Haute tension

Le processus de paix entre dans une phase décisive. Et les partisans de Laurent Gbagbo menacent.

Publié le 24 juillet 2006 Lecture : 4 minutes.

Après six mois d’accalmie, les « jeunes patriotes » sont à nouveau descendus dans les rues d’Abidjan et des autres villes ivoiriennes contrôlées par les loyalistes, le 19 juillet, dans le cadre d’une « journée pays mort ». Le « bataillon civil » du président Laurent Gbagbo entendait ainsi donner un coup d’arrêt aux « audiences foraines » destinées à identifier la population dans la perspective des élections prévues pour le 31 octobre.
Tôt le matin, les troupes de Charles Blé Goudé ont donc pris position dans les principales artères de la capitale économique, dressé des barricades à l’aide de pneus et de matériaux divers, restreint la circulation et paralysé toute activité. Partout, sauf à Abobo, la populeuse banlieue est d’Abidjan, majoritairement peuplée d’Ivoiriens originaires du Nord et d’étrangers, les opérations d’identification des électeurs ont été interrompues.
Tandis que les « patriotes » scandent leurs slogans (« Non au vote des étrangers », « Désarmement avant identification », « Banny, démission »), Gbagbo travaille dans sa résidence de Cocody et enchaîne les conversations téléphoniques. Il s’entretient tour à tour avec son homologue sud-africain Thabo Mbeki, avec le Premier ministre Charles Konan Banny, avec Mamadou Koulibaly, le président de l’Assemblée nationale, ainsi qu’avec Pierre Schori, le représentant spécial de Kofi Annan en Côte d’Ivoire.
Vers 13 h 30, le chef de l’État est rejoint par Konan Banny, qui arrive à bord d’une Mercedes noire banalisée. D’autant plus curieux que le chef du gouvernement, à qui la résolution 1633 du Conseil de sécurité accorde des pouvoirs de police pour lui permettre d’appliquer sa feuille de route, n’a pas pris la peine de faire évacuer le moindre barrage par les forces de sécurité ! Très vite, il demande à Gbagbo d’appeler ses partisans à rentrer chez eux. Presque au même moment, Mamadou Koulibaly reçoit Charles Blé Goudé à son domicile. Il l’invite à lever les barrages pour que les discussions engagées entre Gbagbo, Konan Banny et Schori puissent se dérouler dans la sérénité. Une démarche analogue est entreprise auprès de Blé Goudé, par téléphone, par Aubrey Hooks, l’ambassadeur des États-Unis.
Aux environs de 14 heures, Dlamini Zuma, la ministre sud-africaine des Affaires étrangères, atterrit à Abidjan. Elle descend de l’avion en compagnie de Sarata Touré Ottro-Zirignon et de Désiré Tagro, respectivement directrice adjointe du cabinet et porte-parole de Gbagbo, lesquels s’étaient rendus quelques jours auparavant à Pretoria, porteurs d’une lettre datée du 11 juillet. Leur « patron » y demandait à Mbeki de lui désigner, compte tenu du rôle d’arbitre qui lui a été reconnu à Pretoria le 6 avril 2005, l’organe compétent pour élaborer le fichier électoral. Réponse de Mbeki, transmise par Zuma : il s’agit de l’Institut national des statistiques (INS). À ceux qui seraient tentés de contester la compétence dudit institut, le Sud-Africain suggère de s’interroger aussi sur l’éligibilité d’Alassane Ouattara, les deux dispositions figurant dans l’Accord de Pretoria.
Après un entretien avec l’émissaire sud-africaine, Gbagbo reçoit Schori, accompagné de plusieurs autres membres du Groupe de travail international (GTI). Comme d’habitude, il s’agit officiellement de faire le point avant la 9e réunion de cette structure, prévue pour le lendemain, 20 juillet. En fait, il est surtout question des événements qui se déroulent au même moment dans les rues d’Abidjan. Après avoir exprimé des réserves quant à l’identification des électeurs « hors de tout contrôle de l’État », Gbagbo invite ses interlocuteurs à tenir compte de l’avis des manifestants. Et à trouver une solution au blocage avant de passer à l’étape suivante.
En début de soirée, Tagro donne lecture d’un communiqué radiotélévisé dans lequel Gbagbo informe les Ivoiriens qu’il a « entrepris une série de rencontres en vue d’apporter des solutions au problème soulevé » et invite « les uns et les autres à libérer la voie publique ». Aussitôt, Blé Goudé demande à ses hommes d’obtempérer.
Un peu plus tard – il est 20 heures à New York -, le Conseil de sécurité des Nations unies se déclare « prêt à imposer des sanctions ciblées contre les personnes [] qui font obstacle à la mise en uvre du processus de paix ». Qui sont ces « personnes » ? De quels gros poissons du camp présidentiel s’agit-il, dès lors que Blé Goudé est déjà frappé d’une interdiction de voyager et du gel de ses avoirs à l’étranger ?
Ces remous étaient tout sauf imprévisibles, puisqu’ils interviennent la veille d’une importante réunion du GTI. Quelques jours plus tôt, Pascal Affi Nguessan, le président du parti au pouvoir, avait appelé à s’opposer « par tous les moyens » aux audiences foraines. Il a été relayé par Gbagbo, qui exige que le désarmement ait lieu avant l’identification. En privé, le chef de l’État a même confié à plusieurs de ses interlocuteurs : « Nous ne savons pas ce qui se passe au-delà du rideau de fer [entendez : la « zone de confiance »]. D’où sortent ces 3 millions à 4 millions de personnes qu’ils veulent ajouter aux listes électorales ? » La vérité est qu’il a son propre plan, qui consisterait à mettre informatiquement à jour le fichier électoral de 2000 en y incluant tous ceux qui, sur la base du recensement de 1998, auront 18 ans révolus le jour du scrutin.
La bataille autour des audiences foraines ne fait donc que commencer. De l’aveu même de Blé Goudé, la journée du 19 juillet n’est qu’un « avertissement ». Le message s’adresse-t-il seulement à Konan Banny ? Le chef des « jeunes patriotes » n’est-il pas aussi chargé de rappeler, au moment où le GTI planche sur les aspects les plus sensibles du processus électoral, que le chef de l’État conserve une forte « capacité de nuisance » ? Au-delà, n’est-ce pas un message adressé au Comité de l’ONU qui, à la mi-septembre, statuera sur la place de Gbagbo dans l’après-31 octobre ?

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