« On m’a souvent dit : c’est un cadeau empoisonné »

En acceptant la direction de la compagnie aérienne camerounaise en novembre dernier, a relevé un défi de taille. Il expose pour nous son plan de redressement.

Publié le 24 mai 2004 Lecture : 7 minutes.

La direction générale de la Camair n’a rien d’une sinécure. En acceptant ce poste, Thomas Dakayi Kamga n’ignorait pourtant pas où il mettait les pieds. Lorsqu’il succède à Yves-Michel Fotso à la tête de la compagnie aérienne en novembre 2003, celle-ci est particulièrement mal en point. Pour la seconde fois en l’espace de quatre mois, Cameroon Airlines est clouée au sol.
Le 28 juin 2003, le transporteur a été contraint d’annuler tous ses vols, ses avions ayant été saisis pour cause d’impayés. La Camair a été reconnue coupable par un tribunal californien de n’avoir pas honoré ses dettes à l’égard de la société australienne Ansett, qui lui loue plusieurs appareils. Cameroon Airlines, qui a acquis ces aéronefs dans le cadre d’un contrat de location-vente, aurait cessé d’en payer régulièrement le loyer. La reprise du trafic ne se fera qu’après l’intervention personnelle du président Paul Biya, mais l’incident a révélé la fragilité de la société, théoriquement privatisable.
En octobre 2003, le pavillon camerounais est de nouveau victime de problèmes de trésorerie. Il éprouve les pires difficultés à régler les primes d’assurance de ses appareils et à financer leur maintenance. Après une nouvelle paralysie de la flotte, le pouvoir se résout finalement à changer l’équipe dirigeante.
Remercié, Fotso cède son fauteuil à l’ancien ministre de l’Équipement, Thomas Dakayi Kamga. Quant au président du conseil d’administration, Étienne Ntsama, il est remplacé par l’ex-ministre de l’Économie et des Finances, Édouard Akame Mfoumou. Un tandem éminemment politique pour « redresser la Cameroon Airlines et lui assurer une bonne privatisation », déclare-t-on officiellement.
Même s’il avoue volontiers ne pas être un spécialiste du transport aérien, Thomas Dakayi Kamga a le profil type du grand commis de l’État versé dans la gestion d’entreprises. Diplômé de l’École centrale de Paris, cet ingénieur sexagénaire né à Bandja, dans l’ouest du pays, a entamé sa carrière au sein de la Société d’énergie électrique du Cameroun (Enelcam), devenue en 1974 la Société nationale d’électricité (Sonel). Il sera directeur général adjoint de la nouvelle entité, avant d’entrer au gouvernement. En 1985, il retourne à la Sonel, puis se voit confier trois ans plus tard la direction générale de la Société camerounaise des sacheries (SCS), qui fabrique des emballages industriels. En 1991, il est nommé secrétaire général de l’Union douanière et économique d’Afrique centrale (Udéac), organisation sous-régionale qui donnera naissance à la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac).
De retour au sein d’une entreprise qui focalise l’attention de tous, Thomas Dakayi Kamga sait que la Camair n’est pas sortie d’affaire, loin s’en faut. Son endettement s’élève toujours à quelque 60 milliards de F CFA (90 millions d’euros), et la trésorerie reste tendue. Pourtant, le nouveau directeur général veut y croire… tout en sachant qu’il reste assis sur un siège éjectable. La succession effrénée des dirigeants qui ont piloté la compagnie aérienne au cours des dix dernières années – la Camair en est à son cinquième DG – n’est pas sans lien avec le crash qui la menace aujourd’hui. Mais Dakayi Kamga demeure persuadé qu’il est encore possible de redresser la barre.

