Dakar in, Dakar off

Du 7 mai au 7 juin, la VI e Biennale de l’art contemporain réunit dans la capitale sénégalaise des centaines de plasticiens de tous horizons. Sur les sites de la sélection officielle, mais aussi un peu partout à travers la ville.

Publié le 24 mai 2004 Lecture : 6 minutes.

« J’ai préféré recouvrir le sol de sable fin, pour m’éviter la contrainte du balayage quotidien. Il me suffit de ramasser ce qu’il faut jeter à la poubelle. » Tout en parlant, Amadou Dieng ajuste un des tableaux accrochés au mur de son atelier. Nous sommes au Village des arts de Dakar, où cet artiste plasticien sénégalais de 52 ans expose dans le cadre de la Biennale de l’art africain contemporain, plus connue sous le nom de Dak’art. Durant tout un mois, du 7 mai au 7 juin, cette manifestation présente le travail de centaines de créateurs venus d’Afrique et d’ailleurs. Les projecteurs sont plus particulièrement braqués sur les trente-trois artistes et les cinq designers choisis par le Comité international de sélection de la Biennale (CIS), composé de commissaires d’expositions, de critiques d’art africains, canadiens, autrichiens et français. Sous l’égide de la Canadienne Sara Diamond, présidente du CIS, du Sénégalais Ousseynou Wade, secrétaire général de la Biennale, et du Français Victor-Emmanuel Cabrita, directeur du Conseil scientifique du Dak’art, les membres de ce jury international ont arrêté leur sélection sur des critères aussi divers que les intuitions créatrices de l’artiste, l’originalité et la nouveauté de sa démarche ou encore la dimension panafricaine et internationale de son oeuvre.
Les créations des artistes sélectionnés, quinze femmes et dix-huit hommes venus de seize pays d’Afrique, sont présentées dans les immenses hangars du Centre international de commerce extérieur du Sénégal (Cices), l’un des cinq sites officiels, à quelques encablures de l’aéroport. Seuls ces artistes dûment sélectionnés par le Comité international et qui présentent au total 94 oeuvres peuvent prétendre à la dizaine de prix offerts par les partenaires de la Biennale. Cette année, le Grand Prix Léopold-Sédar-Senghor (quelque 7 500 euros), le plus prestigieux et le plus convoité, a été décerné à Michèle Magema, de la République démocratique du Congo. La jeune artiste a reçu sa récompense des mains du chef de l’État Abdoulaye Wade, le 7 mai, jour de l’inauguration de la Biennale. Les prix du ministère de la Culture du Sénégal, de l’Union européenne, de la Francophonie et de la Communauté francophone de Belgique ont respectivement couronné le Maroc, le Cameroun, l’Égypte et l’Afrique du Sud. C’est aussi dans l’une des salles du Cices, ce lieu conçu à l’origine pour abriter les foires internationales, que la Tunisienne Fatma Charfi, tout de blanc vêtue, a dévoilé sa création « Rouge, blanc et noir », une mise en scène chorégraphiée sur le thème de la tolérance, au président Wade et à ses invités.
Les oeuvres des autres artistes faisant partie du programme officiel seront, elles, visibles dans l’un des quatre autres sites : la Maison de la culture Douta-Seck, dans le quartier populaire de la Médina, la Galerie nationale d’art, en plein centre-ville, le Musée de l’Ifan (Institut fondamental d’Afrique noire), à quelques pas de l’Assemblée nationale, et l’ancien palais de justice, qui domine les falaises abruptes du cap Manuel.
En marge de ces sites officiels appelés « In », où exposent des artistes venus d’horizons aussi variés que le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’Égypte, Madagascar, la Tunisie, etc., se tiennent les manifestations dites d’environnement. Par opposition au programme officiel de la Biennale, le Dak’art Off désigne une pluralité de sites aussi éclectiques que les centres culturels, les bars, les restaurants, les banques, les résidences, les théâtres ou les halls d’ambassades… Des expositions individuelles ou collectives y sont organisées à l’initiative de galeristes ou d’artistes. Ce qui donne un total de cent trente sites recensés dans la capitale, l’île de Gorée et dans des régions comme Thiès, Kolda (Casamance) ou encore Saint-Louis.
