Le rêve brisé
En l’espace de vingt-quatre heures, Joseph Blatter est devenu l’un des hommes les plus célèbres du royaume. Dépités par la décision du comité exécutif de la Fifa d’attribuer à l’Afrique du Sud l’organisation de la Coupe du monde 2010, les Marocains n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer les « entourloupes », les « magouilles » et les « subterfuges » du patron du football mondial, ce « vieux renard », comme le qualifient les plus indulgents. En gros, on l’accuse d’avoir provoqué le revirement de dernière minute de certaines délégués a priori acquis à la candidature marocaine. À Mgarto, un douar des contreforts de l’Atlas, Nadia, une jeune institutrice, ne décolère pas. « Je ne suis pas dupe des manoeuvres de M. Blatter », tempête-t-elle. Tous les villageois ont suivi l’annonce de la décision à la télévision. Quelques familles possèdent en effet un téléviseur, alors que l’électricité n’arrive pas jusqu’ici !
Dimanche 16 mai, dans la médina de Rabat. Les marchands vaquent à leurs occupations et n’ont guère le temps de discuter. Sauf si vous les branchez sur LE sujet du jour. Alors, ils deviennent intarissables. Amertume, fierté, colère… Toute la déception d’un peuple qui a cru jusqu’au bout à la victoire est là. Personne ne comprend que l’Afrique du Sud ait pu emporter la décision alors qu’aucun pays africain n’a voté pour elle. « La Fifa, c’est la Fédération internationale de la finance et de l’arnaque », commente, hilare, un adolescent. « Ça va être une Coupe du monde de richards, renchérit un commerçant. Qui va pouvoir se payer le billet d’avion pour aller là-bas ? »
Avenue Mohammed-V, l’agent affecté à la circulation est du même avis. Très sérieux dans son uniforme impeccable, il explique que le Mondial de foot représentait pour lui l’occasion de « rencontrer des gens différents, des étrangers, de faire la fête et de leur faire découvrir le Maroc ». Frustrés de ne pouvoir se rendre à l’étranger, nombre de jeunes Marocains rêvaient, comme lui, de faire venir « le monde » à eux. C’est raté.
D’autres propos sont plus virulents. « Si le Maroc a perdu, c’est parce que nous sommes arabes et musulmans ! Tout le monde est contre nous, vous voyez bien ce qu’ils font en Irak et en Palestine », s’emporte un passant. Un constat d’autant plus douloureux en ce dimanche 16 mai, jour anniversaire des attentats de Casablanca, il y a tout juste un an.
Au siège de Morocco 2010, les réactions sont naturellement plus mesurées, même si la déception affleure dans les propos des uns et des autres. On félicite l’Afrique du Sud et l’on estime que « l’essentiel est que la Coupe du monde ait lieu en Afrique ». Certes… Mohamed Zigari juge « totalement aberrants » les chiffres qui circulent depuis quelque temps concernant le budget alloué au Comité. Et le salaire d’Alan Rothenberg. Ce consultant américain a été embauché pour (notamment) rallier au Maroc les voix des pays d’Amérique centrale et des Caraïbes. Or celles-ci ont finalement fait défaut… Pour couper court aux divagations, un audit est en cours et les comptes seront prochainement rendus publics.
« Le Comité a fait tout ce qui était en son pouvoir, le reste ne dépendait pas de lui », poursuit Zigari. Le choix de l’Afrique du Sud ne favorise, selon lui, « ni l’Afrique ni le sport ». « Nous nous étions engagés, explique-t-il, à mettre en place un fonds baptisé « Football sans frontières » pour faire en sorte qu’une partie des recettes de la Coupe du monde soit réinvestie dans des infrastructures sportives partout en Afrique. Nous étions les seuls à défendre une vision réellement africaine de l’événement. Est-ce un hasard si les quatre délégués africains ont voté pour le Maroc ? »
Certains journaux dénoncent les pressions exercées auprès de la Fifa par certaines multinationales américaines présentes en Afrique du Sud. Mais Zigari balaie l’argument d’un revers de main : « Le Maroc était au moins aussi rentable que ses concurrents. Nous ne sommes qu’à quelques heures d’avion de l’Europe. Or chacun sait que l’Europe est le coeur de la « planète foot » : la majorité des supporteurs qui se déplacent lors d’une Coupe du monde sont européens. »
Quant aux retombées économiques attendues du Mondial, les Marocains, toujours très fiers, s’efforcent de n’y plus penser. « Cette Coupe n’est pas une fin en soi et le pays est déjà bien engagé sur la voie du développement », répètent-ils. Mohammed VI a ouvert une nouvelle ère, c’est un souverain jeune, ses ministres aussi, et plusieurs réformes « modernistes » ont été engagées. « Le Maroc a un rendez-vous avec l’histoire beaucoup plus important qu’une Coupe du monde », a commenté Saad Kettani, le président de Morocco 2010, après l’annonce de la décision.
Sans doute, mais certains font quand même remarquer que, depuis un an, l’événement a un peu trop tendance à tenir lieu de projet de développement. Les chantiers prévus seront-ils menés à leur terme ? Les autorités affirment que « seul le rythme des réalisations pourrait être modifié ». Il s’agit notamment de la construction d’autoroutes (Casablanca-Marrakech et Marrakech-Agadir), de routes, de stades, d’hôtels… Et de la mise à niveau des infrastructures sanitaires.
C’est, en tout cas, ce que souhaitent les Marocains. L’organisation du Mondial représentait pour eux l’occasion de se mobiliser autour d’un projet collectif porteur d’une forte charge émotionnelle. Mais ils se remettront de cet échec, comme Mustafa, 13 ans, qui, après avoir maudit la décision de la Fifa, rentre de son entraînement de foot en arborant fièrement le maillot de l’équipe nationale. « Peut-être que le Maroc gagnera la Coupe du monde « en vrai » », lance-t-il, les yeux brillants. En vrai, c’est-à-dire sur le terrain.
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