La révolution des Officiers libres
En ce début d’été 1952, l’Égypte est au bord de l’explosion. Pourtant, dans ses innombrables palais, le roi Farouk Ier enchaîne les banquets bien arrosés et semble totalement inconscient de la fièvre nationaliste et anticoloniale qui s’est emparée de son pays. Depuis des mois, il ne se passe pratiquement pas de jour sans qu’ait lieu un attentat. Les attaques visent les troupes britanniques stationnées dans la région du canal de Suez, mais aussi des bars, des cinémas, des centres touristiques…
Pourquoi cette violence ? Pour saper le pouvoir royal et venir à bout de ses protecteurs anglais. Qui l’entretient ? Tous les groupes révolutionnaires : Frères musulmans, communistes, nationalistes ou Officiers libres. Tous jouent des coudes dans la course contre la montre engagée pour renverser la monarchie. À l’aube du 23 juillet, ce sont les Officiers libres qui l’emportent. La veille, à l’issue d’un coup d’État pacifique, ils ont pris le contrôle des centres névralgiques du Caire et mis hors d’état de nuire la haute hiérarchie militaire. Ils sont conduits par un colonel de 34 ans, Gamal Abdel Nasser, un héros de la guerre de Palestine en 1948. Le 26 juillet, ils contraignent Farouk à abdiquer en faveur de son fils, Fouad II. Le jour même, le souverain déchu prend le chemin de l’exil. Un an plus tard, les putschistes annoncent la mise en uvre d’une réforme agraire. Leur objectif est de créer une classe de petits propriétaires terriens dévoués au nouveau régime et de limiter l’influence des latifundiaires, grands alliés de la cour.
Âme de la conspiration, Nasser n’a pas encore les coudées franches. Placé à la tête de la junte par les Officiers libres, le général Mohamed Néguib est un homme respecté, mais indécis. Il flirte avec les Frères musulmans et plaide pour le maintien du système politique libéral. Ce n’est qu’en janvier 1953 que le jeune colonel obtient la dissolution des partis et leur remplacement par une formation unique : le Rassemblement pour la libération, qui deviendra par la suite l’Union nationale, puis l’Union socialiste arabe. Le 18 juin, la République est proclamée. Devenu président de la République et président du Conseil, Néguib tente de s’opposer à la dérive autoritaire engagée par Nasser. À l’issue d’un long bras de fer, il est écarté du pouvoir le 13 novembre 1954. Son rival, qui, un mois auparavant, a échappé à un attentat commis par un Frère musulman, devient le maître incontesté de l’Égypte et s’empresse de jeter ses opposants (communistes, libéraux et islamistes) en prison. Nationaliste, il souhaite se maintenir à égale distance des Soviétiques et des Occidentaux. En avril 1955, il participe à la conférence de Bandung, en Indonésie, et devient, avec l’Indien Nehru et le Yougoslave Tito, l’un des trois pères fondateurs du mouvement des non-alignés. Mais le 19 juillet 1956, Américains et Britanniques refusent de financer la construction du barrage d’Assouan. Furieux, le raïs se jette dans les bras de l’URSS.
Nasser, qui a contraint les derniers soldats britanniques a évacuer l’Égypte deux ans avant la date prévue, veut désormais aller plus loin. Le 26 juillet, il annonce la nationalisation du canal du Suez. Israël, en guerre avec l’Égypte depuis 1948, réagit en envahissant le Sinaï. Début novembre, un corps expéditionnaire franco-britannique s’empare de Port-Saïd. Mais les forces de la coalition sont contraintes de battre en retraite sous la pression conjointe des Américains et des Soviétiques. Le prestige de Nasser en sort considérablement grandi. Désormais, il est le champion du monde arabe, dont il incarne l’aspiration à la libération et à l’unité. Il apporte une aide massive aux nationalistes algériens du FLN et, en 1958, crée avec la Syrie la République arabe unie – qui sera dissoute trois ans plus tard.
Le déclin commence avec la défaite de 1967 face à Israël. Le raïs n’y survivra qu’à peine trois ans. Anouar al-Sadate, son successeur, liquidera l’essentiel de son héritage en libéralisant l’économie et en signant, en 1978, une paix séparée avec l’État hébreu. De Nasser, il ne conservera que l’autoritarisme.
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