« George and me »

Publié le 24 mai 2004 Lecture : 4 minutes.

Le turbulent écrivain et cinéaste Michael Moore a acquis une certaine notoriété il y a une quinzaine d’années, d’abord aux États-Unis puis dans le monde entier, avec un film intitulé Roger and me. Dans ce documentaire très particulier, virulent mais plein d’humour, il racontait une véritable traque, caméra au poing, celle du prénommé Roger, président de la General Motors. On accompagnait le réalisateur qui essayait vraiment par tous les moyens, lui, simple citoyen, de s’entretenir avec ce patron tout puissant pour lui faire comprendre le drame social que représente chaque fermeture d’usine, et en particulier celle réalisée à cette époque par le premier constructeur mondial d’automobiles à Flint, petite ville du Middle West dont il est originaire.
Aujourd’hui, avec Fahrenheit 9/11, présenté en première mondiale à Cannes où il a été longuement ovationné, comme aucun autre long-métrage en compétition pour la Palme d’or, on assiste à une nouvelle traque, celle de George Bush, que Michael Moore poursuit de sa vindicte deux heures durant. C’est, cette fois encore, à une sorte de duel sur pellicule, qu’on pourrait appeler « George and me », que le spectateur est convié à assister.

Avant même le générique, le ton est donné lors d’une longue séquence où Michael Moore explique comment, avec toute une série de complices, Bush a « volé » son élection en 2000, notamment en faisant habilement invalider, avant même le scrutin, des milliers de votes d’Africains-Américains en Floride, où s’est joué à quelques centaines de voix le sort de la présidentielle. Mais la charge devient immédiatement après encore plus cruelle, quand le cinéaste nous invite à suivre les fameux événements du 11 septembre 2001 en compagnie du maître de la Maison Blanche. Ce dernier, ce matin-là, est justement en Floride, cet État qu’il aime tant et dont le gouverneur est tout simplement – ce qui explique bien des choses – son propre frère, Jeb Bush. Il est assis sur l’estrade dans une salle de classe pour tout- petits, un livre pour enfants de 6 ans à la main, afin de marquer de sa présence, sous le regard de la télévision, le lancement d’une campagne nationale en faveur de la lecture. Lorsqu’un conseiller lui apprend successivement en lui chuchotant à l’oreille les deux attentats de New York et l’effondrement des tours du World Trade Center, il reste sans réaction. On le voit conserver l’air hagard, comme s’il ne pensait à rien, pendant sept minutes, se contentant de tourner quelques pages de l’ouvrage – titre : Ma biquette – qu’il a sur les genoux. Une scène surréaliste, qu’aucun metteur en scène n’aurait osé tourner, qui renvoie le supposé maître du monde à la fois à une posture ridicule, à un statut d’enfant et à son incapacité à décider quoi que ce soit à un moment crucial. Car, commente implacablement le procureur Moore, « personne ne lui a dit encore quoi faire ».

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Tout le film, qui, de par ses éléments bien choisis et son montage très efficace, fait rire ou ricaner autant qu’il suscite l’effroi, se poursuit sur ce registre. Quand il nous montre un président qui n’aime rien tant que les vacances : 42 % de son temps au Texas à se détendre entre son élection et le 11 septembre, calcule le réalisateur. Quand il nous explique comment les Bush, père et fils, très liés à la cour royale d’Arabie pour des raisons à forte odeur de pétrole et donc très lucratives, ont tout fait pour que la piste saoudienne du terrorisme soit minimisée. Et comment les mêmes se sont débrouillés pour que leurs excellents amis de la très riche famille Ben Laden présents aux États-Unis puissent quitter le sol américain par les airs et se mettre à l’abri des questions du FBI juste après le 11 septembre 2001, à un moment où tous les vols étaient pourtant encore suspendus. Quand il analyse la façon dont la Maison Blanche a profité des attentats pour faire voter à la va-vite une série de lois – le Patriot Act – qui mettent gravement en danger les libertés individuelles et conduisent à des bavures policières ubuesques. Quand, enfin et surtout, il aborde le chapitre de la guerre contre l’Irak, pays qui ne menaçait en rien les États-Unis, mais qu’il fallait forcément attaquer pour satisfaire divers réseaux d’intérêts. Et cela quel que soit le prix à payer… par l’Amérique d’en bas, dont on envoie les fils se faire tuer.
Ce dernier point permet à Moore le provocateur de se montrer à son meilleur : on le voit interroger sans pitié devant le Capitole un par un tous les parlementaires pro-Bush à portée de son micro pour leur demander si, très logiquement, ils accepteraient d’encourager leurs propres enfants à aller en Irak… Mais les scènes de ce type, celles, toujours cocasses, qui mettent directement en scène le cinéaste, sont malheureusement trop peu nombreuses dans ce documentaire de combat qui utilise surtout les images d’archives sur fond de commentaires acides. Du coup, on retrouve sans doute moins dans ce film ce qui faisait l’originalité de la démarche de Moore et la singularité de son style dans ses précédents long-métrages. Mais, manifestement, peu importe pour lui : il veut seulement dire au plus grand nombre, et d’abord aux Américains, qu’il faut chasser le locataire actuel de la Maison Blanche. Son objectif n’est pas cinématographique mais purement politique. Heureusement pour lui, il peut le poursuivre avec le concours d’un acteur comique involontaire qui assurera le succès de l’entreprise sur les écrans : ce président cynique et dangereux qui, devant une assemblée de multimillionnaires, déclarait récemment, se trouvant lui-même très drôle : « Êtes-vous l’élite ? Non, vous êtes ma base. »

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