Tout a changé sauf moi

Un an après le coup d’État du 3 août, le chef de l’État mauritanien confirme qu’il quittera le pouvoir en mars 2007. Et qu’il ne soutiendra personne à la future élection présidentielle.

Publié le 24 juillet 2006 Lecture : 19 minutes.

Pour qui ne s’est pas rendu à Nouakchott depuis un an – a fortiori depuis des lustres -, la capitale mauritanienne a pris des allures de petit dragon du désert. La classe Affaires du vol quotidien d’Air France est pleine à craquer de businessmen européens, américains, australiens ou japonais. Dans les rues des quartiers résidentiels où les villas poussent comme des champignons, des luxueux 4×4 Hummer, aux vitres teintées, témoignent de la richesse soudaine et insolente des nouveaux entrepreneurs locaux. Un peu partout, d’immenses chantiers d’habitats sociaux chassent peu à peu vers la périphérie ce qui reste des kebbas, ces bidonvilles qui furent longtemps la face honteuse de Nouakchott. À 10 kilomètres au nord, le long de la route qui mène à Nouadhibou, deux vastes projets qui vont bouleverser le visage de cette ville de 700 000 habitants se font face. À droite, un nouvel aéroport international construit par les Chinois. À gauche, en bord de mer, un complexe touristique confié par des investisseurs qataris à des entreprises françaises avec hôtel cinq étoiles, terrain de golf et centre commercial. Une vraie révolution à l’aune de ce pays de trois millions d’habitants, due avant tout à son entrée, le 26 février 2006, dans le club des pays producteurs de pétrole. Pour l’instant, seul fonctionne le puits offshore de Chinguetti, à 80 kilomètres au large des côtes. D’autres suivront, pour atteindre une production prévue de 200 000 barils/jour d’ici à la fin de cette décennie.
Modeste, certes, mais suffisant pour que le pays enregistre dès cette année un accroissement record de son PIB de l’ordre de 45 %. Pour remplir aussi les rares hôtels de Nouakchott d’hommes d’affaires étrangers en quête de contrats et de chambres climatisées. À cela s’ajoutent les quelque 850 millions de dollars de dette publique annulés fin juin par les institutions financières internationales pour prix de la bonne gouvernance locale. Et l’on comprend mieux l’une des caractéristiques principales de la Mauritanie en cette mi-2006 : l’optimisme. Chef de l’État depuis le coup d’État du 3 août 2005 qui a renversé Maaouiya Ould Taya après vingt et un ans de pouvoir solitaire, le colonel Ely Ould Mohamed Vall surfe allègrement sur cette vague de confiance et de grâce à laquelle, il est vrai, il a largement contribué. Depuis un an, l’ancien directeur général de la Sûreté, auteur avec ses seize compagnons du Comité militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) d’un « putsch de velours » effectué en l’absence de l’ex-président, multiplie les initiatives et les ouvertures. Réforme de la justice, nouvelle loi sur les médias (considérée comme un « modèle » par Reporters sans frontières), moralisation de la vie publique, création d’une Commission électorale indépendante et surtout nouvelle Constitution, sans doute la plus libérale du monde arabo-musulman dans la mesure où elle rend obligatoire l’alternance au pouvoir au bout d’un délai maximal de dix ans.
Il y a un peu moins d’un an, en septembre 2005, cet officier supérieur formé en France et au Maroc annonçait dans Jeune Afrique l’essentiel de son projet en y ajoutant cet engagement hautement symbolique : ni lui, ni aucun des membres du Comité militaire et du nouveau gouvernement ne se présenterait à l’élection présidentielle de mars 2007. À huit mois de la fin de la transition, nous avons voulu savoir dans quelle mesure ce programme et cette promesse étaient tenus. L’entretien qui suit s’est déroulé dans la nuit du 11 au 12 juillet dans la résidence qui jouxte le palais présidentiel de Nouakchott, en présence de Mohamed Lemine Ould Dahi, directeur de cabinet du chef de l’État. Comme en septembre dernier, un dîner était censé l’agrémenter. Mais comme en septembre dernier, Ely Ould Mohamed Vall, drapé dans une deraa blanche, n’a touché à aucun plat. La passion et l’appétit n’ont jamais fait bon ménage

