Le colonel Kroma mène l’enquête

Avec le talent qu’on lui sait, l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop poursuit son exploration des grands maux de l’Afrique contemporaine.

Publié le 24 juillet 2006 Lecture : 2 minutes.

C’est peu dire que Boubacar Diop est un romancier exigeant avec lui-même. Il a écrit et publié en wolof son avant-dernier texte de fiction, Doomi Golo (Papyrus, 2003), parce que, pour lui, seules les langues de l’Afrique portent l’avenir de sa littérature (voir l’interview dans J.A. n° 2346-2347). Ce faisant, il s’est privé volontairement d’un nombreux lectorat. En vingt-cinq ans, depuis la publication du Temps de Tamango (L’Harmattan, 1981), cet ancien professeur de lettres et de philosophie passé au journalisme et qui fête cette année ses 60 ans s’est imposé comme l’un des plus brillants représentants de la littérature africaine de langue française.
Boubacar Boris Diop ne fait pas dans la facilité. Ses romans répondent à une architecture complexe, et chacun d’eux est porteur d’une interrogation sur les maux de l’Afrique contemporaine. Son projet est d’aider les Africains, les jeunes en particulier, à s’interroger sur l’état de leur société. Dans ses ouvrages de politique-fiction, il fait parfois intervenir plusieurs narrateurs, qui apportent des éclairages différents sur un même événement. Au lecteur de se faire son jugement.
Comme dans Les Traces de la meute (L’Harmattan, 1973), où un commissaire menait l’enquête sur un meurtre odieux, ce sont les investigations d’un policier, le colonel Asante Kroma, ancien chef des renseignements généraux d’un pays en proie à la guerre civile, qui servent de fil conducteur à Kaveena. Le livre commence quand Kroma, pénétrant dans une maison isolée, découvre le cadavre de N’Zo Nikiema. Après trente ans de pouvoir dictatorial, ce dernier a été renversé par son ancien allié, le Français Pierre Castaneda, à la fois homme d’affaires et mercenaire. Recherché activement depuis plusieurs semaines par le nouveau maître du pays, le président déchu avait trouvé refuge dans la demeure d’une jeune artiste-peintre du nom de Mumbi où il est mort de sa belle mort.
Bientôt, le policier met la main sur les notes secrètes de Nikiema. Il y découvre la liaison que celui-ci entretenait avec Mumbi, contrainte de se prostituer pour vivre. Surtout, c’est toute l’histoire récente du pays, marquée par les rapports troubles entre un président fantoche et son mentor blanc, qui se déroule au fil des pages de ce carnet. Entre les lignes, le lecteur peut retrouver dans l’assassinat d’opposants et de syndicalistes la destinée de figures comme Lumumba ou Ruben Um Nyobé, symboles du nationalisme africain.
Comme pour compliquer les choses, Boubacar Boris Diop insère dans son récit le meurtre rituel de la petite Kaveena, la fille de Mumbi. Nikiema et Castaneda se renvoient la responsabilité du crime, qui apparaît comme une métaphore de la tragédie vécue par un peuple livré aux appétits de ses dirigeants.

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