Le Hezbollah ou comment s’en débarrasser

1949, 1956, 1967, 1973, 1982, 2006. Depuis la création de l’État d’Israël, pas moins de six guerres. Celle qui fait rage au Liban (et à Gaza) ne ressemble pas aux précédentes. Au cur du conflit, une milice chiite : le Hezbollah, et son chef Hassan Nasral

Publié le 24 juillet 2006 Lecture : 6 minutes.

Israël mène sa guerre au Liban sans aucun égard pour les populations civiles. Objectif : détruire le Hezbollah, comme il tente de détruire le Hamas depuis six mois dans les Territoires palestiniens occupés.
Au Liban, sa stratégie semble être de vider le sud du pays de sa population et de chasser les chiites des territoires où ils vivent depuis des siècles. Quelque six cent mille personnes ont déjà été déplacées, tandis que leur pays est méthodiquement dévasté, étranglé. Pourquoi tant de sauvagerie ? Pour Tsahal, les attaques du Hezbollah et du Hamas au-delà de la frontière et la capture de trois de ses hommes ont constitué une humiliation qui a fâcheusement affecté sa capacité de dissuasion. Un tel affront ne pouvait rester impuni et les responsables israéliens ont décidé de faire payer aux Arabes le terrible prix de leur audace.

Les militaires israéliens ont un vieux compte à régler avec le Hezbollah, qui, par d’incessantes opérations de guérilla, les a contraints à se retirer du Sud-Liban, en 2000. Grâce à ce succès, le mouvement chiite a prouvé au monde arabe – et aux Palestiniens en premier lieu – qu’Israël n’est pas invincible. Aujourd’hui, ce dernier s’efforce de remettre les choses à leur place.
Il ne fait aucun doute que certains faucons comme le général Dan Halutz, le chef d’état-major, regrettent que, lors de l’invasion du Liban, en 1982 (dix-sept mille morts), Israël n’ait pas « fini le travail », ne soit pas parvenu à soumettre ce pays et à le placer durablement dans son orbite. Pourtant, cette fois encore, Israël pourrait découvrir que son objectif de détruire le Hezbollah et le Hamas est inaccessible. Il s’agit en effet de mouvements disposant d’un important soutien populaire. Même si Tsahal parvient, à court terme, à les écraser, il est fort probable qu’ils renaîtront rapidement de leurs cendres et chercheront à prendre leur revanche. Pour « vaincre », il ne suffira pas aux Israéliens de tuer quelques centaines de personnes.
Chef du Hezbollah et ennemi numéro un d’Israël, le cheikh Hassan Nasrallah a plusieurs fois mis en garde ses ennemis contre de possibles « surprises ». Les tirs de missiles déclenchés contre Haïfa, la troisième ville du pays, et la mise hors de combat d’un navire parmi les plus modernes de la flotte israélienne constituent assurément des « surprises » douloureuses. En portant la guerre sur le sol israélien, le mouvement chiite a mis à mal la doctrine stratégique de l’État hébreu, selon laquelle les combats doivent toujours se dérouler en territoire arabe.

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Mais la plus grande « surprise » que le Hezbollah garde dans sa manche pourrait être de survivre à la crise en cours. Plus longtemps il tiendra et plus Israël sera confronté à de délicats problèmes avec la communauté internationale et plus forte sera la pression de l’opinion sur les régimes arabes qui restent à l’écart du conflit.
Israël a toujours compté sur la force pour assurer sa sécurité. Depuis sa création, en 1948, son ambition est de dominer la région par des moyens militaires. Sa doctrine se fonde sur la conviction que les Arabes ne seront jamais assez forts pour menacer son hégémonie. Fondamentalement, c’est là une attitude raciste. Pourtant, derrière ces fanfaronnades se dissimulent une paranoïa profondément ancrée et un fort sentiment d’insécurité. De très nombreux citoyens israéliens sont convaincus que les Arabes ne songent qu’à attenter à leur vie, que leur existence est en permanence menacée. Pour eux, il n’est apparemment d’autre choix que de tuer ou d’être tué. Cette conception terriblement sombre de leur environnement contribue à expliquer le caractère disproportionné de leur riposte, mais aussi leur mépris flagrant de la légalité internationale.
L’État hébreu ne peut persister dans cette voie qu’en raison de l’extraordinaire immunité dont il bénéficie de la part des États-Unis. Le soutien politique, diplomatique et stratégique que ces derniers apportent à leur allié est, à l’évidence, l’un des aspects les plus saisissants de cette crise. L’administration Bush est allée jusqu’à fournir 300 millions de dollars de carburant à l’aviation israélienne pour lui permettre de continuer à écraser le Liban !

