Algérie : disparition d’Aziz Chouaki, l’écrivain en « exil littéraire »

Exilé à Paris depuis 1991, l’écrivain et dramaturge Aziz Chouaki s’est éteint le 16 avril à l’âge de 67 ans. Il laisse derrière lui une importante production artistique, avec en toile de fond l’Algérie, son pays d’origine.

L’écrivain et dramaturge Aziz Chouaki s’est éteint le 16 avril à l’âge de 67 ans. © Wikimedia/CC

L’écrivain et dramaturge Aziz Chouaki s’est éteint le 16 avril à l’âge de 67 ans. © Wikimedia/CC

Arianna Poletti

Publié le 24 avril 2019 Lecture : 3 minutes.

En septembre, il jouait encore ses œuvres dans un petit théâtre du 18ème arrondissement de Paris. Tout en racontant les péripéties de ses personnages, Aziz Chouaki observait attentivement les rues algériennes remplies de manifestants opposés au cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Il avait même commencé à écrire. « Enfin, l’Algérie devient blonde, comme tout le monde quoi », rédigeait-il le 22 février, date du début des rassemblements. « Aziz était très fier de cet emballement, il croyait à peine au surgissement de cette jeune élite », raconte à Jeune Afrique Yasmine Chouaki, son épouse.

Son ami de longue date et metteur en scène Jean-Louis Martinelli se souvient encore d’un vieux texte « précurseur » sur Bouteflika, écrit il y a quelques années. Pourtant cet artiste complet – écrivain, poète, musicien et dramaturge – ne se définissait pas comme un auteur politique. « Aziz a toujours saisi le réel pour le transposer dans l’imaginaire. Il provoquait son public sans être pédagogique, ainsi ce qu’il écrivait nous secoue profondément. Il dynamite la langue et la bien-pensance », souligne Jean-Louis Martinelli.

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Un exil géographique et littéraire

Selon le metteur en scène, « les êtres déracinés, arrachés du tissu social, en errance » sont le fil conducteur de ses œuvres. Dans son dernier spectacle Europa (2018), on retrouve la frustration des jeunes de la banlieue d’Alger, qui s’agitent sur la scène en criant : « Lampedusa, mon amour, où es-tu ? » Les harragas (jeunes Algériens candidats à l’émigration) se déplacent en dansant sur un fond noir, semblable à la mer Méditerranée. Lui qui écrivait sa thèse de doctorat sur le roman Ulysse de James Joyce, a mis en scène l’exil, le départ, la migration. Toujours avec beaucoup d’ironie.

Sa femme s’en souvient : « En France, on lui disait souvent qu’on ne pouvait pas rire d’un drame. Il s’est battu pour imposer son grand rire. » « C’est pour moi la meilleure manière d’humaniser ces migrants », expliquait-il, interviewé par Le Monde en septembre 2018. L’exil, Aziz Chouaki l’a vécu personnellement lorsqu’il a fui l’islamisme de la décennie noire, le 11 janvier 1991. Il était alors sur la liste des intellectuels à abattre suit aux textes qu’il signait dans le Nouvel Hebdo. « Ce n’est pas uniquement un exil géographique, c’est également un exil littéraire », raconte Yasmine Chouaki. Né dans la commune kabyle de Tizi Rached en 1951, l’artiste « vit dès sa naissance l’exil de la colonisation française ».

« Il mêle le savoir populaire et l’érudition »

Son écriture est un mélange de français, kabyle et arabe dialectal. Une langue qu’il définissait comme étant « hybride, violente et mosaïque ». Pour Jean-Louis Martinelli, une langue « ni algérienne ni française, mais du monde ». Selon le metteur en scène de plusieurs textes de Chouaki (Zoltan, Corsica, Esperanza), la plume des bas-fonds d’Alger « était un homme de mot, qui mêle le savoir populaire et l’érudition. Il s’emparait du langage, il créait des paroles ». Si l’Algérie a toujours été en toile de fond, l’artiste n’écrivait pas en tant qu’« écrivain algérien », tout en se sentant exclu de l’intelligentia parisienne. « Il se réclame de la littérature, explique son épouse, ses points de référence ont été Joyce, Rabelais, Borges mais aussi Allan Poe et Shakespeare ».

« Ma mère me lisait les comptes de Charles Perrault en français et en kabyle », racontait-il en septembre 2018. Fils d’éducateurs, Chouaki découvre la littérature grâce à sa famille. Son grand-père, Mohamed-Saïd Hadjeres, a été le premier instituteur musulman de l’Ecole normale durant la période coloniale, cité par Albert Camus dans Misère de la Kabylie. Mais « son premier langage était la musique, seulement après il y a eu la poésie », raconte sa femme, rencontrée en 1987. « Un motif qui revient dans ses ouvrages ? L’Ecriture, avec un grand E. »

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Musicien passionné aussi bien par le rock et le jazz que par la musique chaabi, après des études de lettres anglaises à l’Université d’Alger, il publie son premier roman en 1988. Réédité trente ans plus tard aux éditions Bleu, Baya, rhapsodie algéroise, un monologue d’une femme algérienne, a été repéré en 1990 par le directeur du Théâtre des Amandiers de Nanterre. Qui lui dira : « Tu fais du théâtre sans le savoir ! » Depuis, Aziz Chouaki s’était aussi consacré à l’écriture théâtrale, en publiant notamment le texte L’Étoile d’Alger (2002) et Les Oranges (1997), une métaphore de l’histoire du peuple algérien.

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Son dernier spectacle Europa sera joué au Festival d’Avignon cet été 2019.

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