Mali : les raisons de la démission de Soumeylou Boubèye Maïga
Le chef du gouvernement malien a présenté sa démission jeudi soir, avant le vote d’une motion de censure déposée par des députés de la majorité et de l’opposition. Quatre dossiers ont conduit à sa chute. Décryptage.
Soumeylou Boubèye Maïga a présenté sa démission ainsi que celle de son gouvernement à Ibrahim Boubacar Keïta dans la soirée du 18 avril. Cette décision est intervenue à la veille de l’examen par l’Assemblée nationale d’une motion de censure contre le gouvernement par des députés de la majorité et de l’opposition.
Jusqu’à la dernière minute, ce fidèle d’Ibrahim Boubacar Keïta, âgé de 65 ans, aura bénéficié du soutien du chef de l’État. Comment celui que l’on surnomme « le Tigre » a-t-il été poussé à la démission ?
• La crise sécuritaire
Dès sa nomination, en décembre 2017, le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, ancien ministre de la Défense, avait fait de la sécurité un point important de sa feuille de route.
À peine arrivé, il s’est employé à promouvoir ce qu’il a défini comme une « stratégie des trois C et des trois D ». D’un côté, concertation, cohésion et complémentarité ; de l’autre, défense, diplomatie et développement.
Mais cette stratégie, mise en musique dans le cadre du « Plan de sécurisation intégrée des régions du Centre (PSIRC) », s’est révélée une coquille vide.
En cause, notamment, un déficit chronique d’infrastructures militaires permettant d’accueillir les hommes déployés sur le terrain, qui n’a pas été résorbé faute de moyens financiers.
Et tandis que le Plan de sécurisation stratégique se révélait inadapté aux réalités du terrain, la situation sécuritaire n’a cessé de se détériorer au cours du mandat de Soumeylou Boubèye Maïga. Les attaques contre des camps de l’armée malienne se sont multipliées, de même que les affrontements intercommunautaires.
Le point culminant de ces violences – qui ont causé au moins 600 morts depuis janvier, selon les chiffres de l’ONU – a été atteint le 23 mars, lorsque des hommes armés, habillés en chasseurs traditionnels dogon, ont attaqué le village peul de Ogossagou, massacrant indifféremment hommes, femmes et enfants. Au moins 160 personnes ont été tuées lors de cette attaque qui a choqué bien au-delà du Mali.
La dissolution de Dan Na Ambassagou – la milice dogon pointée comme étant à l’origine du massacre – n’a pas permis à Soumeylou Boubèye Maïga de convaincre de sa capacité à ramener la paix dans cette région. D’autant que Youssouf Toloba, le chef de cette milice, n’a toujours pas été arrêté pour répondre des accusations dont il fait l’objet.
• Le front social
L’ex-Premier ministre a par ailleurs fait les frais de son incapacité à faire face au front social. Si les tensions ont pu être plus importantes par le passé – il y a deux ans, la grève des magistrats, des médecins et des transporteurs avait paralysé les services de l’administration et ralenti tout le pays -, la grève des enseignants a sans aucun doute pesé lourd dans le départ du Premier ministre.
Amorcée début mars, cette grève n’en finit pas, faisant peser le spectre d’une année blanche, dans un contexte de bronca syndicale généralisée. Coupures d’électricité répétitives, grève des directeurs financiers, des employés du ministère des Affaires étrangères, des cheminots… « La grève des enseignants est venue se greffer aux autres points chauds, et il est absolument certain que ce front social a été un facteur important de la démission du Premier ministre », analyse le Dr Moumouni Soumano, politologue et directeur exécutif du Centre malien pour le dialogue inter-partis et la démocratie (CMDID).
Fin janvier, sa décision d’économiser 14,194 milliards de francs CFA sur le budget affecté aux dépenses en carburant et en produits alimentaires des ministères et différentes directions a également braqué de nombreux administrateurs. « Cette somme est insignifiante pour le budget de l’État mais elle signifie beaucoup pour les fonctionnaires, qui ont de maigres salaires. Il ne fallait pas faire ça », regrettait à l’époque un ministre.
