Bons points et bonnets d’âne

Pour la première fois, l’institution rend public son classement annuel concernant les pays pauvres. Le palmarès réserve des surprises.

Publié le 24 juillet 2006 Lecture : 4 minutes.

Ne pas prêter n’importe quoi à n’importe qui, telle pourrait être la maxime de la Banque mondiale. Chaque année, l’institution réalise un classement des 76 pays les plus pauvres du monde afin de déterminer la somme qui sera prêtée à chacun. Les plus démunis seront-ils les mieux dotés ? Non. Mais les plus disciplinés, oui.
Une inflation contenue, une dette extérieure régulièrement remboursée, une économie où la concurrence est libre et le marché seul arbitre, des dépenses publiques équitablement réparties : voilà quelques-unes des conditions que l’institution de Bretton Woods pose au monde en développement pour lui accorder des prêts. Nettement teintées de libéralisme, elles sont réparties en quatre groupes : management économique, politique structurelle, politique sociale et management public (gouvernance). Consciente des risques de la publication d’un tel classement – stigmatiser les cancres et, partant, dissuader les investisseurs ou inciter les gouvernements à truquer les données macroéconomiques pour obtenir une bonne note -, la Banque mondiale a toujours été réticente à l’idée de le divulguer. Elle s’est finalement ravisée, pour 2005 et les années à venir.
Les félicitations du jury reviennent à un petit pays d’un peu plus de 3 millions d’habitants que peu savent situer sur une carte. Avec une note de 4,3 sur 6, l’Arménie arrive en tête du palmarès 2005. Elle est immédiatement suivie d’un autre confetti, mais dans l’océan Atlantique celui-ci. Le Cap-Vert obtient 4,1 sur 6. Puis viennent, à égalité, Samoa et Sainte-Lucie (4 sur 6), talonnés par la Tanzanie et Saint-Vincent et les Grenadines, ex æquo eux aussi, avec une note de 3,9. L’étoile montante indienne, avec son milliard d’habitants, son taux de croissance qui frôle les 10 % et son excellence en haute technologie, ne vient qu’en 14e position, derrière le minuscule royaume du Bhoutan et juste devant le Burkina Faso. En 46e, 47e et 48e position, on trouve trois pays du continent africain, le Cameroun, le Niger et la Mauritanie. L’Angola, riche en pétrole, ne vient qu’après, à la 70e place. Le tiercé final est africain : Comores, Centrafrique et Zimbabwe, dans l’ordre. Cancre de la classe, Harare obtient 1,8 sur 6, loin derrière les deux avant-derniers élèves, Moroni et Bangui, notés tous les deux 2,4 sur 6.
L’Inde après le Cap-Vert, le Mali avant le Pakistan, Djibouti, le Nigeria et le Vanuatu ex aequo : cet ordre a quelque chose de singulier, qui tranche avec les habituels classements selon les taux de croissance et les niveaux de développement. Mais les 16 critères retenus tiennent surtout compte de la bonne volonté des gouvernements à se plier aux valeurs de la Banque mondiale. Il est possible d’afficher une inflation contenue, de rembourser les arriérés de la dette avec la plus grande ponctualité, de garantir l’égalité entre hommes et femmes (on trouve quelques critères humanistes à côté des conditions purement quantitatives) tout en comptant 40 % de la population sous le seuil de pauvreté – au début du processus de développement en tout cas.
Autre constat : les critères ne font aucune référence à la situation politique des États. L’Ouganda, dirigé par un Museveni rivé au pouvoir depuis 1986 et « peu » enclin à la démocratie, arrive en 8e position. La bonne notation de Kampala tranche avec les appréciations de la Coface : « Le déséquilibre des comptes extérieurs est important. Une assiette fiscale étroite et le maintien à un niveau élevé des dépenses de sécurité ne permettent pas une résorption rapide des déficits », peut-on lire dans le dernier guide de l’agence de notation française, paru en janvier 2006. À quel saint se vouer ? Idem pour la Géorgie, au 10e rang : « les comptes extérieurs sont fortement déséquilibrés », estime la Coface, tandis que la Banque mondiale donne un « 4 sur 6 » à la politique de la dette de Tbilissi. L’agence de notation, s’adressant aux entreprises, est certes plus réticente que la Banque mondiale à distribuer des bons points. Les divergences de vue, immenses, restent toutefois difficiles à comprendre.
Pour évaluer la position de chacun des pays par rapport aux 16 indicateurs, la Banque mondiale utilise son réseau de représentants sur place. Chacun reçoit un questionnaire avec une définition détaillée de chaque critère et une explication du sens de chaque note. Un véritable petit manuel du professeur, où l’on peut lire que « 5 » signifie « bien », mais qu’il faut passer à « 6 » si c’est un « bien » qui dure plus de trois ans. Inversement, « 1 » signifie que la piètre situation de telle ou telle sphère de la politique économique s’est pérennisée. À chacune des quatre familles de critères correspond une moyenne, et la note finale est la moyenne de l’ensemble. Encore faut-il que les représentants aient à leur disposition des informations justes et objectives, ce qui n’est pas toujours le cas.
Un classement de plus qui ne sert qu’à noircir du papier ? Pas tout à fait. Ce tableau d’honneur, et de déshonneur, sert de référence à l’Association internationale de développement (IDA), le guichet de la Banque mondiale dédié aux pays ayant un revenu annuel par habitant inférieur à 1 025 dollars (pour 2005). Tous les trois ans, les bailleurs de fonds de l’IDA – financée par les pays les plus riches – se réunissent pour remettre la main au portefeuille et reconstituer les ressources de cette institution. Pour la période 2005-2008, leur contribution s’élève à 33 milliards de dollars. Une partie de cette somme est allouée à chaque pays en fonction de ses notes aux précédents classements. Mieux vaut donc se tenir sur ses gardes, d’autant plus que, maintenant, les bons et les mauvais points sont rendus publics.

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