Les marques débarquent

L’arrivée des grandes enseignes étrangères bouleverse peu à peu le paysage des grandes villes. Et les habitudes des consommateurs.

Publié le 24 septembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Rue Didouche-Mourad, dans le centre d’Alger, deux ouvriers posent les derniers câbles d’alimentation électrique d’un petit espace commercial. L’enseigne rose déjà installée annonce l’ouverture imminente d’un magasin de vêtements Etam. Plus loin, dans la même rue, entre une pizzeria et une terrasse de café, un jeune homme repeint avec soin la façade blanche d’un magasin Yves Rocher ouvert il y a quatre ans. « Au tout début, les femmes se ruaient sur les parfums, explique une vendeuse ; aujourd’hui, c’est sur le maquillage. Encore peu utilisées il y a deux ans, les crèmes prennent de plus en plus d’importance, de même que le soin des pieds. » Le petit rayon « hommes » propose quant à lui parfums et après-rasage. « Nos clients ne sont pas tous des gens aisés », assure la commerçante.
Depuis l’arrivée des marques étrangères en Algérie, les habitudes de consommation évoluent à toute allure. En 2003, Yves Rocher avait été le premier magasin français à s’implanter dans le centre d’Alger. La marque compte aujourd’hui une bonne quinzaine de points de vente, dans toutes les grandes villes. On recense actuellement une trentaine d’implantations étrangères, mais beaucoup d’autres sont en préparation. Équipés depuis longtemps de paraboles, les Algériens connaissent déjà les marques. Désormais, ils peuvent donc s’approvisionner sur place, sans passer par la case Paris. Ce qui leur évite de pénibles retours avec valises pleines à craquer et excédents de bagages à l’aéroport !
Mais si ce marché de 33 millions de consommateurs est alléchant, le concept de franchise est encore loin de s’être généralisé, en raison du contrôle des changes en vigueur. « Les rapatriements de royalties ne sont pas autorisés, tempère Hind Benmiloud, présidente de la toute jeune Fédération algérienne de franchise, mais cela ne veut pas dire qu’ils soient interdits ! » C’est sur cette base passablement ambiguë que cette avocate de profession a, en 2004, conclu les premiers contrats de franchise avec les marques Carré Blanc (linge de maison), puis Geneviève Lethu (arts de la table). Un texte de loi est depuis longtemps en gestation. « Cela devrait aller très vite maintenant », estime Hind Benmiloud, dont les magasins connaissent un franc succès. En attendant, franchiseurs et franchisés « s’arrangent », par le biais notamment du transfert de « dividendes ».

« Il n’y a pas de surfacturation, jure notre interlocutrice pour couper court aux rumeurs, mais la question des royalties est de toute façon secondaire. La vraie difficulté, c’est l’insuffisance des locaux commerciaux disponibles, notamment dans l’Algérois, qui concentre 70 % de l’économie nationale. Et les loyers sont parfois plus chers que sur les Champs-Élysées ! » Dans le quartier très couru de Sidi Yahia, proche d’une zone résidentielle, il faut compter 3 000 euros par mois, payables avec un an d’avance. Le locataire est peu protégé. « Le propriétaire peut vous renvoyer quand il le souhaite. Et il n’est pas tenu de rembourser les améliorations apportées dans les locaux. »
Au mois de mars, un restaurant Quick s’est ouvert sur la place Émir-Abdelkader, à l’endroit exact où se trouvait le Novelty, le mythique café de l’Algérie coloniale. À l’évidence, ce voisinage d’un symbole de la mondialisation et de la statue du héros de la résistance anticoloniale ne trouble pas les Algérois : au début, le fast-food était littéralement pris d’assaut. Deux heures d’attente étaient parfois nécessaires pour acheter un hamburger ! On a parfois frôlé l’émeute. « Manger chez Quick à Alger, c’est comme passer les frontières de l’Europe sans visa », commente un étudiant. Victime de son succès et d’une grève des dockers marseillais, le restaurant a été en rupture de stock au bout d’un mois et n’a rouvert qu’en mai. L’inauguration d’une vingtaine d’autres restaurants est prévue d’ici à 2012.
La multiplication des enseignes de grande distribution est également très attendue. Plusieurs années après le démantèlement des Galeries algériennes et des Souks el-Fellah, une chaîne de magasins d’État, le groupe français Carrefour a été le premier à se lancer sur ce marché, en janvier 2006, en association avec Ardis, une nouvelle enseigne du groupe algérien Arcofina (hôtellerie, assurances, santé, télécommunications, services et promotion immobilière), que dirige Rahim Mohamed Abdelwahab, propriétaire de l’hôtel Hilton.

