La Fondation Mo Ibrahim pourfend les idées reçues sur les migrations africaines
Le dernier rapport de la Fondation, consacré à la jeunesse africaine et intitulé « Migration faute d’emplois ? », donne un nouveau regard sur l’ampleur et les raisons de ce phénomène.
« Notre rapport montre que le regard sur les migrations africaines souffre de nombreux préjugés. » Pour l’ouverture de son forum, le Mo Ibrahim Week-end, samedi 6 avril à Abidjan, le milliardaire anglo-soudanais qui a fait fortune dans les télécoms a d’emblée dénoncé le décalage persistant qui existe de nos jours entre la réalité des phénomènes migratoires et la représentation qui en est faite, notamment dans les médias du Nord.
S’il ne fallait qu’un seul chiffre pour l’illustrer cette distorsion ? En 2018, les Africains ne représentent que 14,1 % de la population migrante dans le monde. Loin derrière l’Asie (41 %) ou même l’Europe (23,7 %). L’Égypte est par exemple le premier pourvoyeur africain de migrants devant le Maroc et la Somalie, mais n’apparaît qu’à la 19e place du classement. C’est le Mexique qui constitue de loin la part de la population migrante mondiale la plus importante avec 5 %, devant la Russie (4,1 %) et la Chine (3,9 %).
Un phénomène surestimé
Mieux, plus de 70 % des migrants africains élisent domicile dans un autre pays du continent. L’Afrique accueillant d’ailleurs elle-même une part croissante de la population mondiale de migrants (+ 67 % depuis 2000). Les Palestiniens (452 000) constituent la plus grande part d’immigrés non-Africains sur le continent, devant les Français (253 000) et les Syriens (210 000). La France est en retour le premier pays d’accueil des migrants africains (3,8 millions).
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Mais la perception de ces phénomènes au Nord est très éloignée des chiffres. « Dans certains pays d’accueil, explique le rapport, la perception de l’immigration est souvent exagérément émotionnelle et basée sur de fausses idées. » Le nombre réel de migrants est ainsi couramment surestimé de « trois à quatre fois » par rapport à la réalité. Un phénomène particulièrement prégnant en Europe, seul continent dont la population perçoit majoritairement l’immigration comme une menace.
Autre idée préconçue battue en brèche par les statistiques collectées par la Fondation, les ressortissants africains ne sont pas avant tout motivés par des raisons de sécurité, loin de là : « Près de 80 % des migrants africains s’exilent dans l’espoir d’une amélioration de leur conditions économiques et sociales. »
Miser sur la mobilité et le capital humain
Un phénomène qui n’est pas près de s’arrêter alors que la population croît de manière extrêmement rapide sans que le continent ne paraisse en mesure de procurer un nombre d’emplois suffisant aux nouvelles générations. En Afrique subsaharienne, 3 millions de nouveaux emplois sont créés chaque année quand il en faudrait 18 millions pour absorber l’arrivée des jeunes sur le marché du travail.
Pour résoudre cette équation, la Fondation Mo Ibrahim propose plusieurs axes de travail, comme « renforcer la mobilité géographique » et « maximiser le capital humain ».
Une meilleure gestion des migrations permettrait en effet de diminuer l’activité des réseaux criminels et l’enrôlement dans des bandes armées tout en offrant un cadre légal plus propice à l’intégration économique des populations.
Des efforts à faire en matière de visas
Le Pacte mondial sur les migrations adopté en décembre 2018 à Marrakech est d’ailleurs salué par le rapport comme constituant « le premier accord intergouvernemental dont l’intention est de couvrir toutes les dimensions de la migration internationale de manière holistique et exhaustive ». L’Afrique elle-même a déjà un gros effort à réaliser quand on sait qu’un citoyen africain a besoin d’un visa pour se rendre dans près de la moitié des pays du continent.
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Lors de l’un des événements les plus attendus du week-end, le tête-à-tête du samedi après-midi entre Mo Ibrahim et Aliko Dangote dans la salle plénière de l’hôtel Ivoire, le Nigérian, accessoirement homme le plus riche d’Afrique, a parfaitement illustré ce phénomène : « Vous savez, j’ai un assistant qui n’est pas africain et qui m’accompagne à chacun de mes meetings à l’étranger pour prendre des notes, a-t-il raconté. Eh bien fréquemment, lorsque nous voyageons en Afrique, lui est autorisé à rentrer sans formalités quand moi je dois remplir des formulaires de visas. » Une anecdote qui n’a pas manqué de déclencher les rires de l’assistance.
La démographie en question
Toutefois, le rapport de la Fondation relève des progrès notables sur cette question. Selon lui, « depuis 2017, 37 pays africains ont amélioré leur ouverture en matière de visas ». L’exemple le plus remarquable est celui de l’Éthiopie qui a annoncé en 2018 sa décision de libéraliser ses visas pour l’ensemble des ressortissants africains.
Sur le volet de l’amélioration du capital humain, la Fondation Mo Ibrahim recommande aux gouvernements de se concentrer sur trois apprentissages particuliers : l’acquisition de compétences dans les nouvelles technologies actrices de la 4e révolution industrielle, la formation vers des métiers non substituables par un robot et la formation continue tout au long de la vie.
Plus franc-tireur et moins politiquement correct que ses équipes, Mo Ibrahim, dans son discours introductif, a quant à lui soulevé une question qui n’apparaît pas dans le rapport, « la remise en cause de certains tabous africains, comme le nombre d’enfants par femme. ». « Si vous faites 7 ou 8 enfants, s’est-il exclamé, combien d’entre eux iront à l’école et combien d’entre eux finiront chez Boko Haram ? »
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