Bongo, la Chine et les écologistes

L’exploitation de la mine de Belinga sera lancée d’ici à 2011. Le chef de l’État en a décidé ainsi. Malgré les réserves des défenseurs de l’environnement.

Publié le 24 septembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Au départ, il ne s’agissait que d’un simple projet minier. Comme il en existe des dizaines au Gabon. Mais très vite, l’exploitation du gisement de fer de Belinga dans l’Ogooué-Ivindo (Nord-Est), accordée en novembre 2006 à un consortium de sociétés chinoises, s’est transformée en « opération du siècle », selon les termes du numéro un gabonais Omar Bongo Ondimba (OBO), alors en pleine campagne présidentielle. Traité au plus haut niveau de l’État, le dossier n’est pas passé comme lettre à la poste. Et a attiré l’attention des ONG qui luttent pour la préservation de l’environnement et la protection des espèces menacées. Pris entre l’étau des écologistes, qui ont érigé un cordon sanitaire autour de l’aire protégée, et des investisseurs chinois, pressés d’approvisionner la vorace industrie de leur pays, le chef de l’État a été obligé de choisir son camp.

Le 14 septembre, il a convoqué son gouvernement et les membres du corps diplomatique accrédités à Libreville pour marteler sa détermination à mener jusqu’au bout le chantier de Belinga, censé commencer en 2011. Dans le style qu’on lui connaît et visiblement agacé par l’argumentaire des militants écologistes, le président a fustigé l’attitude des ONG occidentales : « Comment comprendre que ceux-là mêmes qui n’ont pas réussi à imposer chez eux un minimum de mesures préventives en faveur de l’environnement viennent chez nous en utilisant le tapage médiatique, le mensonge et la calomnie pour obliger mon pays à sacrifier son développement sur l’autel de la nature ? » Mais sa colère passée, OBO devait quelques jours plus tard recevoir des militants écologistes pour leur proposer d’être représentés dans le comité de suivi du projet.
Pour l’heure, à Belinga rien n’est encore sorti de terre. Les quelques dizaines d’habitants qui vivent dans cette bourgade perdue au fond de la forêt gabonaise ne disposent que d’une route accidentée et des voies navigables du fleuve Ivindo. Pourtant, dès 1995, des géologues y ont localisé un gisement de fer sous le relief montagneux de la région. Des études évaluent même les réserves à plus de un milliard de tonnes, avec une teneur en minerai de 64 %. Belinga abriterait donc le plus important gisement inexploité de fer au monde.
De quoi aiguiser les appétits des multinationales En 2005, le consortium chinois de la CMEC (China National Machinery and Equipment Corporation) et les brésiliens de la CVRD (Companhia Vale do Rio Doce) se livrent une âpre bataille pour arracher le contrat d’exploitation de la mine. Pour faire face au savoir-faire de CVRD, premier producteur mondial de fer avec 32,9 % de parts de marché, la CMEC s’offre le soutien des banques chinoises. L’entreprise dirigée par Xie Biao a obtenu de la Bank of China et de l’Eximbank of China la totalité des financements nécessaires, que les études de faisabilité ont estimés à plus de 1 500 milliards de F CFA (2,2 milliards d’euros). En juin 2006, la balance penche en faveur de la CMEC, qui devient l’actionnaire de référence (à hauteur de 85 %) grâce à la garantie offerte par le gouvernement chinois d’acheter la totalité du minerai extrait de Belinga. En contrepartie des investissements consentis, la Chine se paie sur la production de la mine, tandis que le Gabon gagne en infrastructures et en emplois.
Mais le chantier, que d’aucuns jugent pharaonique, s’est heurté aux militants écologistes. L’ONG Brainforest reproche aux autorités gabonaises de n’avoir effectué aucune étude préalable d’impact sur l’environnement. Une négligence d’autant plus grave aux yeux des organisations écologistes que Belinga se situe dans la deuxième plus vaste forêt du monde, une aire protégée prioritaire. Le Gabon a pourtant été plusieurs fois cité en exemple pour son action en faveur de la protection de la biodiversité. En 2002, alors que Greenpeace s’alarmait de l’éventuelle disparition des gorilles, chimpanzés et bonobos dans les dernières forêts vierges du bassin du Congo, le gouvernement gabonais avait alors créé treize parcs nationaux, sur 11 % de son territoire national. Aujourd’hui, le projet de Belinga est perçu comme un inquiétant retour en arrière.

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L’usage immodéré de la dynamite par les sociétés minières chinoises lors des opérations d’exploration est loin de rassurer les écologistes. Pas plus que la perspective de la construction d’une ligne de chemin de fer, qui impliquera la destruction de centaines d’hectares de forêt. Les ONG craignent également que l’exploitation de la mine, qui devrait employer plus de 3 000 personnes, intensifie le braconnage. Par ailleurs, pour permettre la réalisation du projet, les autorités ont décidé de « déclassifier » l’une des aires protégées, au détriment du développement de l’écotourisme sur lequel le pays avait pourtant misé ces dernières années.
De fait, le chef de l’État gabonais veut reprendre en main un dossier économique aux multiples implications politiques et stratégiques. À l’heure de la chute annoncée de la production pétrolière, le Gabon ne veut pas se priver d’un bassin d’emplois directs de 26 000 postes pour des considérations écologiques. Ni passer à côté des 560 km de voie ferrée reliant le gisement de Belinga à son débouché maritime, d’un port en eau profonde à Santa Clara et d’un barrage hydroélectrique sur le fleuve Ivindo. Selon OBO, les ONG veulent faire de son pays « une simple réserve uniquement destinée à recycler le gaz carbonique émis par leurs grands pays, qui, pour leur part, refusent égoïstement de respecter l’environnement ».
L’affaire de la mine de fer de Belinga a en tout cas démontré que l’un des défis majeurs des pays en voie de développement sera, ces prochaines années, de concilier la croissance économique avec la protection de l’environnement, trop souvent perçue au Sud comme un devoir réservé aux pays industrialisés – et pollueurs – du Nord.

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