Lutte contre le paludisme : l’artemisia, une « plante miracle » qui fait débat
Pour venir à bout du paludisme, les partisans de l’artemisia, une plante qui guérirait de la maladie, tentent depuis plusieurs années de faire reconnaître ses propriétés. À l’occasion de la journée mondiale de lutte contre la malaria, Jeune Afrique revient sur le débat qui fait rage entre les adeptes et les adversaires de la plante.
Dans la lutte contre le paludisme, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) vient d’abattre une toute nouvelle carte : le RTS,S, le premier vaccin mondial contre la maladie. Celui-ci sera bientôt administré aux enfants de moins de deux ans au Malawi, au Ghana et au Kenya. Les trois pays participent à un programme pilote qui devrait permettre aux experts de l’OMS d’aiguiller leurs recommandations sur son utilisation.
« Le rêve pour nous, professionnels de la santé publique, serait d’avoir enfin un vaccin efficace qui empêcherait la contamination des enfants », confie Richard Mihigo, responsable du développement des vaccins pour l’Afrique à l’OMS. Les enfants sont en effet les plus touchés par la maladie, qui tue plus de 400 000 personnes chaque année – la grande majorité en Afrique. D’ici deux ans, l’organisation pourra dresser un premier bilan du RTS,S, et l’inclura peut-être dans ses recommandations mondiales.
De quoi redonner un peu d’espoir à ces médecins, qui s’alarment de voir que la maladie touche 219 millions de personnes par an et, surtout, que ce chiffre stagne depuis plusieurs années. Les objectifs que les experts s’étaient fixés, de réduire les cas et les décès dus au paludisme d’au moins 40 % avant 2020, semblaient bien optimistes. L’OMS l’a d’ores et déjà admis : ils ne seront pas atteints l’année prochaine.
Lubie ou plante miracle ?
Loin des bureaux genevois de l’organisation, dans une vingtaine de pays d’Afrique, des centres de formation mènent leur propre bataille contre la maladie. Plus de quarante fondations y cultivent et administrent la tisane d’artemisia afra, une plante qui pousse sur les hauts-plateaux africains, et qui, assurent-ils, guérit du paludisme aussi bien, voire mieux, que les médicaments recommandés par l’OMS. Après le savon contre la paludisme et les moustiques génétiquement modifiés, leur tisane est-elle une lubie ou un véritable miracle ?
Au Tchad, Seid Aldahby Abakar se dit conquis. Au ministère de la Santé, ce responsable du secteur de la pharmacopée et de la médecine traditionnelle est un porte-parole convaincu des bienfaits de la « plante miracle ». Il espère pouvoir financer un projet en collaboration avec l’un de ces centres, aussi appelés « maisons de l’artemisia », et former des agents de santé.
« Au lieu de devoir chaque année fabriquer une nouvelle molécule, pourquoi ne pas utiliser un produit auquel tout le monde a accès, et vendu à un prix très bas ? », interroge le pharmacognosiste. Un traitement complet coûte, en fonction des pays, 1 000 à 2 500 francs CFA. Un prix bien inférieur à celui des ACT, les médicaments recommandés par l’OMS, qui sont des combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine, une molécule extraite de l’artemisia annua.
Trois millions de traitements
Selon Lucile Cornet-Vernet, une Française qui a participé au lancement de ces centres de santé, les maisons de l’artemisia emploient plus de 1 000 personnes à travers le continent, et ont administré 3 millions de traitements depuis trois ans.
« Nous souhaitons uniquement braquer les projecteurs sur une solution très efficace, locale et pas chère, qui peut être utilisée par des personnes qui n’ont pas les moyens de s’acheter des médicaments ou qui n’ont pas accès à ceux-ci », assure-t-elle, prudente, afin de ne pas contrarier l’OMS.
Depuis plusieurs années, les adeptes de l’artemisia se démènent ainsi pour faire reconnaître les bienfaits de la plante par les experts internationaux. Ce sont eux qui établissent des recommandations qui influent sur l’ensemble des politiques de santé publique des pays membres. En 2012, l’OMS émettait pourtant un avis défavorable concernant la consommation de l’artemisia annua, une version différente de la plante cultivée en Afrique, « de n’importe quelle manière que ça soit ». Elle n’en a pas changé d’avis depuis.
Guerre de communiqués
« Nous ne disposons pour l’instant d’aucune évidence scientifique qui viendrait changer notre position concernant l’artemisia », déclare Jean-Baptiste Nikiéma, docteur et conseiller régional de l’organisation pour la médecine et la pharmacopée traditionnelle. « Un comité d’experts se réunit chaque année et émet des recommandations sur la base de la quantité et la qualité de la production des avis scientifiques », explique-t-il.
Jusqu’ici, ce comité d’experts a bien été formel : rien ne permet de déterminer l’efficacité de la plante et son absence de risques pour les populations. « Mais leur avis peut changer », assure Jean-Baptiste Nikiéma. Le prochain comité devrait se réunir dans le courant de l’année.
La maison de l’artemisia se targue justement d’avoir publié deux études répondant « aux normes de l’OMS » en décembre 2018 et en avril 2019. Ces publications pourraient-elle parvenir à faire fléchir la position de l’organisation ? Elles ne sont en tout cas pas passées inaperçues dans le monde médical, et ont même ramené le débat sur un continent qui a pourtant éradiqué le paludisme depuis longtemps.
Le 19 février dernier, l’académie nationale de médecine française, « inquiète » des dangers de l’artemisia, alertait face aux « recommandations scientifiquement incertaines et irresponsables » de personnes « peut-être bien intentionnées mais incompétentes en paludologie ». Un communiqué auquel ont répondu les partisans de l’artemisia avec un appel à mener « d’urgence » les études nécessaires à prouver définitivement l’efficacité de la plante.
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