Jeune Afrique/l’intelligent : Comment avez-vous réagi à votre nomination au poste de directeur général de la Camair le 3 novembre 2003 ?
Thomas Dakayi Kamga : Je ne m’attendais pas du tout à cette nomination. J’étais en mission à Paris quand on m’a annoncé qu’il fallait que je rentre de toute urgence au Cameroun. À l’époque, on venait tout juste de créer un Comité de l’énergie, et je pensais sincèrement que c’était le poste auquel on voulait m’affecter. Quand on m’a dit que, finalement, c’était pour diriger la Camair, c’était comme si la foudre me tombait dessus. Puis je me suis dit que si le chef de l’État estimait que j’étais capable d’accomplir cette mission, c’est que je devais avoir les qualités requises.
J.A.I. : Justement, quelles sont à votre avis ces qualités ?
T.D.K. : Je pense que c’est ma capacité à sortir des situations difficiles. Que ce soit au sein de la Sonel, de la Société camerounaise des sacheries ou encore de l’Union douanière et économique d’Afrique centrale, j’ai déjà dû gérer nombre de crises, parfois très graves.
J.A.I. : Et quelle est la mission qui vous a été fixée ?
T.D.K. : Elle est simple : redresser la Camair pour la rendre rentable.
J.A.I. : D’autres s’y sont essayés avant vous sans succès. Comment comptez-vous procéder ?
T.D.K. : On m’a souvent dit qu’il s’agissait d’un cadeau empoisonné. Mais je n’ai pas baissé les bras. L’entreprise n’en est pas à sa première crise… En fait, je me suis dans un premier temps attelé à dresser un diagnostic aussi précis et aussi juste que possible de la situation.
J.A.I. : Dans quel état avez-vous trouvé la flotte ?
T.D.K. : Deux avions sur cinq seulement volaient encore tandis que les autres restaient cloués au sol. On aurait pu réagir assez vite à cette situation puisque tous nos aéronefs sont en location. Malheureusement, les contrats qui avaient été passés avec l’affréteur australien Ansett valaient pour dix ans. Nous ne pouvions donc pas bénéficier de l’atout principal d’un mécanisme de leasing, à savoir la flexibilité. Dès mon arrivée à la Camair, j’ai essayé de négocier la sortie de ces contrats. Cela vient d’être accepté, moyennant des pénalités de l’ordre de 40 millions de dollars.
J.A.I. : Quels sont les autres moyens pour sortir de la crise ?
T.D.K. : Nous allons veiller à alléger nos charges en gérant au mieux la consommation de carburant, en maîtrisant le coût des pièces de rechange et surtout en limitant les délais d’immobilisation des appareils. Certaines activités de la Camair peuvent également être externalisées, notamment l’assistance au sol. Cette activité mobilise 400 employés, sur 1 200 salariés permanents. Nous avons l’intention de nous en séparer à terme.
Par ailleurs, pour augmenter nos recettes, il nous faut absolument réintégrer la Clearing House, la Chambre de compensation des compagnies aériennes, qui permettrait de vendre les billets de la Camair sur d’autres compagnies. Pour réintégrer cette Chambre de compensation, dont la Camair a été exclue en raison de ses nombreux impayés, il faudrait apurer une grosse partie de nos dettes, qui s’élèvent à 60 milliards de F CFA environ. Pour ce faire, nous devons obtenir la main-levée de nos créanciers ainsi que l’aide de notre principal actionnaire, l’État camerounais.
J.A.I. : L’État est aussi l’un de vos principaux débiteurs…
T.D.K. : C’est exact. Les arriérés de l’État représentaient jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires total de la Camair. À la date d’aujourd’hui, l’État ne doit plus grand-chose à la compagnie puisqu’il a déjà versé une enveloppe de 8 milliards de F CFA (environ 15 millions de dollars) et continue de payer un acompte forfaitaire mensuel. Surtout, il s’est engagé à ne plus accumuler d’arriérés vis-à-vis de la Camair.
J.A.I. : A plus long terme, quelle est votre stratégie ?
T.D.K. : Après avoir stabilisé la situation actuelle et consolidé nos acquis, nous envisageons de participer aux regroupements des compagnies aériennes, comme cela se dessine à l’échelle mondiale, afin de pouvoir aller, par exemple, jusqu’aux États-Unis. Surtout, nous comptons sur la position géographique du pays pour faire de Douala le principal hub de l’Afrique centrale. C’est un rêve que nous poursuivons depuis longtemps déjà.
J.A.I. : Misez-vous sur la régionalisation ou l’internationalisation de vos activités ?
T.D.K. : J’ai tendance à penser qu’il faut maîtriser sa propre maison avant d’aller plus loin. Aujourd’hui, nous avons vingt-cinq représentations que nous allons analyser en détail. Nous avons fermé plusieurs lignes ces cinq dernières années, comme celles qui reliaient le Cameroun à Kigali ou à Nairobi, mais aussi celles qui allaient à Londres, en Allemagne ou en Belgique. C’est une perte d’argent.
Mais pour répondre à votre question, la Camair n’abandonne pas sa vocation internationale puisque nous envisageons d’ouvrir une desserte sur Dubaï, une plate-forme obligée et appréciée avant d’atteindre l’Asie, et qui se développe. Le Cameroun a déjà signé un accord avec les Émirats arabes unis à ce propos.
J.A.I. : Dans cette perspective, de quel type de flotte avez-vous besoin ?
T.D.K. : Nous savons qu’il nous faudra deux long-courriers et trois court- et moyen-courriers, pris en leasing pour une période de trois à cinq ans. Quatre avions sur cinq seront ainsi renouvelés dans les trois mois à venir. Nous n’avons pas les moyens d’acquérir des appareils et je pense que le leasing n’est pas un handicap dans la mesure où il offre plus de flexibilité. Quoi qu’il en soit, il est nécessaire de stabiliser notre flotte pour reconquérir les parts de marché que nous avons perdues, au profit d’Air France par exemple.
J.A.I. : Ces avions seront-ils des Boeing ou des Airbus ?
T.D.K. : Des Boeing. Nous avions songé à faire appel à l’avionneur européen. Mais le coût serait trop élevé, car nos équipages et nos mécaniciens sont formés sur Boeing.
J.A.I. : La privatisation de la compagnie, mission confiée à votre prédécesseur, est-elle toujours à l’ordre du jour ?
T.D.K. : Je pense que s’il y avait des actionnaires crédibles, la porte ne serait pas fermée. Mais, pour l’instant, il n’y a aucun candidat.

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