Un « Salon des refusés » comme en France au temps de Manet ou de Cézanne ? Ce n’est pas l’avis du secrétaire général de la Biennale : « Si le Off existe, c’est parce qu’il y a un prétexte qui lui permet de s’exprimer, affirme Ousseynou Wade. Les artistes africains ont compris que participer à la Biennale est fondamental pour pouvoir prétendre à une présence sur le marché international. » Alors qu’on ne comptait qu’une cinquantaine de manifestations « d’environnement » en 2000, le succès de cette édition 2004 du Dak’art Off montre en effet une évolution sensible chez beaucoup d’artistes qui considéraient leur participation hors des espaces réunissant les artistes sélectionnés comme marginale.
Unique manifestation d’envergure à consacrer sa sélection officielle aux Africains vivant sur et hors du continent, la Biennale permet de révéler à un large public venu des quatre coins du monde une Afrique qui crée et innove. Au départ, l’idée était de faire de la Biennale une vitrine de l’ensemble des arts et des lettres sur le continent. Mais, après deux éditions, l’option fut prise de centrer la manifestation sur les arts plastiques et le design. La priorité donnée à l’art africain n’interdit pas une ouverture sur le reste du monde. Ainsi, à côté des oeuvres du Camerounais Jules Bertrand Wokam ou de l’Algérien Mohamed Yahyaoui qui exposent au Salon du design, à la Maison de la culture Douta-Seck, peut-on admirer les céramiques de l’Italien Mauro Petroni. Dans les enceintes désaffectées de l’ancien palais de justice qui abrite la section Monde présidée par Hans Urlich Obrist, critique d’art et commissaire du musée d’Art moderne de Paris, des artistes venus de Chine, de France, des États-Unis, de Thaïlande, d’Allemagne, d’Angleterre et d’Albanie présentaient leurs créations.
Loin de l’agitation de la capitale, à Gorée, le Sénégalais N’Dari Lo est l’artiste phare de l’ancienne île aux esclaves. Ce sculpteur d’une quarantaine d’années, lauréat du Grand Prix Léopold-Sédar-Senghor 2002, expose dans les cachots de la maison coloniale de l’ancienne magistrate Marie-José Crespin (voir J.A.I. n° 2260). Lo a disposé sur le sol, mais aussi sur des filets tendus sur le mur, des centaines de sculptures lilliputiennes inspirées de sa série « Les hommes qui marchent ». Devant l’étonnement des visiteurs face à cette mer de petits bonshommes, Marie-José Crespin, qui réglemente l’accès dans les pièces exiguës, leur explique la technique employée par l’artiste. « N’Dari Lo travaille le fer à béton, indique-t-elle. Dès qu’il a un moment de libre, il réalise ses sculptures, d’où leur grand nombre. »
Quelques mètres plus loin, dans le hall de l’Université des mutants, installée dans l’une des plus belles bâtisses de l’île, Corentin Faye, Dakarois de 36 ans, raconte son échec, le second, à la sélection officielle de la Biennale. Comme pour le Dak’art 2002, il a rempli sa fiche de candidature, envoyé les photos de cinq de ses oeuvres et son CV technique. Il n’a pas été sélectionné, mais il est tout de même content d’exposer ses tableaux dans cette salle lumineuse et calme. Relier l’universalité de la race humaine à travers les réalités mystiques africaines, voilà son thème de travail, précise-t-il. Il y a aussi ceux qui, comme le peintre Amadou Dieng, n’ont pas voulu envoyer un dossier de candidature au Comité international de sélection. « L’art n’est pas une histoire de compétition », explique-t-il en préparant ses couleurs. Dieng, qui a exposé à plusieurs reprises en Suisse et en Allemagne, rêve d’accrocher ses oeuvres sur les murs d’une galerie parisienne. Si, comme l’affirme Ousseynou Wade, « le Dak’art est une plate-forme de validation, de promotion et d’inscription de la création africaine sur le marché international », le rêve de Dieng pourrait bien se concrétiser.

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