Le second souffle

Près de vingt ans après sa création, et alors que ses manifestations culturelles rencontrent un succès grandissant, l’IMA semble en voie de résoudre ses problèmes financiers chroniques.

Publié le 24 juillet 2006 Lecture : 6 minutes.

« C’est à l’IMA et nulle part ailleurs ! » s’exclame Camille, jeune arabisante habituée des locaux de l’Institut du monde arabe. Elle vient de traverser le portique électronique de l’élégant immeuble de verre de dix-neuf étages situé sur le quai Saint-Bernard, en face de la cathédrale Notre-Dame, au cur du Paris historique. Elle a du mal à contenir sa joie en découvrant la liste de la centaine de films programmés pour la 8e Biennale des cinémas arabes organisée, du 22 au 30 juillet, dans ce centre culturel franco-arabe unique au monde.
Depuis le début de l’année, le public de l’IMA n’a cessé de s’extasier. Clôturée le 9 juillet, La Saison du Golfe a fait le bonheur de milliers de Parisiens qui ont pu découvrir la foisonnante production artistique de l’Arabie. En mars, l’exposition L’Âge d’or des sciences arabes, ouverte en octobre 2005, avait drainé 200 000 visiteurs. Conçue autour de deux cents pièces prêtées par des musées arabes et occidentaux, cette manifestation a permis d’explorer les savoirs et pratiques de la civilisation arabo-musulmane, à son apogée entre le VIIIe et XVe siècles. Et surtout de mettre en relief l’apport, parfois décisif, des savants arabes dans des domaines aussi divers que les mathématiques, la géographie, la médecine ou l’astronomie. Un an plus tôt, l’exposition Pharaon s’était achevée sur plus de 700 000 entrées. Un chiffre record qui confirme la fascination qu’exerce l’Égypte antique sur les Français.
Les expositions grand public ne sont pas l’unique activité de l’Institut. Derrière les moucharabiehs du bâtiment dessiné par l’architecte Jean Nouvel, on trouve une bibliothèque riche de 70 000 volumes et une librairie qui ne désemplit pas. Le musée est le « parent pauvre » de la maison : « Nous n’avons pas pu obtenir de prêts des collections publiques françaises », regrette-t-on quai Saint-Bernard. Premier sollicité, le Louvre préfère garder ses chefs-d’uvre pour son nouveau département des arts de l’Islam.
De nombreux visiteurs viennent également assister aux conférences et aux débats organisés par l’Institut, qui ne cesse d’élargir son offre, des salons de livres (notamment le Salon euro-arabe qui présente, tous les deux ans, la production éditoriale à la fois du et sur le monde arabe) aux spectacles de musique Curieusement, le restaurant, qui offre une des plus belles vues panoramiques sur le vieux Paris, n’est pas franchement un succès.
Peu importe. L’IMA, inauguré le 30 septembre 1987 par François Mitterrand et Chedli Klibi, l’ancien secrétaire général de la Ligue des États arabes, a tenu ses promesses. Il est devenu un véritable « pont culturel » entre la France et le monde arabe et attire, chaque année, un million de visiteurs. Ce public est forcément composite. On y trouve certes les spécialistes du monde arabe, les orientalistes, mais aussi le grand public français et international. L’Institut est devenu aussi, comme aime à souligner Ouerdia Oussedik, responsable des actions éducatives, un point de repère des jeunes Français issus de l’immigration notamment maghrébine. Soixante mille d’entre eux viennent, chaque année, découvrir leurs racines culturelles dans l’établissement.
L’IMA est également un point de rencontre pour les intellectuels arabes qui habitent l’Hexagone ou sont de passage en Europe. « Tous les protagonistes de la scène culturelle arabe peuvent s’y confronter en toute élégance et sans débordement notable », soutient un familier de l’institution à laquelle certains reprochent, cependant, d’être peu audacieuse. « Cette maison avait les moyens d’être une vitrine du travail de critique radicale dont les sociétés arabes et l’Islam ont besoin, c’est devenu au contraire un lieu qui désamorce », soutien l’écrivain d’origine tunisienne Abdelwahab Meddeb.
