[Tribune] Plus que de l’article 102, l’Algérie a besoin d’une Assemblée constituante
L’Algérie tourne timidement la page d’Abdelaziz Bouteflika. Un peu plus d’une semaine après le départ de l’ancien président, le Parlement a désigné mardi le président du Conseil de la nation Abdelkader Bensalah à la tête de l’État, respectant à la lettre la Constitution. Pour autant, cette solution, aussi formelle soit-elle, ne risque pas de répondre aux objectifs de la révolte des Algériens.
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Nessim Ben Gharbia
Journaliste spécialisé en droit public.
Publié le 10 avril 2019 Lecture : 5 minutes.
« Algérie libre et démocratique, le peuple veut la chute du régime ! » entonnent depuis février des milliers d’Algériens. S’ils ont réussi à obtenir le départ de l’ancien président, en exercice depuis vingt ans, ils devront aujourd’hui trancher l’épineuse question de la transition. Faut-il suivre religieusement la Constitution, et garder par ricochet les normes qui ont construit un édifice désormais rejeté ouvertement par le peuple ? Ou bien faut-il saisir cette occasion pour jeter les fondements d’un nouveau pacte social, d’une nouvelle Constitution qui dessinerait les contours de l’Algérie de demain ?
>>> À LIRE – Démission de Bouteflika : la transition se fera-t-elle selon la lettre ou selon l’esprit de la Constitution ?
Si les Algériens réclament en masse le départ du « système », il serait naïf de réduire cette revendication au départ des ex-décideurs. Car un système (ensemble abstrait dont les actions sont coordonnées en fonction d’un but), ce n’est pas seulement les acteurs qui le composent. Ce sont surtout les institutions et des normes qui le caractérisent. Changer les hommes sans toucher à l’organisation des pouvoirs risque de rester un coup d’épée dans l’eau, qui n’aura pas de réel impact sur le fonctionnement de l’État. D’où la nécessité de changer les règles du jeu et d’établir une nouvelle répartition du pouvoir, en phase avec les aspirations des Algériens.
De l’importance du préambule
En 2018, l’Office national des statistiques confirmait une tendance déjà entraperçue depuis le début des années 2000 : la population algérienne est de plus en plus jeune. Ainsi, 54 % des Algériens ont moins de 30 ans. Or, l’Algérie continue d’être régie par une Constitution rédigée en… 1962, date de l’indépendance.
La philosophie du préambule constitutionnel est-elle en adéquation avec l’Algérie de 2019, jeune, libre et soucieuse se libérer du joug du régime de Bouteflika ?
Si chaque pays doit bien entendu s’inspirer de son histoire pour établir ses propres législations, une importance accrue accordée au passé peut conduire à un immobilisme. À ce sujet, l’exemple du préambule de la Constitution algérienne est édifiant. Dans sa première page, celui-ci évoque largement des aspects liés à la guerre de libération nationale, puis fait longuement l’éloge de l’Armée nationale populaire.
Or, le préambule est susceptible de jouer un rôle important dans l’interprétation de la Constitution dans le temps. En général, il livre la philosophie générale du texte et contient ce qui va être important pour les rédacteurs de la loi fondamentale. Cette philosophie est-elle donc en adéquation avec l’Algérie de 2019, jeune, libre et soucieuse se libérer du joug du régime de Bouteflika ?
La tentation du « monarque républicain »
Au-delà de la philosophie générale du texte, la Constitution de 1962 telle que modifiée à maintes reprises – le dernier changement datant de 2016 – confère un pouvoir quasi absolu au président de la République, au point d’en faire un « monarque républicain ». En effet, celui-ci est responsable de la Défense nationale, a le droit de grâce ou de remise de peine, nomme et met fin aux fonctions du Premier ministre, désigne le président de la Cour suprême, du Conseil d’État, du Conseil constitutionnel, les responsables des organes de sécurité, les walis… Il dispose du pouvoir (exclusif) d’appeler à un référendum, et peut décider de la dissolution de l’Assemblée populaire nationale et du Conseil de la nation.
>>> À LIRE – Algérie : Abdelkader Bensalah, un pur produit du « système » pour assurer l’intérim de Bouteflika
Une telle concentration de pouvoir ne peut être que néfaste pour la bonne organisation des pouvoirs publics. En 1748, Montesquieu avait déjà alerté, dans son essai L’esprit des lois, sur les dangers de confier toutes les prérogatives à une seule entité : « Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps, exerçait les trois pouvoirs : celui de faire les lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. » Avant de proposer une solution, quelques lignes plus tard : « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
La prochaine Constitution devra donc veiller à répartir équitablement le pouvoir entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire, pour éviter de reproduire les erreurs du passé.
Représentativité, consensus et transparence
L’assemblée constituante serait composée de représentants du peuple qui auront la charge de rédiger une nouvelle loi fondamentale. En parallèle de ces missions, elle peut désigner un président intérimaire et nommer un gouvernement transitoire, pour assurer la continuité de l’État, le temps de finir ses travaux.
Le peuple sera amené dans un premier temps à choisir ses constituants à travers des élections. Si ce choix n’offre pas toutes les garanties d’une représentation des aspirations populaires réelles, il peut être encadré pour aboutir à cette finalité. En effet, le scrutin proportionnel au plus fort reste peut amener à une assemblée relativement représentative des différentes sensibilités politiques et sociales du pays. Aussi, on peut imaginer qu’un certain nombre de sièges au sein de la future assemblée constituante seront attribués par tirage au sort, pour les classes qui n’auraient pas les moyens de se présenter ou de gagner des sièges lors du prochain scrutin.
Une chaîne de télévision parlementaire devra être créée afin de garantir un accès total à l’information
Au-delà de la composition de la future assemblée constituante, la future Constitution devra être adoptée avec une majorité qualifiée de ses membres, pour pousser au compromis entre les différentes forces en présence. Enfin, le texte sera soumis en dernier lieu à un référendum populaire.
L’avantage de la mise en place d’une assemblée constituante réside dans le fait que le débat portera sur des projets de Constitution, la nature du régime (présidentiel, parlementaire, mixte) ou de l’État (unitaire, fédéral, décentralisé). Par conséquent, ils ne tourneront plus autour des personnes, mais des projets de pouvoir pour les prochaines décennies. Le texte sera un sujet de discussion public, lors de sa phase de rédaction, ce qui permettra d’éveiller la conscience des citoyens. Une chaîne de télévision parlementaire devra être créée afin de garantir un accès total à l’information. Si ce processus est suivi, l’Algérie pourra alors regarder vers le futur avec confiance.
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