• Les tensions au sein de la majorité
Pour la première fois au Mali, des députés de l’opposition et de la majorité ont déposé conjointement une motion de censure contre le gouvernement. Celle-ci a été signée par une centaine de députés, alors que le nombre de voix requises pour son adoption est de 98 – soit plus des deux tiers. À la direction du Rassemblement pour le Mali (RPM, au pouvoir), on assure que cela reste une initiative des députés. Mais selon Mohamed Amara, sociologue à l’université de Bamako et auteur de Marchands d’angoisse : Le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être (éd. Grandvaux), « c’était l’occasion pour le parti présidentiel de récupérer ce pouvoir qui lui échappe ». Depuis fin 2018, le RPM, en perte de vitesse, s’est vidé d’une partie de ses élus. Ces derniers sont allés grossir les rangs de l’Alliance pour la solidarité au Mali – Convergence des forces patriotiques (Asma-CFP) de Soumeylou Boubèye Maïga. L’Asma-CFP, qui ne comptait que cinq députés à l’issue des législatives de 2013, en dénombre désormais une vingtaine.
L’autre facteur ayant contribué à diviser la majorité est la rivalité entre Soumeylou Boubèye Maïga et Bokary Treta, le secrétaire général du RPM, à la tête de la coalition Ensemble pour le Mali, qui a porté la candidature d’IBK en 2018.
Le fait que le président ait désigné un Premier ministre qui n’était pas issu des rangs de son parti a également créé des remous. Plusieurs poids lourds du RPM reprochaient à Soumeylou Boubèye Maïga d’avoir un agenda caché. « Tant qu’il restait chef du gouvernement, le RPM perdait la main par rapport à la préparation d’une candidature pour la succession d’IBK », ajoute l’universitaire.
La démission du Premier ministre s’explique également par « la crispation de l’atmosphère », estime Amadou Thiam, président de l’Alliance démocratique pour la paix (ADP-Maliba). « Il était évident que même si la motion était rejetée, le Premier ministre n’aurait plus eu une marge de manœuvre suffisante ».
• Le bras de fer avec l’opposition
Depuis plusieurs mois déjà, le Premier ministre était sur la sellette. Au sortir de la présidentielle, une partie de l’opposition en a rejeté les résultats. Soumaïla Cissé, chef de file de l’opposition, arrivé deuxième du scrutin, n’a toujours pas reconnu officiellement sa défaite. Pendant plusieurs semaines, des manifestants sont descendus dans les rues de Bamako pour dénoncer des « fraudes ». Selon eux, le Premier ministre et le ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, Mohamed Ag Erlaf, seraient les responsables de ce qu’ils considèrent comme une « mascarade électorale ».
Rendus inaudibles par l’interdiction des manifestations, ces détracteurs seront relayés par les leaders religieux. Mi-février, des dizaines de milliers de maliens ont en effet répondu à l’appel de Mahmoud Dicko, le président du Haut conseil islamique du Mali, et du chérif de Nioro, Bouyé Haïdara. Lors d’un meeting au Stade du 26 mars, ils ont dénoncé la mauvaise gouvernance dans le pays et exigé la démission de Soumeylou Boubèye Maïga.
Quelques mois plus tard, le 5 avril, plusieurs organisations de la société civile et partis politiques ont manifesté à Bamako, malgré l’interdiction des autorités, pour dénoncer l’insécurité. Ils ont de nouveau réclamé la démission du Premier ministre. « Ce n’est pas la personne de Soumeylou Boubèye Maïga qui était remise en question mais plutôt sa politique qui a rassemblé tous les Maliens contre lui, opposition et majorité confondues », lance Housseini Amion Guindo, le président de la Convergence pour le développement du Mali (Codem).
Pour Ibrahima Sangho, du Pool d’observation citoyenne du Mali (Pocim), une organisation de la société civile, « le Premier ministre a échoué en ne réussissant pas à organiser les législatives dans les délais ».
Pour sortir de la crise, de nombreux acteurs politiques réclament un dialogue politique. Le président IBK a également relancé le projet de modification de la Constitution. Pour parvenir à un consensus, le député Ousmane Kouyaté (URD, opposition) estime que « le pays a besoin d’un Premier ministre rassembleur ». La présidence a annoncé dans un communiqué qu’un nouveau gouvernement serait mis en place « après consultation de toutes les forces politiques de la majorité et de l’opposition ».
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