[Tribune] #ShutDownAlex, symbole d’un développement à deux vitesses en Afrique du Sud
Dans deux semaines, les Sud-Africains sont appelés à élire leur président. Comme depuis 1994, la victoire semble assurée au parti au pouvoir, l’African National Congress, et son candidat Cyril Ramaphosa. Et comme depuis une quinzaine d’années déjà, c’est dans la rue que se noue la relation toute particulière que le mouvement de libération entretient avec ces partisans.
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Thomas Lesaffre
Politologue au Public Affairs Research Institut à Johannesburg.
Publié le 24 avril 2019 Lecture : 3 minutes.
Afrique du Sud : l’héritage de Nelson Mandela, 25 ans après
Un quart de siècle après l’accession au pouvoir de Nelson Mandela, le 27 avril 1994, au terme des premières élections libres post-apartheid, l’Afrique du Sud présente un visage contrasté. À la veille des élections générales de 2019, dans lesquelles l’ANC part grand favori, le pays traverse une crise économique et les inégalités sociales se creusent. Les élites politiques et économiques, gangrenées par les affaires de corruption, sont au centre des critiques.
Depuis quelques semaines, l’Afrique du Sud des quartiers populaires vit au rythme de manifestations de rue « spontanées ». La pratique, courante dans le pays, s’accélère en période électorale, souvent portée par des personnalités politiques issues de l’ANC elle-même.
Les manifestants réclament au parti au pouvoir plus de logements sociaux ou des meilleures infrastructures. Les résidents du township d’Alexandra en savent quelque chose, eux qui ont lancé mi-avril le hashtag #ShutDownAlex.
Périphérique infranchissable
L’espace entre Alexandra et Sandton est un laboratoire des réussites et des échecs du modèle de transformation sud-africain
Le township surpeuplé du nord de Johannesburg concentre en effet toutes les contradictions du projet de transformation lancé il y a plus de 24 ans déjà par le parti de libération. Côté Ouest du périphérique, Sandton, un centre d’affaire hyper dynamique qui se confondrait volontiers avec les quartiers d’affaires asiatiques ou européens, où il n’est pas rare de croiser les puissants du continent ou les artistes les plus cotés.
>>> À LIRE – Un quart de siècle après l’apartheid, l’Afrique du Sud désenchantée
Coté Est, Alexandra, township historique de la ville de l’Or, est un point d’arrivée important pour les néo-urbains Sud-Africains venus tenter leur chance dans la grande ville Afropolitaine. Entre les deux, un périphérique infranchissable et quelques trop rares ponts, que les manifestants n’ont pas hésiter à franchir munis d’un mémorandum pour le maire de la ville. On ne saurait trouver meilleur symbole.
L’espace entre Alexandra et Sandton est un laboratoire des réussites et des échecs du modèle de transformation sud-africain. À Sandton, en 24 ans, tout a changé ou presque. Le quartier, encore entièrement constitué de fermes dans les années 1980, a bénéficié de la fuite des capitaux du centre historique de la ville vers ces quartiers nord plus huppés et résidentiels.
Pour « Alex », les choses sont plus nuancées ; certes depuis la fin du régime d’apartheid ses habitants ont désormais l’électricité et l’eau courante ; certes un nombre conséquent d’entre eux bénéficie d’aides sociales de l’État, mais le chômage atteint des taux records, nourrissant des problèmes d’alcoolisme et de violence chroniques.
Entrepreneurs politiques
Depuis des années, le quartier – dans lequel Mandela lui-même a résidé lors de ces premières années en ville – est même le théâtre d’attaques xénophobes sporadiques. Plus qu’une haine de l’étranger, cette pratique qui vise essentiellement de petits marchands éthiopiens ou somaliens, s’apparente à une prédation économique. À quelques mètres de là, les tours de Sandton grandissent à vue d’œil, avec en ligne de mire le record de la plus haute tour d’Afrique.
Le candidat Rampaphosa s’est rendu à Alexandra, pour écouter les revendications des manifestants. D’un côté, le symbole vivant des premières politiques de transformation, qui visaient alors à introduire au sein des conseils d’administration d’entreprises sud-africaines une nouvelle élite noire, à même – pensait-on à l’époque – de produire un « capitalisme national multiracial » qui porterait l’agenda de transformation du gouvernement.
Face à lui, des manifestants mécontents, portant le jaune et le vert du parti, auxquels se mêlent d’anciens cadres déchus et de jeunes loups ambitieux. Pour ces entrepreneurs politiques, la fenêtre d’opportunité est idéale : elle est l’occasion de se faire connaître des instances nationales du parti, et porte en elle l’espoir d’une cooptation rapide.
À « Alex », comme ailleurs en Afrique du Sud, les politiques néo-libérales mises en place au lendemain de la transition politique de 1994 n’ont permis qu’un développement partiel et inégalitaire du pays. Le chômage des jeunes reste élevé et la carrière politique est le moyen le plus sûr d’assurer une ascension sociale satisfaisante, quitte à brûler son propre environnement pour attirer le regard du politique…
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