Le rêve africain de Castro

De l’expédition de Guevara au Congo à la victoire des marxistes en Angola, trois heures d’images passionnantes sur l’épopée des Cubains au sud du Sahara. Le film vient de sortir en DVD.

Publié le 24 septembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Première séquence : La Havane, juillet 1991. Sur un balcon, deux hommes saluent une foule de plusieurs milliers de personnes scandant des slogans, agitant banderoles et drapeaux. L’un des hommes porte une saharienne claire, l’autre une tunique vert olive. Ils se regardent, complices, sourient, avant de se donner une chaleureuse accolade. Le monsieur en blanc s’appelle Nelson Mandela. Pour son premier voyage à l’étranger depuis sa libération, en février 1989, il a choisi Cuba, où le reçoit Fidel Castro.
Deuxième séquence : les deux hommes sont dans un salon. Mandela, vêtu d’une de ses célèbres chemises amples, est debout. Face à lui, assis dans un canapé, en costume-cravate, Castro. À côté, une interprète. L’ancien détenu de Robben Island parle : « Avant toute chose, vous devez me dire quand vous viendrez en Afrique du Sud. Nous avons reçu la visite de tas de gens. Et vous, qui nous avez aidés à entraîner nos combattants, qui avez financé notre lutte pour qu’elle puisse continuer, qui avez formé nos médecins, etc., vous n’êtes jamais venu chez nous. »

C’est par ces moments forts que débute Cuba, une odyssée africaine, documentaire réalisé par l’Égyptienne Jihan el-Tahri. Trois heures d’images inédites, de témoignages recueillis auprès des principaux acteurs de la guerre froide et de l’intervention militaire cubaine en Afrique. La première partie du film traite essentiellement des rapports du Congo avec les Cubains à travers le personnage de l’Argentin Ernesto « Che » Guevara, compagnon de lutte de Castro.
Point de départ, le 30 juin 1960. Le Congo devient indépendant. À Léopoldville, aujourd’hui Kinshasa, Baudouin, roi des Belges, passe le flambeau. Son discours est plus que paternaliste. Joseph Kasa-Vubu, le président congolais, lui répond avec une courtoisie forcée. Le Premier ministre Patrice Lumumba, qui n’était pas prévu au programme, s’invite à la tribune. Son allocution est une charge en règle contre la colonisation belge. Un crime de lèse-majesté.
La crise congolaise vient de commencer. Les événements s’enchaînent : mutinerie de la Force publique, intervention de l’armée belge, sécession de la province du Katanga Le gouvernement congolais, naïf, demande aux États-Unis de venir l’aider à déloger l’armée belge. Mais le voyage de Lumumba à Washington est un fiasco : les Américains le trouvent « imprévisible et difficile ». Il se tourne alors vers Moscou. Le télégramme destiné à Nikita Khrouchtchev, le numéro un soviétique, tombe entre les mains du chef de l’antenne de la CIA à Léopoldville. Pour les Américains, Lumumba est communiste. Il faut l’éliminer. Un dessein également nourri par les Belges, qui n’ont pas oublié l’offense au roi.
À Cuba, où les barbudos sont au pouvoir depuis un an, l’actualité du Congo est suivie avec beaucoup d’intérêt. Parlant à la tribune des Nations unies, Ernesto « Che » Guevara évoque le « cas douloureux du Congo, unique dans l’histoire du monde moderne », qui « montre comment on peut bafouer, dans l’impunité la plus absolue, avec le cynisme le plus insolent, le droit des peuples ». En 1961, Lumumba est exécuté au Katanga. Trois ans plus tard, en décembre 1964, Guevara entreprend une tournée africaine et visite les capitales considérées comme révolutionnaires : Accra, Alger, Conakry, Brazzaville
Au Congo, les lumumbistes ont pris les armes contre le gouvernement. Les Cubains décident de les soutenir. Ce sera l’objet du second voyage du Che en Afrique. En avril 1965, avec la barbe en moins et incognito, il débarque, via la Tanzanie, accompagné d’une poignée d’hommes, sur le front est de cette rébellion, dirigée par Gaston Soumialot et Christophe Gbenye, et dans laquelle un certain Laurent Kabila fourbit ses premières armes. En fait de combattants, les instructeurs cubains trouvent des gens mal préparés, mal entraînés, mal encadrés et sans rigueur. Au bout de quelques mois, les internationalistes n’ont plus qu’un choix : plier bagage. Adieu le Congo.

