Le cas Koulibaly

Le président de l’Assemblée nationale, réputé homme de conviction, dit tout haut ce que d’autres pensent tout bas. Au risque de mettre le feu à la maison Gbagbo. Surtout depuis la publication dans la presse d’une tribune-réquisitoire qui lui est attribué

Publié le 24 septembre 2007 Lecture : 7 minutes.

L’idéologue du régime ivoirien serait-il en train de mettre le feu à la maison Gbagbo ? Officiellement, non, il ne se passe rien. Le 30 août, Mamadou Koulibaly s’est rendu au journal de 20 heures de la RTI (Radio Télévision Ivoirienne) pour clamer : « Je suis vice-président du FPI [Front populaire ivoirien]. Je reste au FPI. Il n’a jamais été question de partir du FPI ». Mais, en réalité, il y a bien une crise entre les deux premiers personnages de l’État ivoirien. Elle remonte à la signature de l’accord de Ouagadougou entre Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, le 4 mars dernier. Au début, Koulibaly essaie de faire bonne figure. Il reçoit chez lui Sidiki Konaté, le plus « gbagbo-compatible » des chefs des Forces nouvelles (FN). En avril, il se laisse entraîner par le « patriote » Charles Blé Goudé au « Meeting de la paix » à Yopougon, dans la banlieue d’Abidjan. Mais le cur n’y est pas. Publiquement, il pose ses conditions à la réconciliation : « D’abord le désarmement des FN, ensuite l’identification des électeurs ». Le 12 avril, il ne cache pas son hostilité à l’amnistie que signe Gbagbo en faveur de tous les auteurs d’infraction contre la sûreté de l’État depuis septembre 2000. Et le 30 juillet dernier, il « oublie » de se rendre à la cérémonie de la « Flamme de la paix », à Bouaké. Simone Gbagbo aussi.
Le 4 août, le numéro deux du régime sort du bois. Dans une tribune publiée par Fraternité matin et intitulée joliment « Le blues de la République », il dénonce « l’autorité de l’État qui s’effrite [] et le hors-la-loi qui prostitue l’ordre légal de la République » à cause du « bicéphalisme imposé à la tête de l’État ». Bref, l’auteur n’accepte pas Soro à la primature. Et il s’en prend à ses camarades de parti : « La logique du partage du pouvoir a conduit à une logique du partage des fonds. Seul le président de la République travaille effectivement à la sortie de crise. [] Les refondateurs [les partisans du FPI, ndlr ], qui sont eux aussi des humains, perdent leurs repères et se laissent aller, avec négligence, dans le piège de la mauvaise gouvernance. [] Le racket, la tricherie aux examens et concours, les pots-de-vin, les trafics d’influence, l’enrichissement rapide injustifié se déchaînent et se réinstallent comme au temps du parti unique. » L’attaque est sévère !

Aussitôt, la rumeur court Abidjan : « Mamadou Koulibaly va rompre avec Laurent Gbagbo. » Après son intervention télévisée de la fin août, le président de l’Assemblée croit que l’incendie est éteint. Mais tout repart le 11 septembre, quand le quotidien Le Patriote, proche du RDR d’Alassane Ouattara, publie une tribune intitulée, celle-là, « Le blues de la résistance », qu’il attribue à Koulibaly. À la différence du premier texte, celui-ci attaque personnellement le président ivoirien : « À force d’avoir voulu personnaliser la crise, Laurent Gbagbo se retrouve seul en première ligne. Son refus de sanctionner les prédateurs qui lui sont proches entame sérieusement [son] aura. [] Si Gbagbo ne sanctionne pas, c’est donc qu’il cautionne. » Sur la politique étrangère, le texte est encore plus mordant : « Recevoir Mouammar Kadhafi, s’entretenir avec Mahmoud Ahmadinejad ou poser sur une photo à côté de Paul Kagamé ne fait pas de Laurent Gbagbo un révolutionnaire. Il acquerra cette étiquette le jour où il aura le courage d’entreprendre des actions en adéquation avec les discours hâbleurs auxquels il s’adonne avec une efficacité déclinante. Ne pas réclamer le départ de la force d’occupation française Licorne et du 43e BIMA s’assimile à une veulerie. » Enfin, le coup de pied de l’âne : « La loyauté à la République n’implique en aucune façon le devoir de faire inconditionnellement allégeance à Laurent Gbagbo, n’en déplaise à l’occupant du palais du Plateau. Les tendances monarchiques du président sont dangereuses. »

