Putsch manqué au Burkina : « Le 17 septembre 2015, j’ai aperçu le corps sans vie de mon frère »

Aboubacar Yanogo était à proximité du lieu où son frère a été tué lors du putsch manqué de 2015 au Burkina Faso. Aujourd’hui président de l’association des familles des victimes et présent au procès, il souhaite que justice soit rendue.

De la fumée s’échappant alors que les gens protestent dans la région contre le récent coup d’État dans la ville de Ouagadougou, au Burkina Faso, le 18 septembre 2015. © Theo Renaut/AP/SIPA

De la fumée s’échappant alors que les gens protestent dans la région contre le récent coup d’État dans la ville de Ouagadougou, au Burkina Faso, le 18 septembre 2015. © Theo Renaut/AP/SIPA

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Publié le 10 avril 2019 Lecture : 4 minutes.

Alors que le procès des 84 personnes poursuivies dans le cadre du coup d’État raté de septembre 2015 au Burkina Faso se poursuit, c’est au tour des victimes de témoigner à la barre du tribunal militaire. Ce 10 avril, les audiences ont repris avec le témoignage de l’artiste Serge Bambara, alias Smokey, dont le studio de musique Abazon avait été détruit à la lance-roquette par les putschistes.

La tentative de coup de force perpétrée par l’ex-régiment de sécurité présidentielle (RSP), et dont les cerveaux présumés sont les généraux Gilbert Diendéré et Djibrill Bassolé, a fait 14 morts et plus de 250 blessés parmi les manifestants hostiles. Si le tribunal dirigé par Seydou Ouédraogo n’entendra que 60 d’entre eux, les premiers témoignages sont d’ores et déjà glaçants.

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Président de l’association des familles des victimes du putsch raté, Aboubacar Yanogo, aujourd’hui âgé de 47 ans, était à proximité du lieu où son frère, Salifou, a reçu la balle qui lui sera fatale. Il avait 35 ans. Joint au téléphone par Jeune Afrique, il raconte cette tragédie familiale et livre ses attentes concernant l’issue du jugement de cette affaire.

>>> À LIRE – Coup d’État au Burkina Faso : tout savoir sur le jour où le général Diendéré a pris le pouvoir

Jeune Afrique: Dans quelles circonstances avez-vous perdu votre frère lors du coup d’État raté de septembre 2015 ?

Aboubacar Yanogo : C’était le jeudi 17 septembre 2015. Je me rendais en ville, et mon petit frère, Salifou, était assis devant son garage, situé près de l’École nationale des douanes à Ouagadougou. Il m’a dit de faire attention aux tirs qu’il y avait en ville. J’ignorais que ce serait ses derniers mots. Après cet échange j’ai parcouru environ 500 mètres, et c’est là que j’ai entendu des crépitements d’armes derrière moi. L’ampleur des coups de fusil m’a obligé à trouver refuge à la station Shell, située près du rond-point des Nations unies, au centre de la ville.

La victime, d’après lui, était assise sur un banc. J’ai immédiatement pensé à mon frère

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J’ai vite été rejoint par un jeune homme qui fuyait les balles à motocyclette. C’est lui qui m’a informé qu’un jeune avait été abattu près de l’École des douanes. La victime, d’après lui, était assise sur un banc. J’ai immédiatement pensé à mon frère. J’ai démarré en sa direction pour en avoir le cœur net. À 50 mètres, j’ai aperçu le corps sans vie de mon frère gisant dans une marre de sang. En m’agenouillant pour soulever son corps, j’ai vu qu’une balle avait perforé son thorax.

Vous a-t-on aidé ?

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Un gendarme, de passage, s’est approché afin de vérifier l’identité de mon frère. Puis des éléments du RSP ont fait irruption, provoquant un mouvement de panique, les gens ont détalé ailleurs. Ils m’ont alors interpellé en ces termes : « Pourquoi les gens fuient et toi tu restes ? ». Quand j’ai expliqué qu’il s’agissait de mon petit frère, l’un d’eux a jeté un mouchoir sur son corps sans vie. « Tu as eu la chance », m’a-t-il répondu d’un ton menaçant.

Des personnes protestant contre le récent coup de force à Ouagadougou, au Burkina Faso, le jeudi 17 septembre 2015. © Theo Renaut/AP/SIPA

Des personnes protestant contre le récent coup de force à Ouagadougou, au Burkina Faso, le jeudi 17 septembre 2015. © Theo Renaut/AP/SIPA

Au fil des auditions, la vérité rejaillit

Qu’attendez-vous de ce procès ?

Au début du procès, nous avions pensé à tort que c’était un sabotage en raison de multiples blocages. J’avais même été jeté hors du tribunal sur un ordre du président. J’ai dû présenter mes excuses.

Mais au fil des auditions, la vérité rejaillit. Nous en savons désormais un peu plus sur les responsabilités des uns et des autres dans cette affaire.

Un flou subsiste pourtant sur les auteurs des crimes et du coup de force. Qu’en pensez-vous ?

C’est une question qui sera tranchée par la justice. Que ceux qui sont reconnus coupables soient condamnés sévèrement pour leurs actes. Et ceux qui sont déclarés innocents doivent être relâchés. À ce stade du procès, nous ne pouvons pas dire qui a commis tel ou tel crime.

Au fil des témoignages des accusés, nous avons davantage appris sur le déroulement des faits, et sur les actes posés par chacun. Certains coaccusés ont par exemple dit que l’adjudant-chef Éloi Badiel avait exécuté le putsch. Ce dernier s’en est défendu. Ce n’est pas quelque chose que nous comprenons, mais c’est au tribunal de trancher et de faire la lumière.

Notre souhait est que ce procès serve d’exemple et aboutisse à plusieurs condamnations

Êtes-vous satisfait de l’avancée des débats ?

Nous, les victimes, sommes pour l’instant satisfaits de la manière dont se déroule le procès. Nous avons confiance en la justice. Notre souhait est que ce procès serve d’exemple et aboutisse à plusieurs condamnations.

Que réclamez-vous ?

Nos avocats plaideront pour cela. Nous nous remettons à leurs conseils pour défendre nos intérêts. Nous n’exprimerons pas publiquement nos prétentions.

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