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La deuxième partie du documentaire de Jihan el-Tahri est consacrée aux rapports entre Cuba et l’Angola. Les premiers contacts entre les deux pays remontent à 1964, lorsque le Che rencontre à Brazzaville les dirigeants du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), qui ont été chassés de Léopoldville. Résultat de cette rencontre, Cuba envoie à Agostinho Neto, le leader du MPLA, une division entière. Mais pendant dix ans, les colonnes mixtes angolo-cubaines, qui mènent la lutte à partir du Cabinda, ne connaissent aucune avancée territoriale significative. Si bien que, en 1974, au moment survient au Portugal la « révolution des illets », qui met fin à la dictature salazariste, le MPLA, face à ses frères ennemis du Front national de libération de l’Angola (FNLA) et de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), est en position de faiblesse militaire. En novembre 1975, une chose est claire pour tous : le pouvoir reviendra à celui qui contrôlera Luanda, la capitale.
Du nord, les forces du FNLA, soutenues par l’armée zaïroise, progressent vers Luanda. Du sud, celles de l’Unita, appuyées par les Sud-Africains, avancent dans la même direction. À Luanda, Neto, sans moyens de défense, court le risque d’être pris en étau. Ses ennemis ne sont plus qu’à 30 km de la capitale. Soudain, un éclair : il demande à Fidel Castro de voler à son secours. Le dirigeant cubain ne se fait pas prier. Il saute sur l’occasion de réaliser ce qu’il n’avait pu faire au Congo. Sans en référer à Moscou, comme nous l’apprend le film, il dépêche 35 000 hommes en Angola. La puissance de feu de leurs orgues de Staline est terrifiante. C’est la débandade dans les rangs du FNLA, de l’Unita, chez les Zaïrois et les Sud-Africains. Le 15 novembre, Neto, victorieux, proclame l’indépendance de l’Angola.
L’apparition des Cubains sur la scène angolaise aura beaucoup de conséquences : l’anéantissement du FNLA, la déroute de l’Unita, le désarroi et l’inquiétude des Sud-Africains. D’autant que le Congrès américain a décidé de ne plus donner le moindre sou à la Maison Blanche pour le financement des opérations secrètes contre Luanda. Il faudra attendre 1981 et l’élection de Ronald Reagan pour que la donne change. Grâce à un lobbying bien organisé par les Sud-Africains, Jonas Savimbi, le chef de l’Unita, devient la nouvelle carte américaine en Angola. Puissamment armé, il tient tête à l’armée angolaise et aux Cubains. Jusqu’à cette bataille de Cuito Canavale, en 1987, qui est un désastre pour la coalition angolo-cubaine. Castro envoie des troupes supplémentaires. Mais l’impasse est évidente pour tout le monde. Il faut dialoguer.

Ainsi commence une série de négociations entre Angolais, Cubains, Sud-Africains, Américains. Au cur du débat : le retrait des troupes cubaines d’Angola et de l’armée sud-africaine de Namibie. Voilà comment l’Afrique du Sud, affaiblie, accepte ce compromis, qui conduira à l’indépendance de la Namibie et, d’une certaine manière, à l’effondrement de l’apartheid. En 1988, les Cubains quittent l’Angola. Dix mille d’entre eux sont morts sur le terrain.
Jihan el-Tahri a mis trois ans pour réaliser ce film. Pourquoi ce sujet ? « J’estime que j’ai le droit de m’approprier l’histoire de mon continent, ma propre histoire, répond-elle. Si vous appelez cela du militantisme, pourquoi pas ? » Sa chance, c’est surtout d’avoir rencontré des gens « contents de parler d’une époque de rêve, de gloire pour eux ». Son documentaire est passionnant, même si le chapitre historique qu’il retrace a été particulièrement sanglant.

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