Chère réunification

Le diagnostic des experts est sans appel : la reconstruction de l’ex-RDA est grandement responsable de la crise économique actuelle.

Publié le 24 mai 2004 Lecture : 5 minutes.

La réunification conduit-elle à la faillite ? La question, provocante, est dans la tête de beaucoup d’économistes et d’hommes politiques occidentaux. Elle se pose à propos de l’Allemagne. Pourtant, lorsque, il y a quinze ans, le communisme agonisant, les deux Allemagnes décidaient de ne plus former qu’un seul État, que d’espoirs étaient fondés sur ces retrouvailles ! Chacun savait que celles-ci auraient un coût. Personne n’ignorait qu’il faudrait des années et beaucoup d’argent pour remettre à niveau l’ancienne RDA (République démocratique allemande).
Mais le chancelier Kohl, alors au pouvoir, promettait des « paysages florissants ». Depuis, l’ouest comme l’est de l’Allemagne ont déchanté. Le premier, car une grande partie de ses difficultés provient du boulet qu’il traîne. Le second, parce qu’il ne parvient pas à décoller en dépit des aides massives qui lui sont apportées. Le déséquilibre entre les deux zones reste considérable. Pour ne prendre qu’un seul exemple, le taux de chômage est de plus de 18 % à l’Est et de moitié moins environ à l’Ouest. Tous les indicateurs font état de la même tendance et aboutissent au même constat : la réunification n’a pas permis de symbiose entre l’économie de l’Est, qui dispose d’un appareil productif vieilli et de structures marquées par l’étatisme, et celle de l’Ouest, où le règne des avantages acquis et la notion d’État providence nécessitent des réformes, mais entravent peu la vitalité. Pour le chancelier Schröder, le pari est donc double : rénover l’Ouest, dynamiser l’Est.
Pourtant, les efforts pour parvenir à un meilleur équilibre n’ont pas manqué. En quinze ans, 1 250 milliards d’euros ont été déversés sur l’ex-RDA. Cette année encore, 90 milliards le seront. Au total, 4,5 % du Produit intérieur brut (PIB) des Länder de l’Ouest ont été affectés, chaque année, à ceux de l’Est. Et l’ensemble des transferts représente environ 4 % du PIB allemand, soit l’équivalent du déficit public de l’Allemagne pour 2004. Encore ne s’agit-il que de sommes officielles. Le montant total des aides financières, des avantages fiscaux et des coûts indirects reste inconnu.
Certes, le niveau de vie a été amélioré : celui de l’Est avoisine désormais 60 % de celui de l’Ouest, alors qu’il n’était que de 30 % en 1991. Mais tout cet argent a évidemment contribué à dégrader lourdement les finances publiques allemandes dont le taux d’endettement a doublé en quinze ans. Cette politique a eu aussi d’autres conséquences : la croissance de l’Allemagne est plus faible que dans le reste de la zone euro, et sa compétitivité a été affectée. Au point que vis-à-vis de ses partenaires européens, celle-ci reste inférieure à son niveau moyen d’avant la réunification. Un cercle vicieux s’est même instauré : la priorité donnée à la réunification a retardé du même coup d’autres choix indispensables, notamment la rénovation des structures sociales et la mise en place de réformes que la psychologie allemande accepte pourtant plus aisément que d’autres, notamment en France. D’où une situation économique délicate, l’Allemagne connaissant même une période de récession, dont l’amélioration sera longue. Il est d’ores et déjà prévu qu’en 2005, pour la quatrième année consécutive, Berlin ne pourra respecter le pacte de stabilité européen. Son déficit budgétaire sera, une fois encore, supérieur aux normes exigées par la Communauté européenne. À qui la faute ? La Commission de Bruxelles a établi son diagnostic. Sans appel. Elle juge que la reconstruction de l’Est est responsable aux deux tiers de la crise actuelle de l’Allemagne.
Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi avoir tant aidé la région orientale pour un résultat aussi médiocre puisque le PIB des nouveaux Länder croît toujours moins vite que celui des anciens ? Dans l’enthousiasme né de la chute du communisme, il s’agissait, bien sûr, d’effacer le passé, de prouver la vitalité de la nation allemande enfin réunie et d’afficher la solidarité entre des frères longtemps séparés. Il convenait donc d’éviter une différence sociale trop importante, mais aussi de freiner une émigration prévisible de l’Est vers l’Ouest. Ces grands objectifs ont été peu tenus. Aujourd’hui, l’Ouest compte 68 millions d’habitants, et l’Est, en diminution, 17 millions. Il en a perdu 1 million en quelques années, les éléments les mieux formés, et souvent les plus jeunes, choisissant d’aller travailler dans les Länder occidentaux. Quant aux salaires, s’ils ont été en grande partie harmonisés, ils demeurent toujours inférieurs d’environ 20 %, y compris pour les fonctionnaires, d’une zone à l’autre. Cette différence ne reflète pourtant pas celle de la productivité, bien plus forte encore : en ce domaine, pour un indice 100 à l’Ouest, il est de 60 dans les régions rattachées.
Cette situation était en partie prévisible. Peut-être les hommes politiques ont-ils sous-estimé les réactions humaines et les tensions qui pouvaient naître d’une réunification à marche forcée et sans grands résultats. L’Est se sent toujours mal aimé et estime être considéré comme une région peuplée de citoyens de seconde zone. Certains de ses habitants regrettent les avantages sociaux, voire le mode de vie du communisme. Une « nostalgie » existe. Elle se fonde en particulier sur le taux de chômage qui n’était que de 10 % en 1991. L’Ouest, lui, rechigne devant le coût financier de la solidarité. C’est que pour chaque citoyen de l’ancienne République fédérale allemande (RFA), l’endettement est passé de 3 933 euros en 1991 à 6 796 euros l’année dernière. Et que la moitié environ des transferts va à des dépenses non productives (allocations de chômage, charges sociales, retraites). Seuls finalement 34 % de la manne constituent des investissements directs ou des aides aux entreprises.
De toute façon, l’ancienne RDA décollerait-elle qu’il lui faudrait, selon les experts, au moins trois décennies avant de rattraper son retard. Bref, les Allemands grognent. Certains parlent de faillite. Ils dénoncent le gaspillage commis dans l’Est, les infrastructures luxueuses et parfois inutiles, la redondance des services publics, comme les universités de médecine à Leipzig et à Halle distantes de quelques minutes en train. Le malaise est tel qu’un hebdomadaire important, Der Spiegel, a créé l’événement en posant crûment la question : aider l’Est, mais « Pour quoi faire ? ». Même un rapport officiel se montre très sévère sur la manière dont la réunification a été menée tant par les démocrates-chrétiens que par les sociaux-démocrates. Kohl et Schröder sont mis dans le même sac. Aussi, beaucoup estiment nécessaire de reconsidérer entièrement la politique suivie. Pour les uns, l’ex-RDA devrait devenir une zone économique spéciale bénéficiant d’impôts plus faibles et accueillant des activités à bas salaire. Pour d’autres, les fonds devraient être concentrés sur quelques Länder seulement et ne soutenir que les projets les plus prometteurs. Certains vont encore plus loin. Ils plaident pour la baisse des salaires, exigent la révision des garanties contre les licenciements, réclament une meilleure flexibilité du marché du travail. Quelles que soient les solutions proposées, tous conviennent que rien ne bougera tant que les structures économiques de l’ex-RDA ne seront pas profondément modifiées. À lui seul, l’argent ne suffira pas pour éviter l’échec.

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