Sylvestre Barancira
Psychiatre burundais
Si Sylvestre Barancira exerçait son métier normalement, il devrait recevoir chaque année quelque 70 000 personnes en consultation. En moyenne, on estime en effet que 1 % d’une population donnée a besoin de consulter un psychiatre. Or, au Burundi, Sylvestre Barancira est le seul psychiatre. Est-ce là un motif de désespoir ? Pas le moins du monde : entêtement et pragmatisme sont les deux armes de ce médecin des âmes.
Têtu, il fallait l’être pour mener tant de combats. À la fin des années 1970, en France, Barancira se voit retirer sa bourse d’études par le gouvernement burundais pour avoir revendiqué un peu trop fort le respect de la liberté d’expression au sein d’une association d’étudiants africains. Qu’à cela ne tienne : il achèvera sa spécialisation en psychiatrie sans l’aide de personne, en multipliant les gardes. À son retour, après douze ans d’exil, l’homme aura encore besoin de toute sa capacité d’obstination. Deux semaines après son arrivée, il est embauché par le centre neuropsychiatrique de Kamenge, dans la capitale, qui n’offre alors que des consultations externes.
La seule structure « d’hospitalisation » psychiatrique du pays est alors un vieil asile hérité de la colonie belge, à la fréquentation hétéroclite : réfugiés tanzaniens et rwandais, malades mentaux, clochards, un « vieux fonctionnaire schizophrène » à qui l’endroit plaît, personnes âgées abandonnées par leurs familles… Bref, l’endroit est tout sauf un espace thérapeutique. Le médecin trie les patients, renvoie chez eux ceux dont le séjour à l’asile ne se justifie pas (ou plus), traite les autres. Il prouve ainsi, par l’exemple, qu’on peut « soigner les fous ». Dans le Burundi de l’époque, il s’agit d’une idée neuve.
Fort de ces premiers succès, Sylvestre Barancira monte un service d’hospitalisation à Kamenge. Mais, durant la guerre, le lieu est investi par les rebelles hutus. Avec deux confrères médecins, il ouvre alors une consultation privée où il reçoit, aujourd’hui encore, un mélange de patients aisés (la consultation est chère) et indigents (à qui il offre, lorsqu’il le peut, des médicaments au coût prohibitif).
Arrivant de France, il a dû adapter sa formation à un nouvel environnement. « J’ai découvert une symptomatologie traditionnelle qu’en Occident on qualifierait d’hystérique : contorsions, éructations, hoquets répétés, ainsi qu’une symptomatologie liée à la religion, comme les délires mystiques, raconte-t-il. Plus tard, avec la guerre, les pathologies traumatiques ont fait leur apparition. J’ai ainsi découvert une psychiatrie cliniquement moins typée qu’en France. » Le médecin sait que ses patients consultent, d’une manière successive ou simultanée, psychologues diplômés, guérisseurs traditionnels et « thérapeutes religieux », nombreux dans les églises évangéliques qui fleurissent au Burundi. Soucieux d’efficacité, il reconnaît à ces trois « registres » une égale dignité. Barancira serait d’ailleurs un des rares Burundais à bien connaître le culte traditionnel, pratiqué dans la clandestinité.
Parallèlement, le professeur prépare la relève. Enseignant depuis son retour au pays, soucieux de former les infirmières aux spécificités du soin psychiatrique, il s’investit dans la plupart des grands projets « psy ». Il est un des promoteurs du Centre universitaire de psychologie clinique qui doit ouvrir ses portes en septembre à l’université de Bujumbura. Soutenu par l’Agence universitaire de la francophonie, ce lieu transdiscliplinaire est à vocation multiple : recherche, grâce à la création d’un troisième cycle de psychologie clinique ; enseignement ; documentation et expertise.
Il y a urgence. Sylvestre Barancira reçoit aujourd’hui ceux que les massacres de part et d’autre ont traumatisés, voire rendus délirants : Tutsis confondus, dans leurs cauchemars, avec des Hutus, pourchassés par d’autres Tutsis ; Hutus redoutant d’être massacrés par l’armée… « On ne peut plus nier l’identité ethnique des personnes, précise Sylvestre Barancira. Ancrée dans l’intimité psychique, l’appartenance ethnique a été le critère au nom duquel des centaines de milliers de Hutus et de Tutsis ont été massacrés au Burundi. Comment croire, après cela, que l’ethnie serait une catégorie essentiellement artificielle ? »
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