Edem Kodjo

Ancien Premier ministre du Togo

Publié le 24 mai 2004 Lecture : 3 minutes.

Edem Kodjo est attentif à son allure : costume gris anthracite, chemise blanche, cravate et mouchoir fantaisie de couleur mauve, Légion d’honneur à la boutonnière, fine moustache qui descend jusqu’à la lèvre inférieure. L’ancien ministre des Finances, puis des Affaires étrangères du Togo (1973-1976 et 1976-1977), ancien secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA, de 1978 à 1984) et Premier ministre en 1994, n’est pas de passage dans les locaux de Jeune Afrique/l’intelligent, ce mardi 4 mai, pour parler politique ou économie, ses sujets de prédilection. Ni pour exposer les idées contenues dans un nouvel essai universitaire(1). Non, l’homme, qui fêtera le 23 mai prochain ses 66 ans, est là pour parler de son premier roman, Au commencement était le glaive(2), qu’il publie à la Table ronde, maison d’édition dirigée par Denis Tillinac, un proche de Jacques Chirac passionné d’Afrique.

Comment se lance-t-on, à plus de 60 ans, dans l’écriture d’une fiction ? « Ce n’est pas simple, raconte Edem Kodjo, mais j’ai écrit ce livre avec jubilation. Le plan de travail que l’on adopte au départ n’est jamais respecté. On écrit un peu comme on marche, en changeant souvent d’itinéraire. Mais ce n’est pas facile, il faut constamment chercher son mot. » Pendant huit mois, l’homme politique s’est attelé à une tâche solitaire, bien différente de ce qu’il avait pu expérimenter auparavant. « Ce livre, c’est le roman de l’Afrique, de ce qu’il s’y passe. Il peut paraître dur, mais c’est une condamnation sans détour des travers, des crimes, des assassinats dont le continent n’a que faire. Je me suis laissé porter par une imagination débordante en recherchant une véritable écriture romanesque, un souffle, un style incantatoire. C’est la liberté du poète », affirme-t-il avant de confier qu’il ne conçoit pas « qu’on écrive seulement pour raconter une histoire ». Selon lui, « le roman n’est pas une affaire de composition », ce qui explique sa prédilection pour « les mots rares et le rythme de la phrase ». Pensait-il à son pays en décrivant les affrontements entre Hamouris et Bamounas ? « Non, je n’y pensais pas. Mais est-ce qu’un auteur peut s’extirper de son vécu ? J’ai voulu situer ce livre dans la région des Grands Lacs. Ce que je poursuis, c’est l’analyse du phénomène du pouvoir. Les problèmes de flagornerie, de courtisanerie, de lâcheté. La violence aveugle qui n’épargne ni les enfants ni les femmes. Je fais à peine preuve d’imagination quand je raconte que des écoliers vont dénoncer leurs camarades d’une autre ethnie. » La politique encore : chassez le naturel, il revient au galop.

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Edem Kodjo est intarissable sur les auteurs qu’il fréquente, au point de rappeler le lendemain pour évoquer ceux qu’il a oublié de mentionner : « Les poètes de la négritude m’ont façonné, notamment Aimé Césaire. J’ai une prédilection particulière pour les Français Saint John-Perse et Julien Gracq. Sans oublier, bien sûr, le Malien Yambo Ouologuem, auteur du Devoir de violence, et Ahmadou Kourouma, qui m’a bien fait rigoler avec En attendant le vote des bêtes sauvages. » Et la jeune garde togolaise, Kossi Efoui, Kangni Alem, Sami Tchak ? Oui, il les lit, notamment le roman de ce dernier, Place des Fêtes, « où l’on s’envoie en l’air de la première à la dernière page, mais où quelques problèmes de fond sont posés ».

Le Togo ? « Je pourrais écrire sur mon pays, mais plutôt un essai qu’un roman. » La politique, au Togo ? « Il y a onze mois, j’avais décidé de me retirer et de prendre du recul. J’avoue que j’ai apprécié cette période de liberté retrouvée. Mais la vie, c’est la vie, et les événements ont vite fait de vous ramener aux choses politiques. Des consultations ont lieu en ce moment autour des vingt-deux engagements pour la démocratisation du pays. Si c’est pour mettre cela en oeuvre, je n’hésiterai pas à donner un coup de main. C’est ce pour quoi nous nous battons depuis 1991. Accepter une contribution serait cohérent. Après s’être battu, pourquoi se débiner ? » confie l’opposant de 1991 devenu Premier ministre en 1994. Est-ce à dire qu’il cessera d’écrire ? « J’essaierai de poursuivre mes deux activités. Peut-être avec des poèmes, plus faciles à écrire qu’un roman qui demande plus de souffle. »

1. Edem Kodjo a publié chez Stock Et demain l’Afrique… en 1985, et L’Occident du déclin au défi, en 1991.
2. Au commencement était le glaive, d’Edem Kodjo, La Table ronde, 290 pp., 16 euros.

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