La solution

Publié le 24 mai 2004 Lecture : 2 minutes.

Un quartier huppé de New York, en fin d’après-midi. Il fait chaud et lourd. La gorge sèche, je pousse la porte d’un café cossu, mais un gorille me repousse sans ménagement :
– Fête privée !
Mais on ne se débarrasse pas aussi facilement d’un descendant d’Ibn Battouta, qui plus est chroniqueur de L’Intelligent. Curieux de voir qui se permet de réserver tout un café – j’imagine déjà Don Corleone ou la mafia russe ou un prince saoudien en tête à tête avec ses soixante concubines -, je fais le tour du pâté de maison et je passe par la cuisine. On s’amuse bien dans ce café, la sono est à fond, les jus de fruits coulent à flots. En fait, il y a là une centaine d’adolescents qui se trémoussent au rythme de la musique de Big Fat Bastard, la nouvelle idole du rap, et de Little Slut, la fille aînée de Madonna. Dans un coin obscur, je demande – il faut hurler – à un jeune luron ce qu’on fête de si bon coeur. Il me désigne un autre ado, teint olivâtre et cheveux de jais :
– C’est la bar-mitzvah de Mohamed.
Relis cette phrase lentement, ami lecteur, et roule-la bien sur ta langue, elle en vaut la peine.
– C’est la bar-mitzvah de Mohamed.
Une stupéfaction insensée s’empare de moi. Bar-mitzvah, c’est bien un truc de juifs, non ? Mohamed, c’est bien un truc de musulmans, c’est même le petit nom du Prophète, hein ? Est-ce que je deviendrais fou ? Ah, j’aurai tout vu. Ce sont les Signes de l’Heure, la fin est proche. Je quitte le café précipitamment, avec l’impression d’être damné jusqu’à la fin des siècles.
Le soir même, dans un autre coin de New York, je me fais traiter de plouc par mon ami John chez qui je dîne.
– Plouc ! Tu ne sais pas que c’est la mode dans la jeunesse dorée américaine ? Comme on ne sait plus qui est qui, comme il y a cent ethnies différentes et que tous ces gens-là se marient les uns avec les autres, comme on ne veut pas faire de jaloux, eh bien, on fête toutes les fêtes. Ton Mohamed est probablement un Iranien au père milliardaire. Ses amis juifs fêteront Noël et tout le monde défilera à l’occasion de la Saint-Patrick.
– Mais alors, John, c’est la solution à tous nos problèmes ! On rendra grâces à Dieu tous les jours, dans des langues et des cérémonies différentes. Plus besoin de s’entretuer en son nom !
Tard dans la nuit, je rentre à l’hôtel avec des images d’Aïd el-Kébir à la Maison Blanche, Bush égorgeant le mouton dans la baignoire et Laura étendant la viande séchée sur le gazon…

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