L’« été indien » de Seymour Hersh
Le pire ennemi, en ces temps troublés, de Donald Rumsfeld n’est ni Oussama Ben Laden ni Abou Moussab el-Zarqawi, mais un fils d’immigré polonais de 67 ans, américain tout comme lui : Seymour Myron Hersh. Ce journaliste redouté qui, depuis le 11 septembre 2001, publie dans le très élitiste New Yorker scoop sur scoop, déstabilisant chaque fois un peu plus le Pentagone et son maître absolu – jusqu’à la révélation des tortures d’Abou Ghraib -, est un professionnel de l’investigation au style aussi sec et précis que son visage est austère et creusé. Né à Chicago, Seymour Hersh fait ses premiers pas comme agencier à l’Associated Press, où il fait partie du staff chargé de « couvrir » le Pentagone. La guerre du Vietnam commence et Hersh se fait un nom – ainsi déjà que quelques solides inimitiés du côté de la droite républicaine – en révélant le massacre par l’armée américaine de cinq cents civils dans le village de My Lai, en 1969. Il a pour cela longtemps traqué, puis confessé le lieutenant Calley, qui ordonna cet assassinat collectif. Seymour Hersh obtient le prix Pulitzer, écrit un premier livre sur My Lai, puis un second à propos cette fois d’Henry Kissinger. The Price of Power, qui sera un best-seller, décrit un Kissinger manipulateur et cynique, planifiant la chute du président chilien Salvador Allende.
Embauché par le New York Times, où il restera plus de vingt ans, Seymour Hersh continue son travail d’investigation. Il rédige une biographie iconoclaste et très contestée de John Kennedy, axée sur les multiples débordements sentimentaux du président assassiné. Enquête sur la coopération américano-israélienne en matière nucléaire. Rédige une série d’articles remarqués sur un avion de ligne coréen abattu en plein vol par la chasse soviétique. Puis semble s’orienter vers une retraite paisible lorsque survient le 11 septembre 2001. Membre depuis peu du comité de rédaction du New Yorker, Hersh connaît alors un second souffle étonnant, « un été indien », dit joliment l’un de ses proches. À la différence de Bob Woodward, qui fut son grand rival du Washington Post dans le féroce marigot journalistique de la capitale fédérale, Seymour Hersh est un outsider qui sent le soufre. Woodward a ses entrées à la Maison Blanche, au Pentagone, au département d’État et à la CIA. Hersh non. Mais tous les frustrés, les laissés-pour-compte, les placardisés, les renégats et les dissidents de ces quatre hauts lieux du pouvoir américain viennent le voir, se confient à lui et livrent leurs secrets. Une vraie mine d’or. Article après article, Seymour Hersh va donc s’employer à révéler et à disséquer la face cachée de la guerre américaine contre el-Qaïda, la traque de Ben Laden, les interventions en Afghanistan puis en Irak, débusquant au passage quelques jolis lièvres comme l’affaire Wilson et l’« uraniumgate ». En 2002, sa cible s’appelle Richard Perle, président du très influent Defence Policy Board du Pentagone, prince des ténèbres, faucon parmi les faucons et idéologue des néoconservateurs. Hersh l’accuse de trafic d’influence. Déstabilisé, Perle démissionne. Désormais, dans le collimateur de ce Michael Moore de la presse écrite se dresse la silhouette massive de Donald Rumsfeld – laquelle, comme chacun le sait, en cache, plutôt mal, une autre : celle de George W. Bush.
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