Volcan

Publié le 25 avril 2006 Lecture : 3 minutes.

Attention : porteurs DE lunettes françafricaines, s’abstenir. Le Congo de la rive gauche du fleuve jugulaire n’a rien à voir avec son petit frère de la rive droite, et tout ce qui s’y déroule est à l’exacte démesure de ce pays-continent. Qu’on le veuille ou non, la RD Congo tient autant aujourd’hui, si ce n’est plus, de l’Afrique australe et occidentale – et demain sans doute de l’anglophonie – que de l’Afrique centrale, de la belgitude et de la francophonie. C’est dire si les élections que la communauté internationale et les Congolais eux-mêmes vont y organiser seront à la fois historiques – les premières véritablement libres depuis l’indépendance – et à nulles autres pareilles. À elle seule, la ville de Kinshasa compte autant d’électeurs que le Bénin tout entier !
Rendez-vous capital, donc, pour lequel les motifs d’optimisme l’emportent de peu sur les raisons de s’inquiéter. De toutes leurs forces, les Congolais veulent voter, avec le sentiment qu’ils transgresseront ainsi quarante années de malheur et mériteront enfin une fierté nationale tant de fois bafouée. À la fin du règne de Mobutu, le maréchal prédateur, Zaïrois n’était plus synonyme de nationalité mais de profession – et quelle profession : trafic, combine, pillage. Depuis sa chute jusqu’à ce jour, Congolais égale misère, guerre, malheur. Comment sortir de ce que le cinéaste belge Thierry Michel a appelé « Le Cycle du serpent » si ce n’est en laissant le peuple choisir son propre destin ? Jamais, depuis la première consultation démocratique postapartheid en Afrique du Sud, il y a douze ans, une élection n’avait, sur le continent, été chargée d’autant d’émotion, de mythe et d’espoir.

Trop, peut-être. Et c’est pour cela que partout aussi, les craintes affleurent. Dans ce pays né de par la volonté criminelle d’un roi mégalomane dont les Belges n’ont pas fini d’expier le péché originel*, la tentation de la violence est partout présente. Aujourd’hui, de Kinshasa à Goma et de Kisangani à Lubumbashi, ces démons ont pour noms xénophobie, congolité, régionalisme, rejet des gens de l’Est ou de l’Ouest, lingalophones contre swahilophones. Pour discréditer son adversaire, le politicien congolais n’hésite pas, désormais, à le qualifier d’étranger, à exiger qu’il apporte la preuve de ses origines, voire qu’il exhibe les résultats de son ADN. Significatives d’une profonde crise d’identité, pareilles dérives nauséeuses semblent dérisoires au regard des enjeux – une nation à naître, un État à construire, une économie à développer, un peuple à sortir de la pauvreté – ; elles n’en constituent pas moins le quotidien de leaders d’opinion irresponsables et démagogiques. Le pire serait bien sûr qu’une jonction s’opère entre cet avatar bantou de l’ivoirité et la myriade de prophètes autoproclamés, de sectes millénaristes et de pasteurs avides qui ont poussé sur le terreau de la misère congolaise comme la mauvaise herbe après la pluie. Un scénario catastrophe que redoutent les responsables de la Monuc, la plus lourde et la plus coûteuse des opérations de l’ONU actuellement dans le monde, tant la religiosité est au Congo un volcan en sommeil et une force d’où risque de surgir le pire.
Chacun sait heureusement qu’à défaut d’être congolais Dieu ne peut choisir qu’un seul camp : celui de la paix. Quand le Congo s’éveillera, Dieu veuille donc que ce soit pour le meilleur

la suite après cette publicité

* À propos de la mise en coupe réglée du Congo par Léopold II, on lira le saisissant portfolio publié dans la dernière livraison de La Revue, le bimestriel du Groupe Jeune Afrique (mai-juin 2006).

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires