Nigeria : les « fake news » alimentent des discours de haine
La désinformation aggrave les tensions ethniques et religieuses au Nigeria, en proie à de graves menaces sécuritaires et à des tensions communautaires. Un phénomène particulièrement vrai en période électorale.
Pour Simon Kolawole, qui dirige le média en ligne The Cable, les fake news « contribuent à affaiblir l’équilibre ethnico-religieux précaire au Nigeria et portent atteinte à la crédibilité de la presse dans le pays ».
Les mois qui ont précédé les récentes élections présidentielle et législatives ont ainsi été marqués par une série de fausses informations propagées par des hommes politiques, dans le but d’influencer le scrutin.
Le président sortant Muhammadu Buhari, un musulman du Nord du pays, réélu en février 2019, a ainsi été accusé de vouloir appliquer la charia à l’ensemble du territoire.
Son adversaire malheureux lors de la présidentielle, Atiku Abubakar, a lui aussi été victime de rumeurs, assurant qu’il était soutenu par la communauté gay et lesbienne, une manoeuvre destinée à le discréditer auprès de l’électorat conservateur dans le Nord du pays.
Le Nigeria est confronté à de multiples défis sécuritaires, dont l’insurrection des jihadistes de Boko Haram dans le Nord-Est et des violences meurtrières opposant éleveurs musulmans et agriculteurs chrétiens dans le centre.
Ce dernier conflit, qui concerne principalement l’accès à la terre et à l’eau, a pris ces dernières années une dimension ethnique et religieuse, aggravée par l’explosion démographique dans le pays le plus peuplé d’Afrique (190 millions d’habitants, plus de 250 groupes ethniques) et par l’instrumentalisation qu’en font souvent les politiciens locaux.
La désinformation et les discours de haine « menacent la paix, l’unité, la sécurité et la vie des Nigérians », estime ainsi le ministre de l’information Lai Mohammed.
La haine confessionnelle en ligne
La propagation de rumeurs ou de fausses nouvelles qui jouent sur la division du pays, entre un Nord musulman et un Sud chrétien, l’inquiète tout particulièrement. « Quand vous êtes sur les réseaux sociaux, vous avez l’impression que le Nigeria est en guerre, que des musulmans tuent des chrétiens », souligne-t-il.
Dans ce pays où l’immense majorité de la population vit dans la grande pauvreté et où le niveau d’alphabétisation est très faible (59%), les fausses informations se propagent comme une traînée de poudre sur les 140 millions de téléphones portables que compte le pays.
Il est vrai que la désinformation est utilisée de longue date au Nigeria. En novembre 1989, la télévision d’Etat NTA avait ainsi annoncé la mort de Nnamdi Azikwe, le premier président nigérian, une nouvelle reprise par la majorité des journaux… alors que Zik, comme il était surnommé était alors bien vivant – il est mort en 1996.
Trente ans plus tard, des rumeurs ont circulé, faisant état de la mort du président en exercice, Muhammadu Buhari, en 2017 – il aurait depuis cette date été « cloné » ou remplacé par un sosie originaire du Soudan…
Les réseaux sociaux se sont enflammés au point que Muhammadu Buhari a dû évoquer le sujet au cours d’une conférence de presse, en Pologne, en décembre 2018: « Je suis le vrai moi », a-t-il assuré.
Le fait qu’un président en exercice doive démentir sa propre mort démontre l’ampleur du problème provoqué par la désinformation au Nigeria – et celle de la tâche des médias et des organismes luttant contre la désinformation.
Une désinformation qui a souvent sa source au sein des partis politiques eux-mêmes: si les rumeurs sur la mort de M. Buhari ont été initialement propagées par un groupe séparatiste biafrais, « c’est un secret de polichinelle » que les deux principaux partis nigérians ont créé des cellules « média » dédiées à la désinformation, à l’occasion des élections, assure l’analyste politique et éditorialiste Fredrick Nwabufo.
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