L’homme du désert et le banquier

Le chef de l’État est parvenu à un protocole révisant l’accord pétrolier avec la Banque mondiale. La hache de guerre est-elle pour autant enterrée ?

Publié le 24 juillet 2006 Lecture : 2 minutes.

Et si le maître-chanteur avait gagné en signant le 13 juillet un nouvel accord pétrolier avec la Banque mondiale ? Le 15 avril, au lendemain de sa victoire militaire sur les rebelles à N’Djamena, le président Déby Itno menace de fermer les vannes des champs pétroliers de Doba à la date du 18 avril. Un bluff ? Depuis quatre mois, le chef de l’État tchadien est en conflit ouvert avec les bailleurs de fonds. Il veut utiliser l’argent du pétrole pour acheter des armes, notamment des hélicoptères de combat. La Banque refuse, se fondant sur l’accord de juin 2000 qui consacre quelque 90 % des recettes pétrolières du pays à la lutte contre la pauvreté. Comme le président est revenu sur ses engagements, la sanction tombe. Le 5 janvier 2006, elle bloque le compte tchadien à la Citibank de Londres et suspend tous ses prêts au pays. Le 15 avril, beaucoup pensent que Déby Itno va dans le mur. « C’est un homme du désert. Il pense à très court terme et ce n’est pas rationnel », lâche un observateur.
Mais le 27 avril, coup de théâtre. Le président de la Banque, Paul Wolfowitz, accepte un compromis. Le Tchad s’engage à utiliser 70 % de ses revenus pétroliers à la lutte contre la pauvreté. En échange, la Banque débloque le compte à la Citibank et reprend ses financements. Le 13 juillet, l’accord intérimaire est validé. Un protocole est signé à Washington. « L’homme du désert » obtient ce qu’il voulait : la révision de l’accord de juin 2000. La Banque perd son premier accord-vitrine avec un pays pétrolier.
Explication. D’abord pour une raison économique : le Tchad n’est qu’un petit pays producteur (200 000 barils par jour). Mais à l’heure où l’offre approche de son niveau plafond et où la demande ne cesse d’augmenter, le marché est plus vulnérable. « Depuis qu’il a menacé de fermer ses puits, Déby Itno tient la Banque à sa merci », analyse Daphné Wysham de l’Institut d’études politiques de Washington.
L’autre raison est politique. La France et les États-Unis pensent que le régime tchadien est un rempart contre une menace islamiste venue du Soudan. En avril, l’offensive de rebelles tchadiens armés par le Soudan a fini de convaincre les Américains que Déby Itno était un moindre mal. Difficile pour Paul Wolfowitz, l’ancien numéro deux du Pentagone, de résister aux pressions amicales en faveur d’un compromis avec N’Djamena.
Le plus piquant, c’est que l’enjeu de la dispute entre Déby Itno et Wolfowitz paraît de plus en plus secondaire. « Ils se sont querellés sur la redevance que perçoit le Tchad, soit 12,5 % des recettes pétrolières. Mais l’an prochain, l’État tchadien va percevoir 1,5 milliard de dollars, soit quatre fois plus d’argent, grâce au seul impôt sur les sociétés. Or il pourra faire ce qu’il veut de cette cagnotte », affirme une figure de la société civile tchadienne, Gilbert Maoundonodji, du GRAMP-TC (Groupe de recherche alternative et de monitoring du projet pétrole Tchad-Cameroun).
Wolfowitz le sait, mais se veut rassurant. « Le gouvernement tchadien s’est engagé à ce que tous les revenus du pétrole, et pas seulement les royalties, soient affectés aux besoins fondamentaux des pauvres », a-t-il déclaré le 13 juillet. Pas seulement les royalties ? La bataille entre Déby Itno et Wolfowitz n’est sans doute pas terminée.

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