Jeune Afrique : Il y a un peu moins d’un an, au lendemain de votre accession au pouvoir, vous avez pris dans J.A. cet engagement : « Croyez-moi, tout va changer. » Promesse tenue ?
Ely Ould Mohamed Vall : Je le crois. Tout a profondément changé, à commencer, et c’est le plus important, par l’état d’esprit des Mauritaniens. La vision qu’ils ont d’eux-mêmes et de l’avenir de leur pays n’a rien à voir avec celle qui prédominait à la veille du 3 août 2005. Le ciel était bouché, il s’est éclairci. La morosité, le pessimisme et l’inquiétude imprégnaient toutes les conversations. Aujourd’hui, quand vous parlez avec n’importe quel citoyen, vous ne pouvez qu’être frappé par cet espoir, par cette sérénité et cette dignité retrouvés. Il faut dire que sans le travail quotidien accompli par les autorités, l’état de grâce se serait dissipé depuis longtemps. Or, depuis un an, c’est une vraie révolution à laquelle nous assistons dans les domaines des libertés et de la bonne gouvernance. Avant le 3 août, la Mauritanie marchait sur la tête. Désormais, elle se tient solidement sur ses jambes.

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Pas de regrets, donc
Si, un seul : ne pas avoir pu anticiper le 3 août et intervenir plus tôt.

Vous n’aimez pas que l’on qualifie votre prise du pouvoir de coup d’État. Pourquoi cette pudeur ?
Pour moi, ce fut un changement majeur, la mère de tous les changements qui ont suivi. Je n’ai jamais conçu, vécu et géré le 3 août comme un coup d’État. Ce qui existait auparavant, ce n’était pas l’ordre, mais le désordre institutionnel. Et puis, du début jusqu’à ce jour, notre action a toujours reposé sur un consensus national que nul ne saurait nier. Or, qu’y a-t-il de plus fondateur et de plus légitime qu’un consensus populaire ?

Il n’y a plus lieu d’en débattre, puisqu’une nouvelle Constitution a été adoptée le 25 juin par référendum. 96 % de oui et un taux de participation de 77 % : c’est un plébiscite à la soviétique
Peut-être, mais sans le Soviet suprême, le parti unique, les commissaires politiques et le bourrage des urnes. Nous avons proposé un projet, et la très grande majorité des citoyens y a adhéré, en toute liberté. C’est limpide.

Les nouvelles dispositions prévoient notamment l’interdiction de modifier la Constitution sur un point crucial : la durée du mandat présidentiel, qui sera désormais de cinq ans renouvelable une seule fois. Pourquoi ce double verrouillage ?
La racine du mal mauritanien, c’était le refus de l’alternance au sommet, donc son impossibilité de facto, si ce n’est de jure. D’où ce dispositif visant à la rendre obligatoire au bout de dix ans maximum. Quand une même personne et un même système s’éternisent deux ou trois décennies au pouvoir et que la population ne perçoit aucune perspective d’alternance, c’est la porte ouverte à toutes les aventures et à toutes les violences.

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En rendant ainsi irréversible la limitation des mandats, vous êtes à contre-courant de ce qui se passe sur le continent. L’heure y est plutôt aux prolongations indéfinies
Nous n’avons pas la prétention de donner des leçons ou de servir de modèle. Chacun a ses problèmes et sa façon de les résoudre. Pour nous, Mauritaniens, cette solution est apparue la plus appropriée.

