À l’heure de l’apaisement

La signature d’un accord entre le pouvoir et l’opposition permet la reprise du dialogue avec l’Europe. Même si les obstacles ne sont pas tous levés.

Publié le 24 juillet 2006 Lecture : 4 minutes.

C’est le 7 septembre prochain que le chef de l’État togolais, Faure Gnassingbé, sera reçu pour la première fois sous les ors du palais de l’Élysée. La date a été retenue après le séjour à Paris, du 10 au 15 juillet, d’une délégation togolaise dirigée par Pascal Bodjona, le directeur du cabinet présidentiel, et comprenant notamment le ministre délégué à la Coopération, Gilbert Bawara.
Depuis son élection émaillée de violences et de contestations, en avril 2005, le président togolais attendait de sacrifier au rituel de rigueur pour chaque nouveau chef d’État d’Afrique francophone. Avant de dérouler le tapis rouge au fils et successeur de son « ami personnel » Gnassingbé Eyadéma, décédé en février 2005, Jacques Chirac a pris le temps de voir se confirmer les premiers signes d’apaisement au Togo et la tenue d’un dialogue politique préalable à des législatives « propres ».
Faure Gnassingbé a multiplié les gestes de compromis. Lesquels ont abouti à la signature, le 6 juillet, d’un « accord de base » entre le pouvoir et la majorité de l’opposition. Fruit du Dialogue politique intertogolais ouvert le 21 avril à Lomé, l’accord, quoique partiel, règle de nombreux contentieux qui empoisonnaient la vie politique du pays depuis 1990.
Les contours d’une Commission électorale nationale indépendante (Ceni) ont été définis. Chargée de gérer les législatives anticipées prévues au premier semestre 2007, la Ceni devrait être composée de cinq représentants de la mouvance présidentielle, de deux issus de chacun des cinq partis d’opposition, de deux de la société civile et de deux de l’administration. La condition de résidence au Togo, prévue par la Constitution, ne sera pas appliquée aux candidats à la députation.
Le fichier électoral, objet de vives contestations, va être entièrement reconstitué après un recensement général de la population, qui devrait débuter avant la fin de l’année 2006 et servir de base à la confection de « cartes d’électeur infalsifiables ».
La question de l’armée a été abordée, dans un pays où les troupes n’ont jamais cessé de mettre la vie politique sous coupe réglée. Le Dialogue a rappelé la nécessité d’un retour à une armée apolitique et républicaine, éloignée des tâches de maintien de l’ordre, recomposée de manière à tenir compte de la diversité du pays (l’écrasante majorité des gradés est issue de l’ethnie kabyé, celle du chef de l’État).
Deux commissions ont également été mises en place : l’une pour faire la lumière sur les violences politiques, l’autre pour organiser le retour des personnes déplacées par les émeutes postélectorales d’avril et mai 2005.
Pour couronner le tout, un nouveau « gouvernement de plus large ouverture » devrait être nommé. L’actuelle équipe, dirigée par Edem Kodjo, comprend treize ministres issus de ?l’opposition modérée, sur trente-trois membres.
En dépit de ces « avancées », deux des neuf forces politiques ont refusé de signer l’accord. L’Union des forces du changement (UFC, principal parti de l’opposition) de Gilchrist Olympio et la Convention démocratique des peuples africains (CDPA) de Léopold Gnininvi ont estimé que « des points de désaccord importants » subsistaient. Avant de réclamer une autre composition de la Ceni, la suppression du mode de scrutin (majoritaire à un tour) en vigueur pour les législatives, et une réforme constitutionnelle pour élaguer la condition de résidence qui a empêché Gilchrist Olympio d’être candidat à la présidentielle d’avril 2005.
Retour donc au face-à-face Rassemblement du peuple togolais (RPT)-UFC, un affrontement entre deux logiques (la légitimité de l’héritier opposée à la vendetta personnelle), sur fond de détresse d’une population traumatisée.
La défection au dernier moment d’Olympio, le principal adversaire du régime, a, c’est certain, atténué la portée de l’accord du 6 juillet. Et c’est sans nul doute pour parachever le consensus que le RPT, au pouvoir, a engagé des pourparlers discrets avec l’UFC.
Pour les conduire, Faure Gnassingbé a choisi Pascal Bodjona. Véritable trait d’union entre les deux formations, ce dernier, principal collaborateur du chef de l’État, est le fils d’Antoine, un cacique de l’UFC.
Début juillet, le directeur du cabinet présidentiel, accompagné de Dama Dramani, secrétaire général du RPT, a rencontré, à Accra, Gilchrist Olympio, entouré de proches, parmi lesquels son homme de confiance Jean-Pierre Fabre. Une première réunion avait eu lieu le 6 juin entre les deux parties, au domicile parisien du leader de l’UFC.
Selon une source ayant pris part aux deux conclaves, « il s’est agi d’explications directes entre Togolais. Si le principe de se retrouver autour de l’essentiel a été proclamé, des désaccords profonds subsistent sur la réforme de l’armée et sur la modification de dispositions constitutionnelles comme la condition de résidence des candidats à la présidentielle. »
Pour sa part, l’Union européenne (UE) suit attentivement ces discussions secrètes. Et attache un grand intérêt à leur réussite. Le consensus entre les différentes forces politiques constitue un des « 22 engagements » souscrits en avril 2004 auprès d’elle par les autorités togolaises.
Mais la commission de l’UE a beaucoup évolué dans sa position depuis 1993, quand elle a suspendu sa coopération avec le régime de Gnassingbé-père pour « déficit démocratique ». À en croire un de ses fonctionnaires, l’UE n’est plus dans une logique de confrontation avec le pouvoir en place à Lomé. Après avoir poussé les partis de l’opposition dite radicale à discuter, elle ne rate plus aucune occasion pour faire remarquer qu’elle attend de tous des « concessions mutuelles ». Un net revirement qui a été pour beaucoup dans la participation de l’ensemble des partis politiques au Dialogue entamé le 21 avril. Mais également dans la poursuite en coulisses de la discussion entre le RPT et l’UFC.
La France, sur laquelle compte le régime de Faure Gnassingbé pour renouer avec l’Europe et avec les bailleurs de fonds internationaux, paraît aujourd’hui compréhensive. Paris semble avoir fermé les yeux sur le « cas » Charles Debbasch, du nom de ce conseiller du président togolais condamné dans l’Hexagone pour « escroquerie ». Lomé ne subit plus de pressions pour le rapatrier.

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