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Ce premier supermarché a une superficie de 3 000 m2. Au cours des premiers mois, l’engouement a été terrible : embouteillages, bousculades monstres à l’entrée Il a vite fait place à la déception. Les consommateurs qui espéraient voir débarquer en masse les produits français ont dû déchanter : 70 % des produits alimentaires proposés sont made in Algeria. « Le saumon de la marque Carrefour se vend toujours au trabendo [marché noir] », commente une diplomate. Mal situé dans une banlieue populaire, le Carrefour algérois ne dispose que d’un parking minuscule et n’est pas d’un accès très aisé, même si le tramway devrait bientôt s’y arrêter.
« Nous voulions avant tout découvrir le marché ; c’est un magasin école qui conservera sa vocation alimentaire », se défend l’actuel directeur général. Le premier hypermarché Carrefour aux normes de la grande distribution n’ouvrira qu’au mois de décembre, dans l’est de la capitale, près de l’hôtel Hilton. Situé dans un complexe de 25 000 m2 comportant également un parc aquatique, des restaurants, des appartements et un vaste parking, il disposera pour sa part d’une surface de vente de 7 000 m2. Et le groupe vient d’annoncer l’ouverture de dix-sept autres « hypers » d’ici à 2012, à Alger, Oran et Constantine.
Quelques initiatives locales font également parler d’elles. Fin 2005, le groupe Blanky a lancé sa propre chaîne de supermarchés, baptisée Promy. Mais entre difficultés financières et déboires judiciaires, son avenir paraît incertain. De son côté, le milliardaire Issad Rebrab, fondateur de Cevital, le premier groupe privé algérien, refuse d’abandonner le terrain aux grandes enseignes internationales. Pour offrir un débouché à ses produits alimentaires (sucre, huile), il a créé sous le nom de Tabaan sa propre chaîne de supermarchés. Également intéressé par l’hypermarché, il a fait appel au français Sealand pour former du personnel et créer tout un réseau. D’autres concurrents sont pressentis comme l’algérien Mehri (agroalimentaire, hôtellerie), mais aussi les français Auchan et Casino.
Mais si les belles boutiques changent l’aspect des rues algéroises, l’arrivée des marques n’est pas encore spectaculaire. « L’Algérie reste un pays de supérettes, relativise un diplomate. La plupart des implantations actuelles sont le fait d’Algériens. » Le pouvoir d’achat est-il en cause ? En partie. Un jean Levis coûte 5 000 dinars (environ 52 euros), soit près de la moitié du Smic (12 000 DA), et rares sont celles qui peuvent s’offrir une coupe chez Jacques Dessange, le célèbre coiffeur parisien, qui a ouvert un salon de 400 m2 à El-Biar, sur les hauteurs de la capitale. Les classes moyennes étant aujourd’hui contraintes de se serrer la ceinture, l’essentiel de leurs revenus est consacré aux dépenses alimentaires et de logement.
Quoi qu’il en soit, l’arrivée des grands distributeurs devrait contribuer à fluidifier les circuits, à régulariser les approvisionnements avec la création de centrales d’achats et d’entrepôts frigorifiques, voire à stabiliser les prix pendant toute l’année, mois de ramadan compris.

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