Contrats libyens : miracle ou mirage ?

Les entreprises étrangères se bousculent aux portes de la Libye, qui multiplie les appels d’offres. Sur le terrain, elles se heurtent à bien des obstacles.

Publié le 24 septembre 2007 Lecture : 5 minutes.

La Libye renouvelle ses infrastructures à grande vitesse. En un an, le budget d’investissement est passé de 8 milliards à 12 milliards de dollars, largement couvert par les réserves en devises. Celles-ci dépassent 60 milliards de dollars, soit près de cinq ans d’importations ! Les autorités ont en outre fixé une contrainte à la plupart des projets : ils doivent être achevés au 1er septembre 2009, pour le quarantième anniversaire de la « révolution ». C’est à cette date que doit par exemple entrer en service le nouvel aéroport de Tripoli, dont la capacité passera à 9 millions de voyageurs (20 millions à terme). Ce sont le turc TAV et le brésilien Odebrecht (également adjudicataire du nouveau périphérique de Tripoli) qui réaliseront les aérogares, pour un montant de 300 millions de dollars. Le reste des travaux a été confié à Vinci (France), Strabag (Allemagne) et Taisei (Japon). Coût total du projet : 1 milliard d’euros !
La capitale change de visage, avec des parcs et des pelouses. Depuis deux ans, les Libyens peuvent emprunter à taux cassés et se font construire des maisons. Poussés par la libéralisation des importations, une faible taxation et des tarifs douaniers dérisoires, ils ouvrent leurs propres commerces un peu partout. Les besoins en électricité montent en flèche, d’où la construction de nouvelles centrales à cycle combiné, dont les deux dernières ont été attribuées au sud-coréen Daewoo. L’extension des réseaux de téléphonie est presque achevée, tout comme la connexion Internet du pays. Cette dernière repose en grande partie sur la réalisation d’une liaison dorsale de 7 000 km en fibre optique que le franco-américain Alcatel Lucent et l’italien Sirti ont remportée l’an dernier pour 160 millions d’euros. Parmi les autres grands contrats figurent aussi des usines de dessalement, dont les trois premières sont construites par le groupe français Sidem pour 230 millions d’euros, et des projets pour des équipements de défense, qui concernent notamment EADS (près de 300 millions d’euros).

Suprématie anglo-saxonne
Compte tenu du nombre d’appels d’offres et de la rapidité avec laquelle ils sont traités, la situation fait avant tout le bonheur des consultants internationaux, à l’instar de Booz Allen Hamilton (eau), du britannique Cera (pétrole) ou encore, et surtout, de l’équipe du cabinet Monitor, invitée par Seif el-Islam Kadhafi. Elle accompagne la « Nouvelle stratégie économique » du pays et a élu domicile dans l’une des cinq tours du quartier d’affaires de Dhat el-Imad, à Tripoli. Monitor a notamment participé à la création, en février, du Libyan Economic Development Board, chargé de réformer le pays. Un « rouleau compresseur anglo-saxon » semble bel et bien en marche pour la conquête des meilleures parts du gâteau. C’est d’ailleurs l’américain Dow Chemicals qui a remporté en avril dernier la modernisation du complexe pétrochimique de Ras Lanouf (100 millions de dollars), en partenariat avec la National Oil Company (NOC). C’est aussi un américain – le fonds Colony Capital – qui a racheté la compagnie de distribution pétrolière Tamoil, pour 5,4 milliards de dollars. C’est enfin British Petroleum qui, après trente-trois ans d’absence, a décroché deux permis de prospection en juin dernier. Le secteur des hydrocarbures connaîtra bientôt une nouvelle vague d’investissements : trente-cinq compagnies internationales ont été présélectionnées pour un quatrième appel d’offres, consacré pour la première fois au gaz. Ouverture des plis en décembre prochain.