Aviez-vous un plan d’action, un programme précis en tête lorsque vous vous êtes emparé du pouvoir ?
Pas vraiment. J’avais des idées et un ordre de priorité. Je savais que la Mauritanie nouvelle devait naître de trois chantiers essentiels : justice, bonne gouvernance et alternance politique. Tout ce que nous avons fait depuis s’est articulé autour de ces trois pôles et, à chaque pas en avant, nous nous sommes assurés qu’un consensus national nous accompagnait.

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Y a-t-il eu des dissensions au sein du Conseil militaire sur la marche à suivre ?
Aucune. Dès le départ, tous les membres du Conseil partageaient le même diagnostic, ainsi que le choix des remèdes. C’est un organe à la fois délibérant et décisionnel, qui se réunit régulièrement deux ou trois fois par trimestre et qui travaille en harmonie avec le gouvernement.

Mais qui est le patron ? Vous ou le Conseil militaire ?
Le CMJD est un collectif qui décide pour le pays. Je suis, moi, le président du CMJD, avec toutes les prérogatives attachées à cette fonction.
Vous avez personnellement veillé depuis un an à ce qu’il n’y ait ni règlements de comptes, ni chasse aux sorcières à l’encontre des membres de l’ancien régime. Pour quelle raison ? Parce que vous-même, d’une certaine façon, en faisiez partie ?
Il ne s’agit pas de cela. Pour moi, dès le premier jour, le changement devait se faire au profit de tous les Mauritaniens et au détriment d’aucun. Je ne me suis jamais départi de cette ligne de conduite. Vous savez, il n’y a pas un leader politique dans ce pays, y compris dans l’ex-opposition, qui n’ait à un moment ou à un autre servi le système autocratique en vigueur depuis l’indépendance. Pourquoi, à l’intérieur de ce système global marqué par l’impossibilité de l’alternance démocratique, aurions-nous dû stigmatiser tel ou tel régime ? Personne n’a de leçons à donner, personne n’est plus légitime que son voisin. Le changement du 3 août n’a pas mis fin à un régime en particulier, mais à tout un système de pouvoir vieux de quarante-cinq ans et usé jusqu’à la corde.

Pas d’enquêtes en cours ou en vue, donc, sur l’origine de la fortune ou de la propriété de telle ou telle personnalité ?
Si nous mettions le doigt dans cet engrenage, il nous faudrait pousser nos investigations sur quatre décennies en arrière. Et alors là, bonjour les dégâts. Sérieusement : il n’en est pas question. Ce serait une perte de temps et une source intarissable de polémiques.

Vous avez pris l’engagement de ne pas vous présenter à l’élection présidentielle de mars 2007. Ni vous, ni aucun membre du CMJD et du gouvernement. Je sais que vous êtes un homme de parole, mais tout de même : pouvez-vous le répéter ici.
Écoutez. Cela ne fait aucun doute pour les Mauritaniens, mais puisque vous y tenez je le redis. Il n’a jamais été question une seule seconde de revenir sur cet engagement solennel. Il fallait établir une rupture symbolique fondamentale dans les esprits et casser une fois pour toutes la logique du pouvoir à vie. Si je me présentais en mars prochain, alors oui, le 3 août n’aurait été qu’un coup d’État de plus. Et tous les changements que nous avons introduits depuis n’auraient servi à rien.

Le 11 mars 2007 donc, vous aurez terminé votre travail
J’en suis certain.

Vous demandez un gros sacrifice à vos collaborateurs, en particulier à vos ministres et au Premier ministre, qui pendant cinq ans sont interdits de tout mandat électif alors qu’ils n’ont peut-être pas démérité.
Je crois que le contrat entre eux et moi était clair. Et je suis persuadé qu’ils partagent mon analyse sur les raisons de cet empêchement. Nous avons tous le même idéal.

Soutiendrez-vous un candidat à l’élection présidentielle ?
Je l’ai dit et je le répète : nous ne soutiendrons personne.

Et si tel ou tel candidat se réclame de vous ?
Alors je ferai un communiqué pour préciser que nul n’est autorisé à se prévaloir de mon soutien.

