Poussée de fièvre à l’Utica
Le syndicat patronal prépare son prochain congrès, au mois de novembre. Dans une conjoncture difficile et sur fond de dissensions internes.
Interrogé en 1995 par Jeune Afrique sur son éventuelle candidature à un troisième mandat à la tête de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica, syndicat patronal), Hédi Djilani, son président, affirmait : « [Ce bail] prendra fin en l’an 2000. Ce sera le dernier. » Avant d’expliquer : « J’aurai consacré douze des plus belles années de ma vie à l’Utica. Je ne le regrette pas, mais j’estime lui avoir assez donné. Et puis il y aura des jeunes qui voudront, légitimement, prendre la relève. Mon souhait est qu’il y ait beaucoup de candidats désireux de prendre ma place. »
Onze ans plus tard – et dix-huit après son accession à la tête du patronat tunisien -, cet homme du sérail, qui a fait l’essentiel de son parcours politique aux côtés du président Ben Ali, est pourtant toujours là, fidèle au poste. Et s’il n’a pas encore officiellement annoncé qu’il briguerait un quatrième mandat lors du prochain congrès de l’organisation, les 21 et 22 novembre, il n’en exclut pas non plus la possibilité
« Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis », dit l’adage. Djilani se l’est approprié sans complexe. Intelligent et excellent communicant, l’homme sait entretenir l’ambiguïté. À une question de l’hebdomadaire Réalités du 26 janvier 2006 à propos de son éventuelle succession, il répondait, sibyllin : « Je ne suis pas partisan d’une candidature automatique. Cela dépendra de plusieurs facteurs. Suis-je encore l’homme de la situation ? La base se retrouve-t-elle dans mon action ? » Si ce n’est pas là une offre de service, cela y ressemble beaucoup.
En tout cas, ses partisans n’ont pas attendu de connaître ses véritables intentions pour s’activer au sein de l’appareil afin de lui ouvrir la voie d’un nouveau bail, jusqu’en 2011. Il n’aurait alors que 63 ans. On n’en est pas encore là
Mais pour se faire « élire » par acclamation – comme le veut la tradition – au prochain congrès national par les quelque deux mille participants représentant toutes les régions du pays, Djilani va devoir triompher, démocratiquement s’entend, des résistances qui s’expriment désormais ouvertement au sein de l’Utica à propos de sa ligne politique.
Certains lui reprochent, notamment, son autoritarisme. « Pour disqualifier ses adversaires, il n’hésite pas à leur coller l’étiquette d’opposant au régime », déclare Rafik Moalla, un homme d’affaires de Sfax. Dans une « Lettre ouverte à Hédi Djilani » diffusée sur Internet, ce dernier n’a pas hésité à appeler le patron des patrons à démissionner de ses fonctions ! « L’Histoire, l’Utica et les générations futures vous seront reconnaissantes pour ce geste courageux » (sic), écrit notamment Moalla.
D’autres, comme Abdelwaheb Moalla, le père du précédent, l’accusent d’être trop consensuel et « plus soucieux de ménager l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), la puissante centrale syndicale, afin de préserver la paix sociale, que de défendre les intérêts des chefs d’entreprise ». Membre de la Chambre syndicale des libraires depuis cinquante ans, Moalla père préside le groupe Le Progrès, spécialisé dans la papeterie. L’une des unités du groupe, la Manufacture tunisienne d’articles de classement (MTAC), dont le siège est à Sfax, est occupée par ses ouvriers depuis le 21 juin 2005.
Djilani devra aussi faire face à la fronde de certaines unions régionales, comme celle de Sfax. Ici, le report sine die du seizième congrès local par décision non motivée du bureau exécutif de Tunis, deux jours avant la date prévue pour sa tenue (le 8 juillet), est très mal passé. D’autant que la décision est intervenue peu de temps après le limogeage de Moncef Khemakhem, l’ex-président de l’Union régionale de l’Utica à Sfax, et le gel de toutes ses activités au sein de la centrale.
Élu en 1995 grâce au soutien de Djilani, ce dernier avait affiché de grandes ambitions pour sa région. D’où sa popularité auprès des chefs d’entreprise locaux. « Le seul reproche que l’on puisse faire à Khemakhem, outre sa popularité, c’est son franc-parler. En le neutralisant dans son fief, on a voulu l’empêcher d’accéder à une responsabilité nationale qui lui était promise », explique un Sfaxien qui tient à garder l’anonymat. Sauf nouveau coup de théâtre, le congrès de l’Union régionale de Sfax se tiendra finalement le 26 juillet. En l’absence de Khemakhem, les débats risquent d’être très animés
La direction de l’Utica ne sera pas pour autant au bout de ses peines. Dans les deux mois à venir, elle devra poursuivre les préparatifs de la grand-messe de novembre (élaboration des documents, logistique, relations extérieures, etc.) et, auparavant, mener à bien les quelque 1 600 congrès des chambres syndicales (secteurs, métiers), unions régionales et unions locales.
Début juillet, 1 450 structures avaient déjà été en partie renouvelées. Mais les opérations ont souvent été houleuses. De nombreuses tensions sont apparues entre les partisans de l’actuel « patron des patrons » et les tenants du renouvellement.
Les participants se sont également inquiétés de la détérioration du climat des affaires et des obstacles qui handicapent le développement des entreprises. Ils ont évoqué, pêle-mêle, l’écart de développement entre les régions, le manque d’infrastructures dans les zones industrielles, l’opacité des procédures d’octroi des marchés publics, l’interventionnisme de l’État, le clientélisme, les pesanteurs bureaucratiques, le manque d’engagement des banques en faveur de l’investissement, la concurrence déloyale du commerce parallèle – presque officiellement toléré -, le renchérissement des coûts de production et, enfin, la réduction des marges bénéficiaires.
Des problèmes que l’on retrouvera évidemment lors du prochain congrès national. En plus, bien sûr, de la conjoncture difficile, liée à la hausse des prix de l’énergie et aux effets négatifs du démantèlement des accords multifibres, qui ont mis le textile local en concurrence directe avec les produits asiatiques sur le marché européen
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