Les Maghrébins sont-ils racistes ?

Dans notre enquête sur la délocalisation de la Banque africaine de développement(BAD) d’Abidjan à Tunis (J.A.I. n° 2259), nous avons parlé d’« opérationtechniquement réussie, mais traumatisante pour le personnel ». Un denos lecteurs s’émeut des mani

Publié le 24 mai 2004 Lecture : 3 minutes.

Dans « La BAD, si loin d’Abidjan », signale qu’« exception faite de quelques incidents les rapports [des salariés originaires d’Afrique subsaharienne] avec la population sont, en règle générale, plutôt corrects ». Pour ma part, ayant vécu plusieurs années à Abidjan et ayant retrouvé plusieurs membres du personnel de la BAD transférés à Tunis, je suis atterré par les manifestations d’hostilité et de racisme qui me sont signalées.
Comme le précise l’article, « rien n’a été fait dans les médias, le système éducatif ou les associations, chez les opérateurs économiques ou les commerçants, pour expliquer que les fonctionnaires de la BAD sont les bienvenus ».
L’auteur ajoute que cela aurait nécessité la nomination d’un « monsieur BAD ». Je pense que le problème est plus grave et qu’il nous faudrait davantage un « monsieur Afrique noire » pour lutter contre le racisme, l’ignorance ou l’autosuffisance.
Les sociétés maghrébines ou arabes sont effectivement racistes, quelles que soient les proclamations sur l’unité africaine ou sur la Oumma musulmane. Les anciennes relations maîtres-esclaves ont laissé des traces et pas seulement au Soudan ou en Mauritanie.
Les programmes et manuels scolaires à tous les niveaux (primaire, secondaire et supérieur) ignorent complètement le continent africain en dehors de sa frange Nord (Maghreb et Égypte).
Les médias écrits ou audiovisuels sont orientés vers l’Occident (essentiellement vers l’Europe) et le Moyen-Orient, et pratiquement jamais vers le Sud, qu’il s’agisse de l’Afrique, de l’Asie ou de l’Amérique latine. Il est vrai que ces pays « riches » offrent des opportunités d’investissement, d’import-export, d’emploi et d’émigration, de technologies novatrices, de tourisme, que ne proposent pas les pays d’Afrique sub-saharienne.
Reste que le public tunisien, scolarisé de plus en plus en arabe, ne dispose d’aucune source d’information sur l’Afrique noire dans cette langue, que ce soit en histoire, géographie, anthropologie, culture… Ceux qui s’y intéressent doivent recourir à des publications en français ou en anglais introuvables, y compris dans les principales bibliothèques ou librairies de Tunis, ou alors se brancher sur Arte, TV5 ou RFI.
Les aspects encourageants se limitent à la notoriété de quelques vedettes sportives dans les équipes de football et de basket, la retransmission des matchs de la CAN, les projections cinématographiques durant le Festival de Carthage ainsi qu’à l’ouverture de lignes de Tunisair vers Dakar, Bamako et Abidjan.
Pour oeuvrer au dialogue entre les cultures, il faut inclure l’Afrique noire dans les programmes scolaires d’histoire, de géographie, de littérature et d’art, et créer un Centre d’études africaines comme il en existe dans les universités de dizaines de pays occidentaux. Je suggère aussi la construction en Tunisie d’un musée des Arts et Civilisations africaines. Pourquoi aller à Paris, Tervuren, Londres, Genève ou New York pour découvrir la richesse artistique de ce continent ? À quand, enfin, la publication d’une version arabe de l’Atlas de l’Afrique par votre Groupe, qui peut, en effet, se flatter d’avoir toujours privilégié une vision panafricaine du continent ? Évidemment, cela implique l’intervention des pouvoirs publics, mais aussi de sponsors privés, d’associations ou de particuliers. Bref, une réelle volonté d’ouverture.

Réponse : Votre réaction vient confirmer un fait positif : les élites tunisiennes qui fréquentent ou ont fréquenté des Africains du sud du Sahara ressentent généralement plus intensément que d’autres toute manifestation de racisme à leur égard. Lors de mon enquête auprès du personnel de la BAD, de hauts cadres comme des employés ont fait état d’une dizaine de cas traduisant un comportement raciste, ou ressenti comme tel. Est-ce suffisant pour estimer qu’aujourd’hui les sociétés maghrébines sont dans leur ensemble racistes ? Aucun de nos interlocuteurs d’Afrique subsaharienne, y compris des représentants du personnel, n’a été jusqu’à faire une telle généralisation. En tout état de cause, l’accusation de racisme étant une chose sérieuse, il faut pouvoir la justifier. Mais il était de notre devoir de rapporter les faits, et c’est ce que nous avons fait. Par ailleurs, et dans l’énumération des sources en langue française parlant de l’Afrique noire et accessibles à partir de Tunis, vous oubliez les principales d’entre elles qui sont celles du Groupe Jeune Afrique. De nombreux Tunisiens – et Maghrébins – y ont pourtant de plus en plus recours pour s’informer sur le continent.
Bonne chance à votre projet de musée des Arts et Civilisations africaines.

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