Que deviendra le Comité militaire après l’élection ?
Le jour J, il s’autodissoudra.
Vous avez pris fin juin une mesure plutôt révolutionnaire pour qui connaît la société mauritanienne. Lors des élections législatives et municipales qui se tiendront le 19 novembre prochain, chaque liste et chaque parti devront comporter 20 % de femmes. Quota obligatoire. Seriez-vous un adepte de la discrimination positive ?
Je vais être clair, au risque de choquer. L’un de nos grands problèmes ici en Mauritanie, c’est que les femmes, qui constituent plus de 50 % de la population, sont pour l’essentiel inactives, improductives, à la charge des hommes, en dehors du champ culturel et de l’éducation. Beaucoup en conçoivent une immense frustration qu’elles compensent par des dépenses inconsidérées. Quel gâchis, quel blocage pour un pays en voie de développement ! La solution est simple : intégrer la femme au processus de production, tant économique que politique, avec le maximum de volontarisme. Si j’avais pu imposer un quota de 50 %, je l’aurais fait, tant cela me paraît indispensable.

Imaginez-vous un jour une femme ?à la tête de la Mauritanie ?
À titre personnel, je le conçois volontiers.

Autre révolution, plus passive celle-là : le pétrole. Depuis le 26 février, la Mauritanie est entrée dans le club des producteurs d’or noir. Modestement, certes, mais tout de même : 200 millions de dollars de recettes attendus dès cette année, ce n’est pas rien. Comment comptez-vous gérer cette manne ?
En faisant tout pour qu’elle soit un facteur de développement et non de criminalisation. C’est-à-dire transparence totale, traçabilité absolue de chaque pétrodollar en amont et en aval, création d’un fonds pour les générations futures et adhésion de la Mauritanie à toutes les initiatives internationales visant à promouvoir et à contrôler la bonne gouvernance en ce domaine. Le but d’ores et déjà atteint est que nul dans ce pays, qu’il soit chef de l’État, ministre, responsable de société ou partenaire étranger, ne peut jouer avec l’argent du pétrole.

Vous avez mené, fin 2005 et début 2006, un long bras de fer avec le principal opérateur, la compagnie australienne Woodside, ponctué notamment par la mise en détention pendant deux mois de l’ancien ministre du Pétrole du régime déchu, Zeidane Ould Hmeida. Pourquoi cet affrontement et sur quoi a-t-il débouché ?
À notre arrivée au pouvoir, nous avons pris connaissance du contrat signé entre Woodside et l’État mauritanien. Quand nous en avons exigé l’application, Woodside nous a signalé l’existence de quatre avenants secrets, dont certains comportaient une cinquantaine d’articles. Tous étaient au détriment de la Mauritanie et vidaient en quelque sorte le contrat initial de sa substance. Ces avenants étaient tout simplement illégaux, puisqu’ils n’avaient été soumis pour approbation ni au gouvernement de l’époque, ni au Parlement. Il s’agissait ni plus ni moins d’un hold-up. Nous avons donc dit à Woodside que nous exigions le retour au contrat de base, sans ces avenants, lesquels n’étaient pas opposables à l’État mauritanien. Woodside nous a rétorqué que ces avenants avaient été signés par le ministre du Pétrole de l’époque, Zeidane Ould Hmeida. Je leur ai fait savoir que nous ne renoncerions jamais à nos droits et que si dans les trois mois une solution à l’amiable n’était pas trouvée, nous irions devant la justice internationale. J’ai ajouté que même si cela devait durer un siècle, nous ne céderions pas. Woodside a compris que nous ne bluffions pas. Fin mars, un accord a donc été trouvé et tous les avenants ont été annulés. Quant à l’ex-ministre, une enquête a été ouverte par la justice le concernant. Il a été libéré depuis.

