Sonatrach, le retour

Moins de dix-huit mois après son lancement, la libéralisation du secteur des hydrocarbures est spectaculairement remise en question.

Publié le 24 juillet 2006 Lecture : 3 minutes.

De mémoire, jamais un Conseil des ministres présidé par le président Abdelaziz Bouteflika n’aura duré aussi longtemps que celui du 9 juillet : entamé sur le coup de 13 heures, il s’est achevé vers 23 h 30. Il est vrai qu’entre l’adoption du statut général de la fonction publique, celle d’une ordonnance relative au développement de l’investissement et celle de deux importants amendements à la loi sur les hydrocarbures, les ministres avaient du pain sur la planche !
Bien sûr, c’est ce dernier point qui retient surtout l’attention. Moins d’un an après la promulgation, le 19 juillet 2005, à l’initiative de Chakib Khelil, le ministre de l’Énergie et des Mines, de la loi n° 05-07 libéralisant totalement le secteur, les autorités algériennes ont en effet choisi d’opérer un virage à 180 degrés.
Le premier amendement stipule que Sonatrach, la société nationale, sera à l’avenir partenaire obligatoirement majoritaire (avec 51 % au minimum), dans tout contrat signé avec une compagnie étrangère en vue de l’exploration, de l’exploitation et du transport des ressources pétrolières et gazières algériennes. Ce qui revient à rétablir son monopole de fait.
Le second instaure une taxe sur les profits dégagés par ces mêmes compagnies, les Anadarko Petroleum, Shell, British Petroleum, ENI et autres BHP Billiton, dès lors que le prix du baril de pétrole brut excède 30 dollars. Cette nouvelle disposition, qui s’applique rétroactivement, est déterminante dans la mesure où la plupart des contrats conclus par Sonatrach – une trentaine, au total – l’ont été à l’époque où le prix du baril de brut avoisinait 15 dollars. Celui-ci étant aujourd’hui largement supérieur à 70 dollars, on imagine les sommes colossales que le Trésor public est appelé à encaisser. Il ne reste donc plus grand-chose de la loi Khelil, qui, lors de son adoption, avait pourtant été présentée comme la panacée à tous les maux de l’Algérie. Elle accordait aux compagnies étrangères des droits de production pour une durée de trente ans. Celles-ci avaient même la possibilité d’exploiter la totalité d’un gisement dès le moment où la Sonatrach (classée douzième compagnie mondiale) s’abstenait de faire valoir son droit de préemption, plafonné à 30 %. La loi était passée comme une lettre à la poste à l’Assemblée nationale et au Sénat, mais n’en avait pas moins suscité une vive controverse (voir encadré ci-dessous), certains, à l’époque, n’hésitant pas à accuser le ministre de l’Énergie d’être « l’homme lige » des Américains.
Pourquoi les autorités ont-elles brusquement renoncé à libéraliser le secteur des hydrocarbures ? « Lorsque le texte de loi a été élaboré, explique Chakib Khelil, le prix de référence du baril était de 20 dollars. Notre but était d’augmenter les exportations et les recettes de l’État. » Aujourd’hui, la donne a changé du tout au tout. Conséquence de la flambée des cours, l’Algérie affiche une insolente santé financière. Les réserves de change dépassent 66 milliards de dollars et la dette extérieure, ce véritable frein au développement, a été ramenée à 5 milliards de dollars grâce à de nombreux remboursements anticipés. Le taux de la croissance frôle les 6 % et celui du chômage a été ramené de 33 % à moins de 15 %. Longtemps boudée par les investisseurs étrangers, l’Algérie est désormais l’objet de toutes les convoitises. Les hommes d’affaires se bousculent au portillon pour investir dans le bâtiment, le tourisme, les services, les transports, la téléphonie et, bien sûr, les hydrocarbures.
Dans ces conditions, le chef de l’État a estimé qu’il n’était plus utile – qu’il était même dangereux – de continuer à hypothéquer le pétrole et le gaz algériens, pour attirer des financements étrangers. S’il lui avait fallu une belle dose de courage – voire un certain culot – pour avouer à ses compatriotes, le 24 février 2004, que « cette loi sur les hydrocarbures nous a été imposée », il lui en faudra bien davantage aujourd’hui pour justifier sa volte-face. Le 25 juin, lors d’une réunion avec les walis (préfets), il a livré le fond de sa pensée. « Nous sommes parvenus à la conclusion que notre génération n’est pas en mesure de créer une économie alternative au secteur des hydrocarbures. Il faut que nous garantissions aux futures générations leurs parts dans cette richesse naturelle. »
Pour l’heure, les compagnies étrangères n’ont pas officiellement réagi. Mais Chakib Khelil ne nourrit aucune illusion : « Nos partenaires étrangers ne vont pas apprécier d’être privés d’une partie de leurs superprofits, a-t-il commenté. Ils jugeront cela comme un point négatif. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires