Soudan : face à la déferlante populaire, sur qui Omar el-Béchir peut-il encore compter ?

Largement concentré entre les mains de militaires, le pouvoir soudanais est aussi tiraillé par des divergences internes. Face au soulèvement en cours, un dernier carré de fidèles d’Omar el-Béchir tente de ramener à eux un mouvement islamiste qui s’écarte du pouvoir, de rassurer les chancelleries et de convaincre de leur capacité à améliorer la situation économique.

Des manifestants anti Béchir, à Khartoum, le 8 avril 2019. © Ali Osman Taha

Des manifestants anti Béchir, à Khartoum, le 8 avril 2019. © Ali Osman Taha

CRETOIS Jules

Publié le 10 avril 2019 Lecture : 5 minutes.

Autour d’Omar el-Béchir, un petit groupe d’hommes fait face à la crise politique qui, de larvée depuis des années, s’est transformée en une « Intifada » massive. Le bloc dirigeant est largement constitué de militaires, dont une partie a participé au coup d’État de 1989 qui a permis l’accession au pouvoir de celui qui tient le pays depuis près de trente ans.

Mais le camp des sécuritaires est loin d ‘être parfaitement uni. Il y a les gradés des Forces rapides de soutien, les chefs des organisations paramilitaires ou encore des milices – plus ou moins islamistes – qui sévissent dans le Darfour et le Kordofan, les cadres des services secrets ou encore ceux des Forces aériennes… Et tous n’ont pas le même agenda en tête.

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La participation du Soudan à la guerre menée au Yémen sous houlette de l’Arabie saoudite n’aurait ainsi pas été du goût de tous, au sein de l’armée.En février, le limogeage de l’ex-vice-président Bakri Hassan Saleh, qui avait participé au coup d’État de 1989, est l’un des symptômes les plus visibles de ces tensions.

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Le Palais présidentiel est le lieu de mises au ban brutales, parfois difficiles à expliquer, tant l’opacité règne au sommet de l’État, où l’on ne sait avec précision qui gère les relations avec la Russie, ou encore la redistribution des richesses issues du pétrole.

L’année 2018 a été celle des remaniements, des nominations et des départs. Ainsi du « réformiste » Ibrahim Ghandour, remercié en 2018, qui a été démis du jour au lendemain de son poste de ministre des Affaires étrangères sans explication. Ou encore de la mise à la porte d’Azhari Ibrahim Bassbar, en mars. L’entreprise publique qu’il dirigeait, la Sudanese Petroleum Corporation, chargée notamment de l’importation du pétrole dans le pays, a tout bonnement été dissoute.

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Du côté des « politiques », le soutien à Béchir s’est largement érodé dans les rangs des blocs nationalistes et islamiques. Des membres de confréries ont participé aux manifestations. Les « tourabistes » purs – du nom de l’ancien président Hassan Abdallah al-Tourabi, figure de proue d’un islamo-nationaliste puissant et mobilisateur au Soudan – ont pour certains basculé du côté de l’opposition.

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Désormais, il ne reste qu’un dernier carré de fidèles autour d’Omar el-Béchir, des militaires et des hommes d’appareil, qui tentent de faire face à la déferlante populaire. Portraits.

• Salah Gosh, le chef des « moukhabarat »

Après presque six ans de froid, si ce n’est de défiance, entre lui et Béchir, Gosh est, depuis 2018, revenu au centre de l’appareil sécuritaire. Il dirige les « moukhabarat », les services de renseignements, qui sont partout au Soudan. Le symbole de la NISS, pour « National Intelligence and Security Service », un œil, dit bien leur prétention à l’omniscience.

Salah Gosh s’emploie à un rapprochement avec les puissances occidentales. Aux Américains, il promet de l’assistance dans la lutte contre le terrorisme et aux Européens, une collaboration dans la lutte contre l’immigration dite irrégulière. En octobre dernier, il était à Paris, où il a rencontré  des élus, dont deux députés de la majorité, lors d’un dîner à l’ambassade.

• Kamal Abdul Maarouf, le chef des armées

Depuis 2018, c’est le nouveau chef des armées. Face aux manifestations, c’est un adepte d’un langage « dur ».

Lieutenant Général, Kamal Abdul Maarouf s’emploie, lui aussi, à chercher ou consolider des alliances à l’étranger. Peu de temps avant le soulèvement, il a rencontré l’ambassadeur et l’attaché militaire russes à Khartoum. Moscou étant un fidèle allié sur le plan militaire, des soupçons d’intervention militaire russe ont même plané au début du mouvement.

Dans le même temps, le militaire a aussi rassuré un représentant de l’État américain : Khartoum n’a pas oublié ses engagements en matière d’anti-terrorisme. Enfin, avec Gosh, durant l’année 2018, il aurait rencontré des représentants du mouvement islamiste qui oscillent entre soutien critique et opposition formelle.

• Ahmed Haroun, le politique impitoyable

Au Soudan, « al Moatamar », le Parti du Congrès national (PCN), est au centre de la vie politique. Le parti présidentiel, se revendique d’un héritage islamiste et panarabe. Aux premiers jours de la révoltes, plusieurs bâtiments et bureaux du parti ont été incendiés.

Son dirigeant numéro un est Omar el-Béchir mais, depuis le 1er mars, le président a donné la main à Ahmed Haroun. Ce fidèle, qui a participé au coup d’État de 1989, a été deux fois ministre. Surtout, il a montré au Kordofan où il a été gouverneur pendant des années – sa loyauté envers Béchir, au nom duquel il s’est montré impitoyable face à la rébellion. Ce qui lui vaut par ailleurs d’être poursuivi depuis 2077 par la Cour pénale internationale (CPI), pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.

• Abdel Rahim Mohammed Hussein, le conciliateur

Ce fidèle lieutenant de Béchir n’est plus, depuis 2018, gouverneur de Khartoum. Mais en tant que patron de l’Autorité nationale de l’investissement, en des temps troubles sur le plan économique, Abdel Rahim Mohammed Hussein a regagné en influence. Passé par les rangs des Frères musulmans et des Forces aériennes, deux groupes qui valent préséance dans la bureaucratie soudanaise, ou certains affichent une volonté de dialogue avec les manifestants.

« Les demandes économiques des manifestants sont légitimes » a ainsi déclaré, en substance, Moataz Moussa, cousin d’Omar el-Béchir, qui fut Premier ministre jusqu’en février 2019. Une ligne qu’Abdel Rahim Mohammed Hussein semble chargé d’incarner cette ligne de conciliation.

• Faisal Hassan Ibrahim, le diplomate de l’ombre

Ce cadre du Parti du Congrès national (PCN) est moins connu que bien des vieux caciques appelés à la barre par la Cour pénale internationale (CPI). Mais une simple lecture de la presse officielle soudanaise permet de comprendre que Faisal Hassan Ibrahim « l’assistant du président » joue un rôle important, notamment sur le plan diplomatique . Il est souvent en Égypte et en Éthiopie, et rencontre régulièrement des dirigeants sud-soudanais.

• Ali Osman Taha, le proche des milices islamistes

Ancien vice-président, Ali Osman Taha, entretiendrait encore des relations ténues avec le mouvement islamiste pro-gouvernemental. Son influence est toujours prégnante au sein du Parti du Congrès national.

Il se permet même de mettre en garde les manifestants, assurant que le régime dispose encore de la loyauté de groupes armés informels prêts à se sacrifier. Il a été longuement impliqué dans la sale guerre de Khartoum au Darfour, menée par procuration au travers de milices et de groupes combattants islamistes.

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