Votre nationalisme économique ne risque-t-il pas d’effrayer les investisseurs ?
Ils auraient tort d’avoir peur. Dans toute cette affaire, nous ne sommes jamais sortis du strict cadre de la légalité et du respect des engagements contractuels.
Qu’avez-vous à dire aux Mauritaniens à propos du pétrole : faut pas rêver ?
Je dis et je répète aux futurs dirigeants de ce pays : la Mauritanie ne doit pas devenir un État rentier. Les Mauritaniens ne doivent pas s’imaginer en rentiers inactifs et assistés. Ce serait une grave erreur. L’argent du pétrole doit servir en priorité aux investissements productifs et non au fonctionnement de l’État. Pas de caisses noires ni de dessous-de-table. Une honnêteté, une transparence de chaque instant.

Il existe toujours, de l’autre côté de la frontière avec le Sénégal, quelques milliers de réfugiés négro-mauritaniens expulsés en 1989-1990 et qui exigent un retour organisé et collectif au pays. Pourquoi ce problème persiste-t-il, un an après votre accession au pouvoir ?
Toute personne qui se dit mauritanienne peut et doit se présenter à la frontière. Immédiatement, nous procédons aux contrôles et aux vérifications nécessaires et, si sa nationalité mauritanienne est avérée, cette personne est la bienvenue chez elle. Un retour groupé, organisé ? Pourquoi pas, je ne suis pas contre. Mais à condition de savoir que nul n’échappera à l’examen individuel de sa nationalité au moment où il franchira la frontière. Ce contrôle ne peut-être qu’a priori, pas a posteriori.

Quelle est votre position à propos de ce que certains appellent le « passif humanitaire » de l’ancien régime ?
Je ne sais pas très bien ce que cela signifie. Ce qui s’est passé ici à la fin des années 1980 et au début des années 1990 a été la conséquence directe d’un conflit avec un pays voisin, le Sénégal, en l’occurrence. Ces événements douloureux ont touché tous les Mauritaniens sans exclusive. Trois à quatre cents mille Mauritaniens ont ainsi été expulsés au Sénégal dans des conditions déplorables, d’autres ont été persécutés ici même, et aucune communauté ne peut revendiquer l’apanage de la souffrance. Alors, que faire ? Eh bien, il faut soulager les peines des victimes, fonctionnaires radiés, commerçants spoliés, veuves ou orphelins, en les indemnisant. Et puis, allons tous ensemble vers une sorte de pardon collectif. Comment formuler ce pardon ? Réfléchissons-y

Pas de procès donc, ni d’enquêtes, encore moins de mises en accusation publiques de tel ou tel ?
À ceux qui voudraient s’engager sur cette voie, je dis : ne tentez pas le diable.

Une demi-douzaine de proches de l’ancien président Ould Taya, militaires et civils, ont été arrêtés à la veille du référendum du 25 juin. Que leur reproche-t-on au juste ?
Il s’agit d’un groupe très restreint d’individus, connus et suivis depuis longtemps, qui avaient décidé de passer à l’action violente afin d’éviter que le référendum, qui était pour eux le point de non-retour, se déroule dans des conditions normales. Pour le reste, l’enquête suit son cours et la justice communiquera sur cette affaire le moment venu.

Tous ont en commun le fait d’être liés à Maaouiya Ould Taya, qui vit en exil au Qatar.
Je ne voudrais pas entrer dans ce genre de considération. Ce que je peux dire en revanche, c’est qu’en dehors de ces cas isolés je ne connais pas en Mauritanie de nostalgiques de l’ancien régime.

Il y a un an, vous nous disiez à propos d’Ould Taya : « Rien dans le fond ni dans la forme ne s’oppose à ce qu’il rentre en Mauritanie demain. » C’est toujours votre position ?
Absolument.

Et à la question : « Bénéficiera-t-il du statut d’ancien chef de l’État ? » Vous répondiez : « Cela dépendra de son comportement. »
Cela dépendra aussi de ce que la justice aura ou non à lui reprocher.

