernance des sociétés. Les fonds voient en l’Afrique une capacité à générer des profits, il faut capitaliser sur cet effet de levier.

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