Maroc : Laila Lalami, une romancière en résistance contre Donald Trump

Son dernier roman, « The Other Americans », et ses récentes publications dans la presse américaine font de Laila Lalami une des intellectuelles à la pointe du combat contre la politique migratoire du président américain Donald Trump. Elle vante les effets de la littérature comme moyen de résister à la frénésie xénophobe.

La romancière Laila Lalami. © Page officielle Facebook de Laila Lalami

La romancière Laila Lalami. © Page officielle Facebook de Laila Lalami

Publié le 13 mai 2019 Lecture : 4 minutes.

« Mon père a été tué une nuit de printemps, il y a quelques années, alors que j’étais assise dans le coin d’un nouveau bistrot d’Oakland. » L’incipit de The Other Americans de Laila Lalami a tout de celui d’un roman noir : résumé sec de la trame, il alerte le lecteur sur l’ambiance à suivre. Paru aux États-Unis chez Pantheon Books en mars 2019, il a déjà reçu une importante couverture dans les médias américains.

Mais la mort violente de Driss Guerraoui, frappé par une voiture, n’est pas tant prétexte à une investigation policière, avec ses rebondissements, qu’à une enquête sociologique. C’est le point de départ du roman et d’un effet papillon qui vient déranger une myriade de personnages dans leur routine. Nora Guerraoui, sa fille, est la première narratrice d’une longue liste, qui inclue l’homme, arrivé aux États-Unis du Maroc. Ne sachant que « pontifier sur Sartre ou Levinas » mais issu d’une « longue lignée de boulangers », il s’est installé après avoir entendu parler d’un magasin de donuts à vendre. Dans « ses » chapitres, le lecteur est renvoyé jusque dans sa jeunesse au Maroc : peu de temps avant d’émigrer, il était dans les rues casablancaises lors des émeutes de 1981. Au fil des points de vue qui se télescopent ou se croisent, c’est l’histoire de l’Amérique – en cours d’écriture – que le lecteur découvre. Ce dernier se demande vite, de concert avec les personnages, si la mort de Driss n’est pas un crime raciste.

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Qu’est-ce qu’être « Américain » ?

L’action se déroule dans une petite ville de Californie aux portes du désert des Mojaves – Lalami enseigne au département « Creative Writing » à l’Université de Californie à Riverside. Ce cadre permet à l’auteure de ramasser les ramifications entre les personnages et de planter un décor comme un condensé de la société américaine. Il y a Jeremy, vétéran de la deuxième guerre d’Irak, Efrain, Mexicain sans-papiers, témoin du choc fatal à Driss et qui craint de se faire connaître des autorités, Coleman, enquêtrice noire-américaine qui s’installe tout juste en ville… La politique a pesé sur leurs destinées et leurs déplacements. La trajectoire des personnages interroge : qu’est-ce qu’être un Américain ? Qu’est-ce qu’être un étranger ? Qu’est-ce qu’appartenir à une communauté ?

Née en 1968 à Rabat, Laila Lalami a publié un premier roman en 2005, De l’espoir et autres quêtes dangereuses (Hope and Other Dangerous Pursuits). L’histoire d’un groupe de jeunes Marocains qui traversent le détroit de Gibraltar pour gagner l’Espagne a connu un bon accueil critique. Mais elle est maintenant souvent présentée comme l’auteure de The Moor’s Account : paru en 2014, le livre a reçu plusieurs récompenses et a été finaliste pour le Prix Pulitzer de fiction. Il y était déjà question d’un voyage de l’Afrique vers les Amériques. Celui – véritable – de Estebanico, esclave noir marocain, parti d’Azemmour, sur les côtes marocaines, vers les Amériques au XVIe siècle. Le personnage, véritable explorateur, est resté célèbre dans la mémoire populaire marocaine.

L’angle d’attaque de Lalami était clair : elle restituait à Estebanico le langage dont l’Histoire l’a privé. Victime d’un naufrage, il avait été le seul survivant à qui ses contemporains n’avaient pas demander de témoigner après des années d’errance et d’aventures. Sa couleur de peau ne lui prêtait pas droit à parole, contrairement aux autres rescapés, notamment des Espagnols. Le plus étonnant est qu’aucun des romans de Lalami – qui écrit en anglais et dont son premier roman a été traduit en français – n’a encore été publié en arabe. « Si j’avais écrit en français, je ne sais pas si mon roman aurait jamais paru aux États-Unis », expliquait-elle en 2007 dans une interview à Jeune Afrique.

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Des appels radicaux

Laila Lalami tweete souvent jusqu’à plusieurs fois par jour. Sur son fil Twitter, il est question de la gauche américaine, du roman The Shadow King de l’auteure américano-éthiopienne Maaza Mengiste ou le procès des 54 militants du Hirak au Maroc. La romancière est à son aise sur le réseau social et commente souvent de manière lapidaire les faits et gestes du président Donald Trump.

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La sentence tombe après que Trump a coupé des aides au Salvador, dont des officiels américains affirment qu’elles freinent les départs : « Il crée les conditions qui lui permettront de dire qu’il y a une urgence à la frontière. » C’est aussi une habituée des colonnes prestigieuses de la presse progressiste ou de gauche américaine : The Washington PostThe Nation, New York Times… En 2011 et 2012, elle a ainsi écrit plusieurs tribunes sur les printemps arabes. Son deuxième roman aborde de manière frontale les questions de l’idéologie et des inégalités sociales au Maroc.

Dans plusieurs de ses récentes chroniques, on comprend qu’elle assume la littérature d’intervention. L’ouverture d’une de ses tribunes dans The Nation, en janvier dernier, ne laisse pas de place au doute et ferait un bon titre de manifeste littéraire : « Making sense of the presidency, one novel at a time (Faire sens de la présidence, un roman à la fois). » La politique migratoire de Donald Trump est un sujet dont Laila Lalami s’empare régulièrement. Dans ce billet, comme si elle voulait nous éclairer sur la démarche qui l’a tenue pour l’écriture de son roman, elle écrivait : « Pour bien comprendre les effets de l’immigration sur les citoyens des deux côtés de la frontière, nous devons nous tourner vers la fiction. » Elle vantait la sensation de « reprise de contrôle », la stimulation de l’empathie, la poésie et le temps long propres à la fiction, en opposition à la frénésie dont fait preuve le président américain Donald Trump sur Twitter pour transformer le sujet de l’immigration en « crise ».

« Prendre le temps de la fiction m’aide à rester en dehors de la bulle de l’information et me permet finalement d’être plus engagée en tant que citoyen », concluait-elle.

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