[Édito] Macky Sall, cinq ans de solitude
Début de second mandat en fanfare… le chef de l’État sénégalais entend prendre directement les choses en mains et accélérer les réformes. Conséquence : un vaste chamboule-tout au gouvernement et la suppression du poste de Premier ministre. Une stratégie qui n’est pas sans risques…
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 14 avril 2019 Lecture : 3 minutes.
Macky Sall cache décidément bien son jeu. Le président « normal », souvent comparé à ses débuts à François Hollande en raison de sa bonhomie et du contraste de sa personnalité avec celle de son prédécesseur (Abdoulaye Wade pour lui, Nicolas Sarkozy pour son homologue français de l’époque), ne s’embarrasse guère du qu’en-dira-t-on et des petits calculs politiciens.
Chamboule-tout
Chez les acteurs politiques sénégalais, beaucoup s’attendaient à un début de second mandat tranquille, dans la continuité du précédent, avec un gouvernement élargi pour remercier les multiples soutiens de la campagne présidentielle tout en conservant les fidèles de toujours. Ils se sont trompés. En lieu et place, ils ont assisté à un vaste chamboule-tout. Une vingtaine de membres de l’ancienne équipe ont été remerciés en raison de leur inefficacité ou de leurs frasques, le nouveau gouvernement ne compte plus que trente-deux ministres (plus trois secrétaires d’État), dont seize nouveaux venus (pour la plupart d’anciens directeurs généraux d’entreprises publiques ou d’institutions).
En revanche, les « transhumants » et les ralliés de la dernière heure ont été purement et simplement zappés ; l’Économie et les Finances ont été séparées ; et de supposés caciques ont été contraints de changer de maroquin. Cerise sur le lakh, le poste de Premier ministre sera froidement supprimé et jeté aux oubliettes ! Il va de soi que ce dernier point, surtout, a déclenché une polémique et suscité des cris d’orfraie dans l’opposition.
Pourtant, à y regarder de plus près, la disparition de ce poste très convoité ne changera pas grand-chose. Depuis cinquante-neuf ans (et sous trois constitutions), le Sénégal a connu quinze Premiers ministres. Aucun ne s’est signalé par son indépendance ou son autonomie à l’égard du chef de l’État. Tous ont été des courroies de transmission des volontés présidentielles, davantage que de véritables chefs du gouvernement.
Fin d’une hypocrisie
C’est si vrai que le poste a déjà été supprimé à deux reprises, en 1963 et en 1983. Aujourd’hui, le fait que Mahammed Boun Abdallah Dionne occupe la primature ou le secrétariat général de la présidence ne change strictement rien à son rôle et à ses attributions : il va continuer de coordonner l’action du gouvernement et d’exécuter la feuille de route définie par son patron. C’est en somme l’officialisation d’une situation de fait, la fin d’une hypocrisie, comme ce fut le cas, par exemple, au Bénin, avec Pascal Irénée Koupaki dans le rôle de Dionne. La situation est la même partout en Afrique, à l’exception notable de l’Éthiopie : les Premiers ministres ne disposent que de l’ombre ou de l’illusion du pouvoir. Ils servent avant tout de fusibles institutionnels.
L’opération va permettre à Macky Sall de mettre sous le boisseau les ambitions de ceux qui, dans son camp, rêvent de prendre sa place. Et de les obliger à consacrer toute leur énergie à la mise en œuvre des réformes qu’il entend mener avant le terme de son mandat, en 2024. Sans arrière-pensées ni manœuvres politiciennes, au moins jusqu’aux législatives de 2022. Il va ainsi pouvoir préparer à son rythme une succession qui, ici comme ailleurs, s’annonce délicate, juger les uns et les autres à l’aune de leurs performances.
Polémique
Revers de la médaille, il crée la polémique et offre à ses opposants une occasion inespérée de se remobiliser. Le meilleur argument de ces derniers n’est d’ailleurs pas sans force : pourquoi le président n’a-t-il pas annoncé cette suppression pendant sa campagne électorale ? Quoi qu’il en soit, au-dessus de l’écume de l’actualité, Macky Sall achève sa mue en hyperprésident. Sans bouclier, écran de protection ou échappatoire. C’est son choix : il est désormais seul face à ses concitoyens. Il annonce vouloir gérer le Sénégal directement, sans ralentisseurs ni « goulets d’étranglement » ? Pourquoi pas. Mais il sait qu’il devra désormais assumer seul les conséquences de ses succès comme de ses échecs. La stratégie n’est pas sans risque, mais au moins les choses sont-elles claires.
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