C’est nouveau. Y a-t-il un rapport avec le dossier de ses proches arrêtés ?
Tout à fait.

Avez-vous des contacts avec lui ?
Aucun depuis le 3 août 2005.

Une trentaine d’islamistes ont été appréhendés en mai et en juin à Nouakchott sous des chefs d’inculpation très graves : détention d’armes ou préparation d’attentats terroristes. Y a-t-il une menace salafiste sur la Mauritanie ?
Pas plus qu’ailleurs dans la région et plutôt moins qu’ailleurs. Ces gens étaient pour la plupart liés au GSPC algérien, et certains avaient participé à l’attaque de la caserne de Lemgheity en juin 2005.

Les frontières mauritaniennes ont la réputation d’être plutôt poreuses.
C’est totalement inexact. Aucun groupe terroriste n’a jamais transité par la Mauritanie pour aller attaquer ailleurs, et jusqu’ici, Dieu merci, notre pays a été épargné par ce fléau. Cela est dû, entre autres, à l’efficacité de nos services de sécurité. Vous savez, on entend souvent dire que la Mauritanie est fragile, poreuse, ouverte à tous les vents. Ce n’est qu’une apparence. En réalité, ce pays est beaucoup plus solide et uni qu’on le prétend.

Lors du récent sommet de l’Union africaine à Banjul, auquel vous n’avez pas assisté, un certain nombre de chefs d’État de l’Afrique de l’Ouest ont souhaité faire adopter une motion de félicitations à votre égard. Mais leur démarche n’a pas eu de suite, le président de la Commission de l’UA, Alpha Oumar Konaré, s’y étant opposé. À ses yeux, manifestement, vous êtes toujours un colonel putschiste dont il convient de se méfier
Sans que nous les ayons sollicités, huit chefs d’État ont effectivement évoqué à Banjul le cas de la Mauritanie. Pour eux, l’adoption, le 26 juin de la nouvelle Constitution signifie ipso facto que ce pays est à nouveau sur les rails de la légalité internationale et que l’autorité de transition qui le dirige – et dont le rôle est prévu par cette Constitution – est légitime. Personne, à ma connaissance, ne s’est opposé à cette démarche.

Personne, sauf Konaré. Sans quoi elle aurait abouti.
C’est possible. Question de principe, me dit-on. En réalité, chacun peut penser ce qu’il veut, nous savons ce qu’il convient de faire pour notre pays, et nous agissons en conséquence. Ce type de jugement en ce qui nous concerne est certes intéressant, mais il n’est pas d’une importance telle que nous devrions consacrer notre énergie à vouloir l’infléchir en notre faveur. Et puis, nous ne voulons vraiment pas que la Mauritanie soit un problème de plus pour l’UA.

La Mauritanie, et tout particulièrement la région de Nouadhibou, est devenue un point de départ non négligeable pour l’émigration clandestine vers l’Europe. Comment faire face à ce phénomène ?
On ne le sait pas assez : l’émigration clandestine ne concerne pas les Mauritaniens eux-mêmes. Parmi les migrants qui accostent aux Canaries ou ailleurs, vous ne trouverez aucun citoyen mauritanien. S’il s’en présente un, qu’on me le dise : je le ferais immédiatement rapatrier. Cela dit, c’est vrai, la Mauritanie est une terre de transit pour les candidats d’Afrique de l’Ouest et un lieu d’escale pour les pateras venues du Sud. Des mesures très strictes ont été prises par nos forces de sécurité pour en réduire le flux. Mais je le répète : nous ne sommes pas des pourvoyeurs directs d’émigrants et nos partenaires européens le reconnaissent.

Vous êtes partie intéressée dans le conflit du Sahara occidental, auquel – c’est le moins que l’on puisse dire – on ne voit guère de solution se profiler à l’horizon. Votre position a-t-elle évolué ?
Non. Elle est identique. Neutralité, respect de la légalité internationale, c’est-à-dire des décisions de l’ONU. Et au-delà, appui à toute solution consensuelle entre les parties. Ce conflit dure depuis trente ans, et il nous affecte tous.

