Le Rif sauvé des bulldozers

Sous l’impulsion de la photographe Yto Barrada, la vieille salle vivra bientôt une nouvelle existence. La Cinémathèque de Tanger prend forme.

Publié le 24 juillet 2006 Lecture : 3 minutes.

« La photo sur le mot fin
Peut faire sourire ou pleurer
Mais je connais le destin
D’un cinéma de quartier
Il finira en garage
En building supermarché
Il n’a plus aucune chance
C’était sa dernière séance
Et le rideau sur l’écran est tombé. »

Ces paroles de « La Dernière Séance », interprétées par le chanteur français Eddy Mitchell, ne s’appliqueront jamais au vieux cinéma Rif de Tanger. Et c’est tant mieux. Ni parking ni centre commercial, il deviendra la Cinémathèque de Tanger. Une renaissance inespérée dans une ville qui a vu fermer plus de 50 % de son parc cinématographique au cours des trente dernières années. Mais c’est surtout, au départ, un projet ambitieux pour lequel la photographe Yto Barrada se bat depuis cinq ans. Pour le voir aboutir, elle a déjà levé pas moins de 480 000 euros rien que pour l’acquisition du bâtiment, sa rénovation et son équipement. Il fallait les trouver. Si les fondations ONA et Ford, ainsi que l’Agence de développement du Nord figurent en bonne place parmi les mécènes qui ont permis la réalisation de ce rêve, d’autres, depuis, les ont rejoints. Comme la styliste Agnès B, la Cinémathèque de France ou Marin Karmitz, propriétaire des cinémas MK2.
Pour l’heure, tout n’est que chantier. La place du Grand Socco – que les vieux Tangérois appellent encore el-Zoco de fuera (le souk extérieur) parce qu’il est situé en dehors des murs d’enceinte de la vieille ville – est éventrée chaque jour par les marteaux-piqueurs. Sur la gauche en sortant du cinéma, l’élégante mosquée Sidi Bouabid, en restauration, est couverte d’échafaudages, et le Rif lui-même, dont la façade de style années 1940 donne sur la place, est transformé en ruche ouvrière. Une ruche où Yto est la reine, évidemment, même si elle doit enjamber sacs de plâtre et câbles électriques pour rejoindre son bureau. Mais quand le rideau se lèvera en septembre prochain -, ce sera pour découvrir un superbe écran de 11 mètres servi par une batterie d’équipements modernes. De quoi projeter tous les formats (35 mm, vidéos, DVD, etc.) et offrir au public « le meilleur de ce qui sort chaque semaine au Maroc ». En version originale, bien sûr. Voilà pour la grande salle aux fauteuils rouges (410 places assises), où la programmation sera légèrement plus commerciale que celle de la petite salle (50 places), réservée aux films d’art et essai, aux classiques et autres documentaires. Comme Jean Vilar, en son temps, l’a fait pour le théâtre, Yto Barrada et ses complices ont l’ambition de donner à voir à un public populaire aussi bien des uvres du répertoire, marocain ou international, que des classiques universels et des films d’auteurs contemporains. Résolue à ignorer la dictature des circuits commerciaux, la petite équipe de la Cinémathèque de Tanger envisage de proposer diverses manifestations culturelles, des ateliers de formation et même un festival. À ce sujet, un détail a été décisif dans le choix du Rif – il était alors en concurrence avec d’autres vieux cinémas de la ville comme le Lux, le Roxy, le Goya, le Paris ou le Mauritania : dans la cabine qui donne sur la place du grand Socco, il suffit de faire pivoter le projecteur de 180 degrés pour pouvoir organiser des séances en plein air, sur écran géant. Et là, ce ne sont plus 500 spectateurs, mais bien 4 000 qui pourront rire, pleurer et applaudir, sous les étoiles. De belles soirées en perspective.
À l’heure où Tanger et ses environs se couvrent de projets immobiliers bien bétonnés, où la Médina et la Casbah se figent peu à peu dans leur décor de carte postale, voilà une initiative qui a pour ambition de rendre un peu de son éclat culturel d’antan à la cité cosmopolite.

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Sur Internet : www.cinemathequedetanger.com

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