« En Égypte et en Tunisie, les sécuritaires ont été complètement dépassés par le retour des jihadistes »

Le rapport d’avril 2019 de l’institut de recherche Egmont compare les stratégies mises en place par les autorités de Tunisie, d’Égypte et du Maroc pour faire face au retour des jihadistes partis à l’étranger. Si la réponse dans ce dernier pays est plus globale, celle des deux premiers est trop axée sur la sécurité, selon le coordinateur de l’étude.

Un convoi de Daesh dans la province d’Anbar, en Irak. Photo diffusée sur un site jihadiste en janvier 2014 (image d’illustration). © AP/SIPA

Un convoi de Daesh dans la province d’Anbar, en Irak. Photo diffusée sur un site jihadiste en janvier 2014 (image d’illustration). © AP/SIPA

Arianna Poletti

Publié le 3 mai 2019 Lecture : 4 minutes.

Selon les chiffres officiels, ils seraient plus de 5 000 individus à avoir quitté le Maghreb (et en majorité les trois pays étudiés) pour rejoindre l’organisation État islamique (EI) en Syrie et en Irak, sans compter un important contingent de 2 000 combattants affiliés à l’EI partis en Libye. La Tunisie est le pays de la zone avec « le plus fort taux de combattants à l’étranger par habitant », mais des milliers d’affiliés sont partis aussi du Maroc et d’Égypte. Aujourd’hui, à la suite de la perte de pouvoir et de territoire de Daesh, la question de leur retour se pose. Si beaucoup d’entre eux ont perdu la vie, « depuis 2012, plus de 1 000 sont déjà retournés » dans leurs pays d’origine.

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Basé à Bruxelles – tout en collaborant avec des chercheurs sur place – , l’institut de recherche indépendant Egmont s’est penché sur cette épineuse problématique. Dans son dernier rapport intitulé Returnees in the Maghreb : comparing policies on returning foreign terrorist fighters in Egypt, Morocco and Tunisia, plusieurs chercheurs ont observé comment les autorités tunisiennes, égyptiennes et marocaines font face – ou pas – au retour des jihadistes partis à l’étranger. Thomas Renard, chercheur à l’institut Egmont et coordinateur de l’étude, revient sur les principaux enjeux.

Jeune Afrique : Le Maghreb a été particulièrement touché par la problématique du recrutement. Comment expliquez-vous cela ?

Thomas Renard : Au Maghreb, et dans ces trois pays en particulier, plusieurs facteurs se combinent. Aucun n’a un lien direct avec le départ pour l’EI, mais ils ont créé un terreau fertile. Tout d’abord, il faut considérer qu’ils ont une scène islamiste et jihadiste déjà présente. Il faut également prendre en compte le contexte historique, politique et économique. Même si les trois États ont vécu 2011 de manière très différente, dans la période post-printemps arabes, la déception a été commune et est venue se combiner avec une véritable dynamique à l’œuvre en Syrie et en Irak.

Observez-vous un lien entre les printemps arabes et cette question ?

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Pas directement, mais il y a eu une fenêtre d’opportunité qui s’est ouverte pour ensuite se refermer. Dans plusieurs récits recueillis pour notre rapport, des éléments comme « l’insécurité économique », « le sentiment d’injustice » et « l’absence d’opportunité » reviennent. Les inégalités économiques et sociales de plus en plus évidentes dans une société très jeune créent une forme de vulnérabilité au sein de la population. Je répète qu’il n’existe pas de lien de causalité direct entre ces facteurs et le fait de partir pour le jihad, mais ils participent à créer ce terreau fertile.

La radicalisation est un mélange de facteurs collectifs et d’éléments de fragilité individuelle, combinés avec un puissant réseau de recrutement

C’est un mélange de facteurs collectifs et d’éléments de fragilité individuelle, combinés avec un puissant réseau de recrutement, comme c’était le cas pour la Syrie et l’Irak. On a constaté que cette « radicalisation » est un phénomène à la fois très complexe et ancré localement. Il a lieu dans certaines localités précises : on a pu l’observer au Maroc, où l’on a accès à des données plus précises, mais également en Tunisie et en Égypte.

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Le Maroc semble effectivement le pays le mieux outillé pour faire face au retour des jihadistes par rapport à la Tunisie et l’Égypte, qui adoptent une approche « purement sécuritaire ». Pourquoi ?

Entre les trois pays, le Maroc est effectivement celui le mieux équipé pour faire face à cette problématique. Sans qu’il faille pour autant louer son modèle, c’est le seul pays qui va un peu au-delà de l’approche purement sécuritaire, en introduisant par exemple des programmes de rééducation en prison. En Égypte et en Tunisie, les services de sécurité ont été complètement dépassés par la question, et souvent les jihadistes qui retournent au pays ne sont même pas identifiés.

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Des mesures légales et administratives devraient être mises en place pour savoir qui part, qui revient et quoi en faire. Mais on a constaté que ni l’Égypte ni la Tunisie n’ont mis leur système législatif en conformité avec les recommandations internationales. Et même quand on arrive à identifier, interpeller et judiciariser les dossiers de ces personnes, il n’y a aucun suivi individuel. Il n’existe aucun programme de prévention ou de réinsertion dans la société. De plus, ces pays ont déjà été confrontés au retour de combattants dans les années 1990 et 2000, mais aucune mesure n’a été prise.

Peut-on parler de foreign fighters ?

Le concept de foreign fighter est occido-centré et n’est pas vraiment valable, car il n’illustre pas la complexité de la situation. Au Maghreb, il y a une couche additionnelle qui vient s’ajouter : des zones de non-gouvernance internes ou proches. C’est le cas par exemple en Égypte, où des islamistes sont installés dans le nord du Sinaï. Mais la manière de traiter le problème des jihadistes est relativement semblable.

La communication politique de ces pays porte souvent sur la « lutte contre le terrorisme ou l’islamisme ». En lisant votre rapport, on se rend compte que finalement peu de mesures efficaces sont prises pour faire face au problème…

Ces pays ont une longue histoire de terrorisme, y compris jihadiste, et ont développé historiquement des services de sécurité assez forts. Mais en réalité, l’Égypte et la Tunisie n’arrivent plus à gérer un phénomène qui ne concerne plus quelques individus, mais un groupe important de personnes. Cela montre toutes les limites de l’approche exclusivement sécuritaire.

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