Faut-il avoir peur des tests ADN ?

La nouvelle loi sur la maîtrise de l’immigration suscite, à tort ou à raison, une tempête de protestations essentiellement morales.

Publié le 24 septembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Après des débats tendus à l’Assemblée nationale, le projet de loi sur la maîtrise de l’immigration a été adopté le 20 septembre, au petit matin, par les députés français. Critiqué jusque dans les rangs de la majorité, ce texte autorise « le demandeur d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois, [] ressortissant d’un pays dans lequel l’état civil présente des carences » à « solliciter son identification par ses empreintes génétiques afin d’apporter un élément de preuve d’une filiation déclarée avec au moins l’un des deux parents ». Autrement dit, un étranger résidant régulièrement en France peut, s’il souhaite faire venir auprès de lui l’un de ses enfants, recourir à un test ADN pour accélérer la procédure en établissant la preuve de sa filiation.
Cette disposition controversée – un député de la majorité la juge même « raciste et discriminatoire » – a été quelque peu atténuée dans sa mouture finale : elle ne sera mise en uvre qu’à titre expérimental, jusqu’au 31 décembre 2010. À cette date, le gouvernement devra soumettre au Parlement un bilan de son application. Brice Hortefeux, le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, a également décidé que les tests ADN seraient, en cas d’octroi du visa, remboursés par l’État. Dans la proposition initiale de Thierry Mariani, le député auteur de l’amendement, ils étaient entièrement à la charge du candidat au regroupement familial.
Même adoptée par l’Assemblée, la loi Hortefeux continue de diviser l’opinion. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de maîtriser l’immigration, mais un certain nombre de scientifiques et d’associations n’en sont pas moins embarrassés, voire choqués, par ce recours à une solution contraire à la tradition française. Pour l’instant, seuls les étrangers sont visés – ce qui est déjà beaucoup -, mais demain ? La loi de bioéthique de 1994 et l’article 16-11 du code civil n’autorisent les tests génétiques qu’à des fins scientifiques et médicales. Un père de famille n’a, par exemple, pas le droit, sans le feu vert d’un juge, de faire réaliser un test ADN pour s’assurer qu’il est bien le géniteur de ses enfants.
Ceux qui s’opposent aux tests génétiques pour des raisons éthiques s’indignent de ce « retour en arrière ». Directeur de l’Institut Cochin de génétique moléculaire, Axel Kahn explique : « En règle générale, les enfants procèdent biologiquement de la mère et d’un père. Mais il n’en est pas toujours ainsi. La femme peut être inséminée avec un sperme de donneur ; les enfants peuvent être adoptés ; le père légal peut être différent du père biologique sans que cela remette en question le lien familial. » Que fera-t-on, par exemple, si une femme désirant rejoindre son époux a trois enfants, dont un d’un père différent ? « La mère sera-t-elle contrainte d’abandonner cet enfant illégitime ? » s’interroge le Pr Kahn. Selon les généticiens, entre 3 % et 8 % des enfants français de souche sont adultérins. Ces chiffres sont sans nul doute beaucoup plus élevés dans le cas d’une famille dont le père réside depuis longtemps à l’étranger.
Reste que, scandaleux ou pas, les tests génétiques ont pour but essentiel de lutter contre la fraude et les défaillances de l’état civil dans certains pays d’immigration. Et que de nombreux autres pays occidentaux y recourent sans complexe. Une étude commandée par le Sénat et publiée au mois de juin confirme l’existence d’une « fraude documentaire endémique ». À la suite du « scandale des visas » au consulat de France à Moscou, en août 2006, le sénateur UMP Adrien Gouteyron a enquêté au Congo (Pointe-Noire), à Madagascar (Toamasina, Antananarivo), en Russie (Moscou, Saint-Pétersbourg) et en Turquie (Ankara, Istanbul). Il a constaté que les consulats de France reçoivent de nombreux dossiers de demande de visa (entre 30 % et 80 %, selon les pays) constitués de faux documents. Et que les pressions des élus, des cabinets ministériels et des acteurs économiques pour favoriser tel ou tel dossier ne sont pas rares.
Au consulat de Pointe-Noire, il relève « trop d’exemples de regroupement familial dont il avait été démontré que le lien de filiation avait été falsifié ou de jugements de naturalisation avec des identités usurpées ». À en croire son rapport, la pratique est également courante dans des pays comme le Sénégal, la RD Congo, les Comores et la Côte d’Ivoire.
Sur le terrain, en Afrique, les agents consulaires n’ont pas attendu le rapport Gouteyron pour tenter d’endiguer la fraude. En général, ils demandent aux services de l’état civil de certifier que le document présenté dispose d’une « souche » dans les registres de la commune de naissance du demandeur. Mais les agents de l’État ne sont pas tous irréprochables et transmettent souvent de fausses informations aux consulats. Conscients des limites du procédé, les Américains utilisent pour leur part les services d’un auxiliaire de justice assermenté, qui se rend dans les mairies et les centres d’état civil pour constater de visu l’existence des souches.
Tandis que l’opinion se focalise sur le recours aux tests ADN – qui doit encore être examiné par le Sénat -, d’autres dispositions de la loi Hortefeux sont passées complètement inaperçues. Ainsi, les demandeurs d’asile déboutés n’ont désormais plus que quinze jours pour saisir la Commission des recours des réfugiés, au lieu d’un mois auparavant. Par ailleurs, afin de prendre « la mesure de la diversité des origines des personnes », l’interdiction de tout recensement sur des bases ethniques a été supprimée. Et si l’ADN n’était finalement que l’arbre qui cache la forêt ?

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