Des manifestations de soutien aux Palestiniens ont eu lieu il y a quelques jours à Nouakchott. La récente aggravation de la crise, tant à Gaza qu’au Liban, ne vous incite-t-elle pas à geler vos relations diplomatiques avec Israël ?
Le fait que des Mauritaniens manifestent sur ce thème n’est pas une nouveauté, d’autant qu’ils ont désormais la liberté de le faire sans être réprimés. Pour le reste, la crise actuelle est certes très préoccupante et nous ne pouvons qu’exprimer notre sympathie et notre solidarité envers les peuples frères de Palestine et du Liban, qu’elle frappe de plein fouet. Mais je ne crois pas que cette crise doive remettre en cause l’approche globale qui est la nôtre dans nos rapports avec les Palestiniens et avec les Israéliens. À tous, nous disons qu’il faut de la retenue et une recherche permanente d’une solution politique.

Quel rôle jouera l’armée mauritanienne une fois la période de transition achevée ?
Celui d’une armée républicaine respectueuse des institutions.

Une armée à la turque ou à l’algérienne, qui soit à la fois garante et caution du pouvoir civil ?
Il n’est jamais souhaitable que la démocratie soit sous tutelle.

Imaginons que la politique suivie par le président élu en mars prochain ne vous convienne pas et aille, à vos yeux, à l’encontre des intérêts du pays, que ferez-vous ?
Ce n’est pas devant moi qu’il devra répondre de ses actes, mais devant le Parlement et devant le peuple mauritanien. Nous avons fait en sorte, avec la nouvelle Constitution, que le système ait désormais ses propres garde-fous, qu’il puisse prévenir les dérives et corriger ses propres erreurs.

Qu’allez-vous faire dans huit mois ?
Ce que j’ai toujours voulu faire sans y parvenir : voyager, m’occuper de ma famille et de moi-même.

Vous avez, dans l’histoire de la Mauritanie, une expérience et une place uniques. Pourquoi ne pas créer une fondation, rendre service dans le cadre de l’ONU, que sais-je
Croyez-vous que j’ai le temps d’y réfléchir ? Je n’ai pas fini mon travail.

Le pouvoir grise, dit-on. C’est comme une ivresse, une drogue.
Dès lors que celui qui est au pouvoir se veut un homme d’État au service de ses concitoyens, l’exercice du pouvoir n’est pas une jouissance, c’est une souffrance quotidienne. Prendre chaque jour des décisions qui engagent la vie des gens et l’avenir d’une nation en se demandant sans cesse si on ne se trompe pas, en se battant contre ses doutes et ses propres insuffisances, se réveiller la nuit en se demandant si on a bien mesuré toutes les conséquences de ses actes, croyez-moi, c’est une torture.

Avez-vous fait fortune ?
En septembre 2005, lorsque vous êtes venu me voir à Nouakchott, vous m’aviez assuré que le pouvoir enrichissait toujours son détenteur. Je vous avais alors demandé de revenir dans un an afin que nous fassions les comptes ensemble. Eh bien allons-y, j’y suis prêt. Mais je vous préviens tout de suite : vous allez être déçu. Vous aviez tout faux en ce qui me concerne.

Vous avez 53 ans. Rien ne vous empêchera de vous présenter à l’élection présidentielle de 2012. Excluez-vous cette hypothèse ?
Ce n’est pas une hypothèse que j’ai présente à l’esprit. En tout cas, pour l’instant.

En somme, vous avez fait le coup d’État du 3 août 2005 afin qu’il soit le dernier dans l’histoire de la Mauritanie
J’ai fait le changement du 3 août 2005 afin qu’il soit le dernier dans l’histoire de la Mauritanie. Inch’Allah.

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