Cette grossière partialité des États-Unis a totalement paralysé le Conseil de sécurité de l’ONU, le G8 et l’Union européenne. La pression américaine a été telle qu’aucune de ces institutions n’a osé exiger l’arrêt immédiat de l’offensive. Suivant aveuglément son Big Brother américain, le Royaume-Uni s’est borné à répéter qu’« Israël a le droit de se défendre », tandis que la France, pourtant protectrice traditionnelle du Liban, a plus nettement mis en cause la responsabilité du Hezbollah que celle d’Israël dans les destructions et les pertes en vies humaines.
On définit généralement le terrorisme comme l’assassinat aveugle de civils innocents à des fins politiques. Or n’est-ce pas très précisément ce qu’Israël est en train de faire au Liban et à Gaza ? Ne tue-t-il pas un nombre considérable de civils libanais et palestiniens dans le seul but d’annihiler politiquement le Hezbollah et le Hamas ? Selon ces critères, ce pays se rend coupable de terrorisme d’État. Mais massacrer des Arabes au hasard et écraser leurs pays sous les bombes aura inévitablement des conséquences néfastes pour sa propre sécurité. Son comportement terroriste exacerbe celui de ses ennemis. De même que le soutien sans réserve que lui apportent les États-Unis renforce le terrorisme antiaméricain.
Ledit soutien montre bien qu’il ne s’agit pas seulement d’une guerre entre le Hezbollah et Israël. En tentant de soumettre le Liban par les bombes, ce dernier cherche en réalité à briser l’axe Iran-Syrie-Hezbollah, ultime obstacle à la domination américano-israélienne sur la région. S’il ne s’agissait que d’un conflit local, les Israéliens auraient accepté l’échange de prisonniers que lui proposaient le Hamas et le Hezbollah, comme ils l’ont fait dans le passé à de multiples reprises. Quelque dix mille prisonniers continuent de croupir dans les geôles israéliennes. Obtenir leur libération demeure l’un des principaux objectifs des Palestiniens.
La vérité est que la guerre a une dimension beaucoup plus vaste. Si les États-Unis ont lâché la bride à Israël, c’est pour tenter de conjurer deux graves menaces, de leur point de vue : celle de voir l’Iran se doter de l’arme nucléaire ; et celle de leur propre défaite en Irak. Ils ont le plus urgent besoin de reprendre l’initiative dans le « Grand Moyen-Orient » et ont acquis la conviction – peut-être sous l’influence des amis d’Israël au sein et en dehors de l’administration – que leur allié peut les y aider. D’ailleurs, les néoconservateurs ne cessent de claironner qu’une victoire de Tsahal au Liban serait aussi une victoire des États-Unis. Et inversement.
Tel est le background qui permet de comprendre les mobiles de la guerre israélienne. Laquelle a manifestement été planifiée avec soin, de concert avec les États-Unis et avec les encouragements de certains chrétiens libanais extrémistes, pas mécontents de voir Israël se charger du « sale boulot » et « casser » le Hezbollah.

Mais le conflit comporte une autre dimension qui ne contribue pas à simplifier les choses. Les pays producteurs de pétrole du Golfe redoutent une modification du rapport des forces régional. Ils veulent continuer de jouir de leur immense prospérité à l’abri du parapluie américain et craignent par-dessus tout que l’Iran parvienne à asseoir sa domination – sans parler de l’affirmation du particularisme chiite. C’est ce qui explique leur stupéfiante passivité face à l’agression. Mais en s’abstenant de condamner Israël et de voler au secours du Liban et de Gaza, ils s’exposent à la vindicte de l’opinion arabe. L’impact potentiellement explosif sur cette dernière de la guerre au Liban et du martyre palestinien doit d’autant moins être sous-estimé que les terribles images du conflit sont largement relayées par les chaînes arabes. Le mépris de la vie des Arabes manifesté par les Israéliens risque de convaincre de nombreux jeunes que toute cohabitation à long terme avec eux est impossible. Certains intellectuels arabes voient de plus en plus Israël comme un État colonial, qui, le cas échéant, pourrait être appelé à disparaître comme disparut naguère l’empire colonial européen.
Lors du Sommet de Beyrouth, en mars 2002, les États arabes s’étaient déclarés prêts à établir des relations normales, pacifiques, avec l’État hébreu, dans le cadre de ses frontières de 1967. Mais ce dernier, fermement décidé à étendre lesdites frontières, a décliné. Pour Israël, le moment est sans nul doute venu de reconsidérer sa position : la proposition faite à Beyrouth tient toujours.

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