Un goût de faisandé

Publié le 25 avril 2006 Lecture : 2 minutes.

Le nouveau livre que Franz-Olivier Giesbert (FOG) consacre au président sous le titre balzacien Scènes de la vie politique* est un pavé dans la mare. Le journaliste abat brutalement son jeu et révèle le dessous des cartes. Il fait de l’anti-Alain Duhamel. Il substitue au journalisme de connivence l’enquête en rupture. où Duhamel ménage ses sources pour approfondir son information future, FOG met subitement les pieds dans le plat. Sans précaution, il lâche tout. Il déballe ses notes secrètes prises sur le vif quand les grands fauves méditent tout haut leurs coups bas, confessent leurs petites magouilles et, surtout, s’adonnent à leur péché mignon : le mépris. FOG, qui a la beauté du diable et le charme des séducteurs, a su capter leur confiance et les écouter dans ces moments où ils défont leur cuirasse et se croient pourtant invulnérables.

Jacques Chirac, qui est le principal sujet du livre, s’est-il livré avec candeur ? Probablement pas. En tenant des propos vachards sur tel ou tel, en livrant des épisodes de sa vie privée, il a tissé avec FOG des liens qui vont bien au-delà des relations formelles qu’entretiennent politiques et journalistes. Il en reste quelque chose dans ce livre. Sous l’apparence d’une charge brutale, d’un dévoilement indécent de la vie privée du chef de l’État, Chirac ne s’en sort pas si mal sous la plume de Giesbert. Après les assauts de cet Attila journaliste, qui massacre tout sur son passage, une tendre herbe verte repousse autour de Jacques Chirac. Au moins, lui n’est pas méchant. Il est comme la nature qui obéit aux lois de Darwin : prédateur par tempérament, indifférent par fonction, infidèle par nécessité, oublieux des bienfaits mais au fond bon gars, grand vieux jeune homme qui, dans son impétuosité de cavalier, s’est simplement trompé de costume : il a enfilé l’uniforme du général de Gaulle qu’il a confondu avec la queue-de-pie du président Queuille. Aussi, cet éreintement annoncé de Chirac qui pourrait sembler manquer de tact et d’élégance vis-à-vis d’un président en bout de course, frappé par la maladie, est-il, à la fin des fins, une sorte d’hommage à la Giesbert ? Au gant de crin. Au moins, Chirac est sympa. Brut de décoffrage, maladroit, incohérent, menteur, certes, mais bon garçon. []

la suite après cette publicité

Le paradoxe de ce livre, c’est que Giesbert adore le monde politique ; il l’aime pour les odeurs fortes qu’il dégage, ce goût faisandé d’intrigues, de bassesses, de prévarications, d’arrivisme, de méchanceté, de cynisme, où flotte, çà et là, un petit idéal fragile qui ne passera pas l’hiver. Cette humanité instinctive, rude, violente, il a pour elle cette attirance qui le pousse vers ces cochons lubriques qu’il a décrits dans son livre La Souille. FOG aime le faisandé. Il reprendrait volontiers à son compte la formule d’Édouard Herriot, grand gastronome en la matière, qui disait : « La politique, c’est comme l’andouillette, il faut que ça sente la m mais pas trop. »

* La Tragédie du président. Scènes de la vie politique (1986-2006), de Franz-Olivier Giesbert, éd. Flammarion, 414 pages, 20 euros.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires