[Tribune] Tunisie : éviter le scénario à la grecque
Les principaux indicateurs le montrent sans équivoque : huit ans après le soulèvement populaire, la Tunisie se trouve toujours dans une situation économique et sociale que l’on peut, sans crainte de se tromper, qualifier de critique.
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Ali Klebi
Ingénieur agronome, fondateur et président du conseil d’administration de la Centrale laitière de Mahdia.
Publié le 18 avril 2019 Lecture : 3 minutes.
À ce marasme s’ajoute un déficit d’autorité manifeste, malgré la succession de sept gouvernements qui, à des degrés divers, n’ont eu ni le temps ni le courage nécessaires pour engager un travail de fond indispensable à la relance du pays.
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Au contraire, au nom de la paix sociale, et souvent sous la pression de la rue et des syndicats, les entreprises et la fonction publiques ont massivement recruté. Chaque année ou presque, les salaires ont été systématiquement augmentés – que ce soit dans le public ou le privé, d’ailleurs – sans adéquation aucune avec les niveaux de croissance économique enregistrés.
Indicateurs économiques dans le rouge
Les indispensables réformes structurelles ? Ignorées ou reportées, comme celles des caisses sociales de retraite ou des entreprises publiques, devenues toutes deux avec le temps un véritable fardeau pour le budget de l’État. Il eût été urgent aussi de revoir les modalités de fonctionnement de la Caisse générale de compensation, qui non seulement ne profite que très peu aux citoyens nécessiteux, mais, pis encore, pénalise lourdement les secteurs de production et de transformation des produits subventionnés.
C’est peu ou prou l’équivalent de 300 000 emplois qui n’ont pas été créés. Comment s’étonner, là encore, que le taux de chômage frôle les 15 % ?
Aussi, le dénouement ne surprendra personne : la Tunisie doit faire face aujourd’hui à un niveau d’endettement de plus en plus lourd, une érosion du pouvoir d’achat avec une inflation proche de 10 % – hors produits alimentaires subventionnés – , un déficit commercial et budgétaire sans précédent, une administration indigeste avec une masse salariale de l’ordre de 14 % du PIB – l’un des taux les plus élevés du monde – , une monnaie nationale qui a perdu près de 80 % de sa valeur depuis 2010 et, surtout, un manque à gagner en matière de croissance de l’ordre de 20 points.
C’est peu ou prou l’équivalent de 300 000 emplois qui n’ont pas été créés. Comment s’étonner, là encore, que le taux de chômage frôle les 15 % ?
Le régime politique en cause
Établir ce constat amène – conséquence logique – à se pencher sur les causes qui nous ont conduits là. Bien entendu, le régime politique installé par la Constituante de 2014, avec un exécutif bicéphale, n’a pas aidé.
Il est aussi permis de s’interroger sur les effets d’un système électoral peu propice aux majorités franches, combiné à une multitude de partis politiques dominés pour la plupart par l’ego de leurs dirigeants. Seul acquis de cette période, à saluer sans tergiversation aucune : l’avancée significative en matière de liberté et de démocratie. La Tunisie a sur ce point franchi des étapes décisives. Un point de non-retour.
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Faut-il condamner la Tunisie ? Je ne le crois pas. Le pays peut accéder à un avenir plus radieux. Mais pour ne pas obérer ses chances, il lui faut œuvrer pour un État fort et juste, soucieux d’un meilleur équilibre territorial, à travers une politique audacieuse de discrimination positive au profit des régions défavorisées. Impossible d’oublier que le printemps de 2011 a pris racine en décembre 2010 à Sidi Bouzid, à 245 km au sud-ouest de la capitale.
L’État doit aussi lutter plus efficacement contre la corruption et l’évasion fiscale. Or, pour ce faire, il faudrait que les élections prévues en octobre 2019 mettent enfin aux commandes du pays de vrais « hommes et femmes d’État », intègres et compétents, avec une vision claire, mais aussi avec une expérience incontestable et un courage à toute épreuve pour s’attaquer pour de bon aux dérapages économiques des dernières années et y mettre fin.
C’est la seule voie pour redonner de l’espoir aux Tunisiens, qui dignement affrontent les difficultés du quotidien depuis près d’une décennie. La seule voie aussi pour éviter à la Tunisie un scénario à la grecque, qui serait préjudiciable à l’ensemble de la population.
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