Farouk Mardam-Bey, le spécialiste de la littérature arabe de l’IMA, ne le dément pas quand il affirme que l’établissement a toujours cherché à éviter certains sujets « sensibles » tels que l’islamisme et la question berbère De même certaines programmations sont-elles jugées « complaisantes ». Ce fut le cas, en 2005, d’une exposition des toiles du prince Khalid al-Faiçal, frère de l’actuel ministre saoudien des Affaires étrangères. Peintre du dimanche, Seif al-Islam Kadhafi, fils et dauphin potentiel du « Guide » libyen, avait eu droit à un traitement similaire.
Cette attitude n’est pas incompréhensible. Le centre culturel est le fruit de la coopération entre Paris et les capitales arabes. Il est placé sous l’autorité d’un conseil d’administration composé de six représentants du Quai d’Orsay et de six ambassadeurs arabes (actuellement, ceux de l’Égypte, du Maroc, du Qatar, de Djibouti, de l’Irak et de la Tunisie) élus à tour de rôle. L’Élysée nomme le président de l’IMA. Son directeur général, lui, est désigné par la partie arabe. C’est ainsi que Mokhtar Taleb-Bendiab (73 ans), ancien directeur du Centre culturel algérien à Paris, a pu accéder à ce poste en mai 2005. Aujourd’hui, ce diplomate chevronné, diplômé de l’Institut des études stratégiques du Caire, travaille main dans la main avec l’ancien ministre du général de Gaulle Yves Guéna (84 ans), nommé à la présidence en juillet 2004. Leur priorité ? Mettre fin à la crise financière chronique de l’IMA.
Les soucis de l’établissement en la matière ont commencé très tôt. Dès le déclenchement de la crise du Golfe en 1990, nombreux ont été les pays arabes à suspendre le paiement de leurs cotisations annuelles. Selon le schéma initial, la partie arabe était tenue de supporter 40 % des charges alors que le Quai d’Orsay en assumait 60 %. Paris a toujours globalement joué le jeu. Mais il a longtemps refusé d’augmenter d’un centime sa quote-part, qui plafonnait à 8,7 millions d’euros.
Nommé en novembre 1995 à la présidence d’un IMA au bord de la faillite, Camille Cabana, proche de Jacques Chirac, met en place, dans la précipitation, un montage financier qui se révélera inefficace : il promet à chaque contributeur qui s’acquittera de la totalité de ses arriérés d’être, une bonne fois pour toutes, exonéré de sa contribution annuelle. La plupart des pays membres saisissent la balle au bond. À l’époque, on pensait que la somme ainsi dégagée – qui a servi à créer un fonds de 40 millions d’euros – allait produire des intérêts suffisants pour compenser la perte de cotisations. Il n’en fut rien. Aujourd’hui, ce fonds rapporte à peine 1,5 million d’euros par an.
Les difficultés reprennent donc vite. En 2005, on craint même le pire. L’IMA est incapable de boucler son budget (environ 20 millions d’euros pour 2006). Le haut lieu de la culture arabe en Occident – dont les recettes propres couvrent pourtant presque la moitié des dépenses – est sous le coup d’une double menace : le licenciement d’une partie des 160 salariés et la réduction des activités de l’établissement. L’émoi est vif. Un projet de pétition de solidarité avec l’Institut circule dans les milieux intellectuels parisiens.
Le Quai d’Orsay finira par débloquer les 2 millions d’euros qui manquent. Un geste assorti d’une double condition : limiter les dépenses et obtenir un « effort » similaire des pays arabes. La direction estime qu’il ne faut pas s’arrêter là, mais chercher des solutions durables au déficit chronique de l’Institut. Le duo Guéna/Taleb-Bendiab mobilise alors ses relais en France et dans les pays arabes. Résultat : Paris vient de décider d’augmenter sa contribution annuelle de 2,6 millions d’euros tandis que, dans les capitales arabes, les promesses sont innombrables. Certains envisagent désormais de reprendre le versement de leurs cotisations. D’autres, comme les Libyens, redevables à l’Institut de 13 millions d’euros, auraient déjà accepté l’idée d’apurer leur passif. Les pays de la péninsule Arabique ont pour leur part pris en charge le financement de La Saison du Golfe. Des partenaires étrangers tels que l’Union européenne, qui assume une partie des coûts financiers de la Biennale des cinémas arabes, seront de plus en plus sollicités. « Chacun est soucieux, se réjouit-on au siège de l’IMA, de la pérennité de cette passerelle culturelle entre l’Occident et l’Islam qui, en ces temps de crispations entre les deux sphères civilisationnelles, a admirablement fait ses preuves. »

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