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Qui a écrit ce brûlot ? Le Patriote du 11 septembre laisse entendre que c’est Koulibaly lui-même. Certes, la tribune est signée par une certaine Mahalia Nteby. Mais le journal révèle que derrière ce pseudonyme se cache Nathalie Yamb – anagramme de Mahalia Nteby. Or Nathalie Yamb, une Suissesse d’origine camerounaise qui travaille dans une compagnie de téléphonie mobile à Abidjan, est une intime du président de l’Assemblée. Le lendemain, Koulibaly dément : « Je ne suis pas Mahalia Nteby. L’article n’est pas de moi », déclare-t-il dans Nord Sud Quotidien. « Le texte se dément tout seul. Les lecteurs qui vont le lire ne vont pas comprendre que ce soit moi qui aie pu écrire quelque chose comme ça contre Laurent Gbagbo. »
Qui croire ? Le plus probable, c’est que s’il ne l’a pas écrit, le président de l’Assemblée l’a, à tout le moins, inspiré. Au départ, il devait paraître dans Le Courrier d’Abidjan, un journal de la « presse bleue » – pro-Gbagbo – dirigé par Sylvestre Konin, un proche de Koulibaly. Mais à la suite d’une querelle entre le directeur de publication et son rédacteur en chef, Théophile Kouamouo, qui ne voulait pas publier une telle diatribe et qui vient d’ailleurs d’être licencié, le texte a atterri sur les bureaux du Patriote, qui s’est fait un plaisir de le mettre à la une

Certes, ce n’est pas la première fois que Gbagbo et Koulibaly sont en désaccord. En janvier 2001, le chef de l’État ivoirien s’est inquiété des remous provoqués par son ministre de l’Économie et des Finances de l’époque. Quand ce dernier a fait jeter en prison un opérateur libanais soupçonné de fraude fiscale ou a lancé l’idée d’un « franc CFA flottant », il l’a habilement orienté vers le perchoir de l’Assemblée nationale. Un poste où l’on parle beaucoup, mais où l’on agit moins. En janvier 2003, quand Gbagbo a accepté d’envoyer une délégation à Marcoussis, en France, pour négocier avec les rebelles, Koulibaly a claqué la porte de la conférence en dénonçant « une tentative de coup d’État constitutionnel de la France ». Au fond, le personnage qui refuse Ouagadougou est le même qui rejetait Marcoussis. Un homme de principes, intransigeant sur les règles de droit et obsédé par la lutte contre « le pacte colonial ». Non à un accord avec des factieux, des rebelles à la loi. A fortiori si cet accord est conclu à l’étranger.
Mais ce qui est nouveau, c’est que le numéro deux du régime prend la plume pour expliquer son différend politique avec le numéro un. Chez un intellectuel de sa trempe, ce n’est pas rien. Quelles sont les vraies causes du désaccord ? D’abord, le professeur Koulibaly ne supporte pas les « grilleurs d’arachide », c’est-à-dire les prédateurs de l’État. L’agrégé de sciences économiques cultive un petit côté Savonarole ou Robespierre. Il se veut incorruptible. De fait, il est l’un des rares dignitaires du régime qui ne s’est pas enrichi – du moins, pas de manière ostentatoire – depuis sept ans. Quand il part en tournée politique, il doit demander les fonds nécessaires à la présidence, faute de cassette personnelle. L’homme est complexe. Ses amis le vénèrent pour sa probité morale. Ses adversaires le redoutent pour son fanatisme.

Autre problème, l’homme est déçu par son ami Laurent Gbagbo – même s’il se garde bien de le dire. Depuis l’accord de Ouagadougou, l’Assemblée est hors jeu. Les mesures essentielles de la transition, telles l’amnistie ou la mise à niveau des grades entre l’armée et les FN, sont prises par décret ou par ordonnance. Enfin, sur le plan stratégique, Koulibaly semble beaucoup moins optimiste que le chef de l’État ivoirien sur les chances de neutraliser Guillaume Soro. Au contraire, le professeur redoute que l’ancien leader rebelle ne transforme la primature en contre-pouvoir. « Avec ses financements et son propre plan, le Premier ministre cesse d’être l’administrateur du programme du président. Il devient son concurrent », écrit-il dans « Le blues de la République ». Sa marraine en politique, Simone Gbagbo, n’est sans doute pas loin de penser la même chose.
Va-t-on vers la rupture ? Pas sûr. Mamadou Koulibaly est un faucon qui ne fonce pas tête baissée. Jamais il n’attaque personnellement le chef de l’État. Il sait aussi qu’il manque de troupes. Élu de Koumassi, dans l’agglomération d’Abidjan, il n’a pas de véritable fief, ni à Napié dans le Nord, d’où vient sa famille, ni à Azaguié dans le Sud, où il a été élevé par son père métayer, un musulman pieux et rigoureux. Et à force de jouer à la statue du commandeur à l’intérieur du FPI, il ne s’est pas fait que des amis. Pour ses partisans, c’est « un homme vertueux et passionné ». Pour le journaliste et écrivain ivoirien Venance Konan, ce n’est qu’un « étudiant attardé ». Il n’en est pas moins l’une des figures emblématiques de tous ceux qui ne veulent pas se laisser sacrifier sur l’autel de l’accord de Ouaga et qu’il pourrait fédérer. En cela, ses prises de position dépassent une simple querelle d’amis. ?Mamadou Koulibaly, ou l’art de jouer avec le feu.

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