Embellie à Yaoundé

Retour de Bakassi dans le giron national, importante réduction de la dette… Le pays enregistre des résultats encourageants. Mais au bénéfice de qui ?

Publié le 24 juillet 2006 Lecture : 5 minutes.

Le Cameroun pourrait faire sienne la devise de la ville de Paris que son président, Paul Biya, va honorer de sa présence les 28 et 29 juillet : il flotte et ne coule pas. Le pays a vaincu la bureaucratie washingtonienne en atteignant le 28 avril 2006, après trois ans d’attente, le « point d’achèvement », qui donne le signal d’une réduction de 80 % à 90 % de sa dette ; il a obtenu du Club de Paris, puis de la France et du Canada – pour les dettes bilatérales -, que cette promesse soit tenue ; le puissant voisin nigérian, dix fois plus peuplé, lui a reconnu le 12 juin la souveraineté sur la presqu’île de Bakassi, supposée riche en or noir et en poissons.
Prime à la discrétion diplomatique, que certains trouvent parfois excessive ? Le Cameroun bénéficie du pétrole du Tchad, dont il contrôle l’accès maritime. C’est lui qui va bénéficier au premier chef de l’enveloppe de 5 milliards d’euros que l’Union européenne (UE) entend consacrer à la construction de routes pour désenclaver l’Afrique centrale. Le Canada n’a d’yeux que pour sa bauxite et ses 2 milliards de tonnes de réserves encore inexploitées : Alcan a signé en octobre 2005 un protocole pour le triplement de la capacité de son usine d’aluminium d’Edéa. Il prévoit une enveloppe de 900 millions de dollars d’investissements. Elle comprend la construction de la centrale hydroélectrique de Lom Pangar, par la société d’électricité AES-Sonel, privatisée en 2001 au bénéfice de l’américain AES. On retrouve l’Amérique dans les projets miniers de cobalt et de nickel, tout comme l’Afrique du Sud, qui se taille en outre, avec MTN, la première place dans la téléphonie mobile, devant Orange, filiale de France Télécom. À ces dons du ciel s’ajoutent une stabilité politique à toute épreuve, une opposition aux abonnés absents ou presque, une population qui encaisse sans broncher des baisses régulières de son niveau de vie.
Les Camerounais survivent et le Cameroun s’ennuie. Si cela pouvait tenir lieu de projet politique, tout irait pour le mieux. Mais en l’absence d’un débat d’idées, tant l’idée même de débat paraît saugrenue, on observe néanmoins plus qu’un ronflement, un bourdonnement contenu, des réflexions qui font leur chemin, un défi qui s’esquisse, des questions qui sont sur toutes les lèvres auxquelles répondent des airs entendus et des regards de connivence.
L’élite politique donne le change et voit le pays au cur d’un affrontement mondial : les États-Unis, déçus par l’autocratie et l’impéritie nigérianes, auraient décidé de jouer la carte du Cameroun, capable d’encaisser les à-coups d’une géostratégie réaliste. Richesse minérale, bilinguisme, tensions ethniques neutralisées, religion certes mais paix religieuse, profil diplomatique couleur de muraille : des acquis à ne pas négliger et à ne pas non plus laisser péricliter ; pays « moyen », donc effet de levier garanti.
L’Amérique ne vient-elle pas de construire la plus grande ambassade de Yaoundé ? N’a-t-elle pas donné le coup de pouce décisif au règlement du contentieux de Bakassi ? Quant au point d’achèvement, dont une condition essentielle était une meilleure gouvernance, comment l’interpréter, en l’absence de progrès tangibles, sinon comme un acquiescement américain ?
Alors, disent les élites, il faut rassurer l’incontournable partenaire français lors du voyage officiel à Paris. Lequel pourra se rembourser de l’annulation de ses créances, en utilisant le cadre C2D (contrat de désendettement et de développement). Les 100 millions d’euros rendus disponibles sur cinq ans seront, nul n’en doute à Yaoundé, affectés à des commandes aux entreprises de l’Hexagone.
Le voyage de Biya à Paris c’est aussi, pense-t-on dans les allées du pouvoir, la probable consultation de l’ami de toujours sur un remaniement ministériel qui reste d’actualité, même si, pour d’autres, en raison de la proximité des élections législatives et locales (juin 2007), tout changement d’équipe est exclu. Dans l’expectative, Yaoundé retient son souffle ; ce ne sont pas seulement les congés qui causent une certaine vacance du pouvoir.
En ce mois de juillet, le ministère de l’Économie et des Finances bâtit le cadre juridique pour distribuer la manne de l’annulation des dettes. Le comité PPTE (pays pauvres très endettés) doit veiller à ce que les sommes qui seront libérées du service de la dette – 200 à 300 millions d’euros par an sans compter les 100 millions de la France qui suivent un autre circuit – soient utilisées à des programmes publics de lutte contre la pauvreté, de réhabilitation ou de création d’infrastructures (transport, énergie, aménagement urbain). Un comité de 19 membres, ambassadeurs des pays bailleurs de fonds, ministres et dignitaires religieux, présidé par le ministre des Finances, veillera au grain. Toute utilisation sera validée en loi de finances et un audit annuel sera confié à un cabinet privé ; les contrôles seront au moins aussi rigoureux que sur le budget, ce qui aiguise l’appétit des uns et alimente les sarcasmes des autres.
Depuis trois ans que tout lui est subordonné, le point d’achèvement tombe sur une opinion désenchantée. Il faut, disent les politiques, que le citoyen lambda voie dans sa vie quotidienne les effets bénéfiques de l’allègement, qui est à ce jour, avec la récupération de Bakassi, le grand titre de gloire du septennat. À hauteur de 30 %, les crédits pourraient être déconcentrés sur les départements ; l’éducation et la santé seront prioritaires, mais le gros des 70 % restants ira aux grands travaux. Les bailleurs de fonds seraient mal venus de s’offusquer d’une telle répartition ? Sauf que, chacun le sait et le dit, c’est dans le financement de ces travaux qu’il y a le plus de pertes en ligne Et avec des salaires mensuels stagnant entre 150 000 et 200 000 F CFA (225 à 300 euros) dans la haute fonction publique, les chances de faire cesser la corruption sont pratiquement nulles.
La chasse à quelques brebis galeuses ou boucs émissaires ne fait pas une politique sérieuse en ce domaine ; quand il suffirait, dit-on, de regarder de près le patrimoine des inspecteurs des impôts. Mais l’économie informelle est une réalité dont chacun s’accommode, car chacun a quelque peccadille à se reprocher et craint d’être seul à payer pour les autres. Et dans un pays où les emplois publics et les emplois salariés réguliers n’occupent chacun que 5 % de la population active, ce n’est pas dans les statistiques officielles qu’on mesure le degré de satisfaction de la population, mais dans l’ordre public qui est préservé, malgré une résurgence de la criminalité.

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