Ernest Bai Koroma

Cinq ans après la fin de la guerre civile, la Sierra Leone porte à sa tête un homme venu du secteur privé qui entend gérer le pays, où tout est à reconstruire, comme une entreprise.

Publié le 24 septembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Sa seconde participation à la course à la magistrature suprême aura été la bonne. Le 17 septembre, la Commission électorale nationale sierra-léonaise a déclaré Ernest Bai Koroma vainqueur de l’élection présidentielle, dont le second tour a eu lieu le 8 septembre. Il a obtenu 54,6 % des suffrages, contre 45,4 % pour son adversaire, Solomon Berewa, vice-président et candidat du Parti du peuple de Sierra Leone (SLPP, au pouvoir). Le même jour, il a prêté serment en présence du président sortant, Ahmad Tejan Kabbah, qui lui a dit : « J’ai hérité d’un pays en faillite, déchiré par la guerre et en décomposition. Aujourd’hui, je vous lègue un pays totalement stable et qui marche. » Et Koroma en a profité pour rappeler les chantiers prioritaires qui ont été au centre de sa campagne : l’eau et l’électricité ainsi que « la tolérance zéro face à la corruption et la mauvaise gestion des ressources de l’État ». Cette victoire était attendue. Déjà, au premier tour, le 11 août, le leader du Congrès de tout le peuple (APC) était arrivé en tête, avec 44,3 % des suffrages. L’élection, émaillée d’incidents, a suscité beaucoup d’inquiétudes. En particulier sur le respect du verdict des urnes par les perdants et l’attitude d’anciens rebelles ou miliciens dans un pays où la paix reste fragile, quoi qu’en dise son ex-chef de l’État. Mais la rapide passation des pouvoirs est peut-être la preuve que les Sierra-Léonais ont gagné en maturité et ne veulent plus retomber dans les travers du passé.

À l’aube de ses 54 ans, Ernest Bai Koroma, de taille imposante, les cheveux poivre et sel, le verbe flamboyant, est sorti de nulle part. Militant de l’APC depuis les années 1970, sa véritable entrée en politique date de mars 2002 – tout juste deux mois après la fin de la guerre civile -, lorsqu’il est élu président de sa formation. À la tête de l’ancien parti unique, il vise d’entrée de jeu la magistrature suprême. Ambition démesurée, pense-t-on, pour cet illustre inconnu qui n’a jamais brigué le moindre mandat de sa vie et prétend affronter Ahmad Tejan Kabbah. Le scrutin de mai 2002, important, arrive après une décennie de guerre civile. Pour la population, cette paix est due à Kabbah, qui l’emporte haut la main avec 70 % des suffrages exprimés. Mais Koroma, le nouveau venu, se place deuxième avec un score honorable : 22,3 % des voix.
Dans son propre camp, la contestation s’affirme. Certains voient en lui un parachuté et un personnage sans envergure. Et ils n’hésitent pas à saisir les tribunaux pour le faire partir. Le 22 juin 2004, la Cour suprême tranche en faveur des adversaires de Koroma et il perd la présidence du parti. Un an et trois mois plus tard, la convention de l’APC le réélit et le désigne candidat à la présidentielle de 2007. Cette fois, ses adversaires se taisent et le reconnaissent comme le véritable patron. Il se fixe deux objectifs : gagner les législatives et s’asseoir dans le fauteuil d’Ahmad Tejan Kabbah.

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Rien, pourtant, ne prédestinait Ernest Bai Koroma, courtier en assurances de son état, à un destin national. Natif de Makeni, ville du Nord et fief traditionnel de l’APC, son parcours est ordinaire. Des études primaires chez les missionnaires, secondaires dans le secteur public et supérieures au célèbre Fourah Bay College, l’une des plus vieilles institutions d’Afrique occidentale, intégrée à l’université de Sierra Leone. Diplômé en 1976, Koroma commence une carrière d’enseignant dans le secondaire. Deux ans plus tard, changement de vocation et recrutement à la Sierra Leone National Insurance Company. Le temps de consolider son expérience, il se retrouve, en 1985, à la Reliance Insurance Trust Corporation (Ritcorp). Trois ans après son arrivée, il est promu président-directeur général, fonction qu’il occupera jusqu’à son élection au sommet de l’État.

Koroma, marié et père de deux enfants, personnage charismatique, a certainement bénéficié du fait qu’il n’avait jamais été aux affaires. Sa campagne, où le rouge – couleur de son parti – dominait, a drainé des foules entières. Pourtant, dans la mémoire collective, l’APC est synonyme de mauvaise gouvernance, de corruption, de népotisme, avant que l’armée ne le chasse du pouvoir, en 1992. Pour beaucoup, l’incurie de ce parti est à l’origine de la guerre civile. Bien que qualifié par ses adversaires d’homme de paille, sans idées ni personnalité, à la merci de la vieille garde de son parti, Koroma clame urbi et orbi qu’il incarne le changement. Et se présente en homme propre, faisant de la lutte contre la corruption sa priorité. Souvent paré des couleurs de l’APC (polo rayé rouge et blanc, Steston ou casquette vermillon sur la tête, mouchoir blanc à la main), il s’en prend systématiquement au gouvernement sortant. Selon lui, les dix ans de pouvoir de Kabbah sont « une image pathétique et pénible du déclin économique, de la corruption et de la mauvaise gouvernance ». Et son adversaire, Solomon Berewa, un démon déguisé. Son discours en agace certains, au point qu’en juillet, avant le premier tour de la présidentielle, il échappe à un attentat préparé par un ancien lieutenant-colonel de l’armée.

Ces derniers mois, les mots du nouveau président ont fait mouche. Ils ont surtout été le prolongement de la volonté d’une majorité de ses compatriotes déterminés à tourner la page Kabbah. D’où leur participation massive au vote. Au premier tour, l’ex-courtier en assurances a bénéficié de la dissidence d’une personnalité importante du SPLP, Charles Margai, fondateur du Mouvement populaire pour un changement démocratique (PMDC), qui appelle à voter pour lui au second tour. La victoire d’Ernest Bai Koroma est totale, car l’APC est majoritaire à l’Assemblée nationale, avec 59 députés sur 112. Pendant sa campagne, il n’avait cessé de dire : « Nous voulons de nouvelles mains aux leviers du pouvoir. » Il lui reste maintenant à transformer sa victoire en bien-être pour ses compatriotes. Et à diriger la Sierra Leone comme « une entreprise ».

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