[Édito] « Fake news », ces déchets toxiques
Dans la production quasi industrielle de fake news et autres infox qui envahit la Toile, les sites d’Afrique centrale occupent une place à part, surtout lorsqu’ils émanent de la diaspora.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 21 avril 2019 Lecture : 4 minutes.
Particulièrement virulents, ouverts au plus offrant, rédigés à la truelle dans un capharnaüm stylistique et orthographique qui en dit long sur la faillite éducative des pays d’origine de leurs concepteurs, ces sites poubelles ont compris que, pour faire « buzzer » à clics rabattus, il convenait de s’adresser au ventre et au bas‐ventre de leurs lecteurs.
Argent et sexe, sexe et argent, les deux à la fois si possible : la recette, nourrie des obsessions et des frustrations de ces pseudo‐activistes dont la mégalomanie est proportionnelle à la misère professionnelle, est invariable. À cela s’ajoute est‐il besoin de le préciser l’insulte, l’injure, le tribalisme, l’appel à la haine et ce que Freud appelait la psychose délirante.
>>> A LIRE – [Tribune] Elles courent, elles courent, les « fake news »
Un site épisodique congolais d’« informations générales » vient en un post de collectionner toutes ces pathologies plus une : le racisme. Son nom – Sacer Infos – ne dira rien à la quasi-totalité de nos lecteurs, mais c’est un habitué du genre racoleur et graveleux.
Trolls nocifs
Exemple de titres récurrents : « Au Congo, les ministres francs-maçons obligés de dépuceler chaque mois une mineure » ; « Au Maroc, les Africains deviennent gays et lesbiennes pour survivre » ; « Vol sexuel privé avec 5 Kinoises », etc. Sans compter de multiples articles sur les mœurs imaginaires des familles présidentielles. Tout est bien sûr inventé, ce qui prêterait plutôt à sourire si ce tout n’était pas diffamatoire.
Il y a quelques jours, Sacer Infos a ainsi publié un « papier » fétide dans lequel, non content de traiter JA de « journal arabe tunisien » (sic) au « caractère marchand colonial » (re-sic), il prétend que l’auteur de ces lignes vient d’être « chassé du Burkina » pour avoir exigé « 50 millions de F CFA pour un reportage bidon ». Le reste étant à l’avenant, voire pire.
Ne pas réagir est un bien mauvais service à rendre à la démocratie et au débat d’idées
Bien évidemment, tout cela n’est qu’affabulation grotesque – ne serait-ce que parce que je n’ai pas mis les pieds au Burkina depuis une douzaine d’années ! Et tant d’aberrations mensongères ont été produites sur ce journal, qui fait décidément beaucoup fantasmer depuis sa création, il y a cinquante-neuf ans, que le premier réflexe est celui du mépris*.
>>> A LIRE – L’Afrique, eldorado des « fake news » ?
Pourtant, ne pas réagir est à la réflexion rendre un bien mauvais service aux sites professionnels – il en existe – que l’on ne saurait confondre avec les brebis galeuses qui polluent la Toile. Un bien mauvais service aussi à rendre à la morale, à la pédagogie, à la démocratie et au débat d’idées.
Aussi avons-nous décidé de porter plainte contre les déchets toxiques du Net et de récidiver désormais chaque fois que nous l’estimerons nécessaire. Pour des raisons de salubrité publique, mais aussi parce que la pratique nauséabonde du flaming fait des ravages en Afrique (à preuve : des sites de caniveau ont aussitôt copié-collé leur confrère du même acabit), le temps où nous éprouvions un reste de compassion pour ces trolls nocifs est révolu.
Chien de garde
Le hasard veut qu’en ce 18 avril Reporters sans frontières publie son index annuel sur la liberté de la presse dans le monde. L’ONG française y dénonce la « mécanique de la peur » dont seraient de plus en plus victimes les journalistes, même si c’est en Afrique que la dégradation générale de leurs conditions de travail est, selon elle, « la plus faible ».
Ceux qui éructaient au micro de la Radio-Télévision libre des Mille Collines se prétendaient aussi « journalistes »
Au palmarès de RSF, la Namibie, le Cap-Vert, le Ghana et l’Afrique du Sud devancent ainsi la France et la Grande-Bretagne ; le Burkina et le Botswana sont mieux classés que les États-Unis ; l’Éthiopie d’Abiy Ahmed fait un bond spectaculaire de quarante places, alors que le Bénin de Patrice Talon rétrograde brutalement, assez loin derrière… le Togo de Faure Gnassingbé.
Au-delà des commentaires sur le caractère forcément (un peu) subjectif de ce type de classement, force est de constater l’utilité incontournable de l’organisation, cofondée il y a près de trente-cinq ans par Robert Ménard et dirigée aujourd’hui par deux professionnels reconnus : Pierre Haski et Christophe Deloire.
Dans son rôle de chien de garde, RSF a déjà eu à défendre notre journal contre les censures et les interdictions, qu’elle en soit ici remerciée.
Reste que cette spécialiste de la chasse aux prédateurs des médias gagnerait encore en crédibilité si elle traquait aussi les virus qui contaminent sciemment les réseaux sociaux au nom de la liberté de diffamer. Après tout, ceux qui éructaient il y a un quart de siècle au micro de la Radio-Télévision libre des Mille Collines se prétendaient aussi « journalistes ».
* La tendance à broyer du faux n’est ni nouvelle ni spécifiquement « africaine ». Il y a quelques années, le « grand reporter » d’un hebdo français a ainsi imaginé dans un livre que j’avais été « éconduit à la frontière » (sic) de la Mauritanie (déjà !) au lendemain de la chute de l’ancien président Ould Taya, pays où j’aurais détenu « des concessions piscicoles » (sic).
Ne possédant évidemment pas la moindre preuve de ce qu’il avançait (et pour cause), l’auteur s’était courageusement abrité derrière « une rumeur tenace ». Formule qui permet de raconter n’importe quoi, surtout lorsqu’il s’agit de l’Afrique.
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