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Patronage et clientélisme
La Libye est-elle devenue un nouvel eldorado, la destination préférée des entreprises et des investisseurs étrangers ? Les opérateurs en place appellent plutôt à la prudence. L’économie est encore largement centralisée, trop dépendante de ses hydrocarbures, qui représentent 95 % des exportations, et son secteur bancaire fonctionne de manière archaïque. Le cadre juridique est imprévisible et, malgré la solidité financière du pays, la notation Coface ne décolle pas d’un faible C, comme pour l’Éthiopie ou Madagascar. Sur le terrain, on constate de fréquents retards de paiements, mais toutefois peu d’impayés. La prise de décision est également un problème majeur à tous les échelons, tant il est difficile d’identifier les responsabilités. « Dans une entreprise, le vrai décideur n’est pas nécessairement le PDG », ajoute un entrepreneur français. Les directeurs et les interlocuteurs changent régulièrement ; la politique économique demeure floue et des luttes d’influence au sein du pouvoir opposent les chantres de l’économie libérale aux tenants du Livre vert, que l’on se refuse encore à désavouer.
Aux côtés du vice-Premier ministre Abdulhafidh Zlitni, ancien ministre du Plan, le nouveau chef d’orchestre des grands projets semble être un fonds d’investissements public créé en 2006, la Libyan Investment Corporation (LIC), dirigée par Hamed Arabi el-Houderi et dotée d’une enveloppe évolutive de plusieurs dizaines de milliards de dollars. La LIC est elle-même un holding chapeautant d’autres fonds spécialisés qui canalisent la coopération avec l’étranger. Parmi les plus significatifs figurent le Fonds de développement économique et social, chargé entre autres de « privatiser » au bénéfice de familles libyennes nécessiteuses. Les autorités appellent cela le « capitalisme populaire », qui compense des démantèlements opérés par ailleurs, comme la suppression des subventions sur les produits de base ou le licenciement prévu de 300 000 fonctionnaires.
La « libyanisation » est également une contrainte qui s’impose aux entreprises implantées. Elle se traduit par des contraintes en matière d’embauche. Pour distribuer ses produits en Libye, il faut par exemple désigner un agent de nationalité libyenne. Depuis quelques mois, un décret oblige les entreprises étrangères soumissionnaires aux grands contrats publics à constituer des sociétés mixtes avec un partenaire libyen – dans les faits, il s’agit généralement de l’un des nouveaux fonds d’investissement publics. « Il y a également l’impossibilité pour des étrangers d’être propriétaires d’un bien immobilier ou d’un terrain. Dans les sociétés mixtes, c’est le partenaire local qui signe les actes de propriété », explique un industriel français. « En bref, ici on se méfie encore beaucoup des sociétés étrangères », conclut un autre.
À la libyanisation s’oppose la raréfaction des ressources humaines locales. L’arrivée d’une trentaine de nouveaux opérateurs pétroliers, tous pressés de réaliser leurs travaux dans les temps, avec des permis de recherche qui ne courent que sur cinq ans, a fait monter les enchères. Tous s’arrachent les quelques cadres qualifiés multilingues disponibles. Une bonne secrétaire se rémunère désormais 2 000 à 2 500 DL (1 100 à 1 400 euros), contre 250 DL dans la fonction publique. Enfin, l’obtention de visas d’affaires reste un parcours du combattant, et l’existence de visas de sortie du territoire complique le quotidien des résidents permanents, tout comme les dizaines d’enregistrements que les entreprises sont tenues de renouveler sans cesse durant le séjour.
Malgré tout, les choses évoluent. L’enseignement des langues étrangères refait son apparition dans les écoles. En dépit des contraintes, les projets avancent à la vitesse voulue. Mieux informés qu’avant bien qu’encore privés d’accès à la presse internationale, les Libyens se montrent aussi plus critiques envers le régime. Mais leur nouvelle soif de consommation et leur volonté manifeste d’entreprendre témoignent de leur optimisme pour l’avenir.

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