Splendeur et décadence

Ses habitants et ses artistes font tout ce qu’ils peuvent pour sauver la face. L’ex-capitale de l’industrie minière est pourtant en piteux état.

Publié le 25 avril 2006 Lecture : 5 minutes.

Avec ses larges avenues ombragées, ses trottoirs bien entretenus, ses maisons coquettes, bordées de haies bien taillées d’où ruissellent parfois des grappes de fleurs colorées et odorantes, la ville respire la fraîcheur. Ici, la propreté est une obsession. Encouragés par leur maire, Floribert Kaseba Makunko, les Lushois mettent un point d’honneur à mettre leur cité en valeur. Pas ou peu de papiers par terre, ni de vieux sacs en plastique traînant dans les rues ou sur les terrains vagues. De quoi séduire le visiteur qui vient pour la première fois dans la capitale de la province du Katanga.
À première vue, Lubumbashi fait figure de ville tranquille. Mais ce calme n’est qu’apparent. Aux heures « chaudes », le centre bruisse de mille clameurs. Une foule de badauds s’agglutine autour des innombrables boutiques. Elles sont tenues par des Congolais, des Chinois – derniers arrivés dans le paysage déjà bien cosmopolite -, des Indiens ou des Libanais, même si ces derniers ont perdu du terrain au profit des « Asiatiques ». Véritables cavernes d’Ali Baba, elles regorgent de mille et une babioles. Pagnes, chaussures, vêtements, sacs s’entassent à côté des ustensiles ménagers, de la hi-fi et des appareils électroniques. Du pas cher, et pour cause, tout y est made in Asia !
Dans l’alimentaire, ce sont les Grecs qui tiennent le haut du pavé. Quand ils ne s’affairent pas dans les Hyper Psaro, leur chaîne de supermarchés, ils se réunissent en famille au Cercle hellénique. Un restaurant très kitsch orné de peintures murales évoquant des temples grecs ou le port du Pirée. Commerçants dans l’âme, installés de longue date dans le pays, ils s’approvisionnent en Afrique du Sud. À Lubumbashi, « Lshi » pour les intimes, l’Europe semble d’autant plus loin que la grande ville du sud de la RD Congo est la porte d’entrée de l’Afrique australe.
Ses petites villas proprettes, ses innombrables pancartes écrites en anglais – Katanga Fried Chicken, Fast Foods, King Food, Take Away, Public Phone – et son parc automobile constitué en grande partie de véhicules avec volant à droite lui donnent un petit air anglo-saxon. Les voitures sont importées d’Afrique du Sud ou d’Asie, venant souvent du Japon via le port tanzanien de Dar es-Salaam. La descente des passagers, qui s’effectue côté chaussée, constitue un vrai danger pour ceux qui ne sont pas avertis, souligne un Lushois qui a opté, lui, pour le made in Europe et circule fièrement au volant de son « cher » 4×4 flambant neuf qu’il a fait venir de Kinshasa par avion. Un luxe que bien peu de Lushois peuvent se permettre.
Outre l’activité commerciale, qui ne cesse qu’à la nuit tombée, Lshi abrite également une intense vie culturelle. La vitalité des arts de la rue est impressionnante. « Un héritage de l’industrie minière qui avait autrefois encouragé les mineurs à s’organiser en associations et en clubs culturels », explique Hubert Maheux, le dynamique coordonnateur de la Halle de l’étoile, alias l’espace culturel francophone. C’est à la Halle de l’étoile que se réunissent chaque jour tous les artistes en herbe ou confirmés. Puis les acrobates, fanfares, groupes de théâtre, de danse et de musique partent animer les rues, bars et restaurants, les centres d’exposition et de loisirs. Leurs spectacles rivalisent de qualité. Comme celui des Bana Manipala. Ces « enfants du terril de scories » font partie d’une association d’employés de la Gécamines, fondée en 1982. Pleins de verve et de talent, ils sont capables d’édifier des pyramides humaines de plusieurs dizaines de mètres de haut.
L’art contemporain – peintres, sculpteurs, artisans du cuivre et de la malachite – est tout aussi dynamique. Il bénéficie de la présence de l’Institut des beaux-arts dirigé par Séraphina Mbeya Nawej Matemb, une femme peintre, d’un musée (un vrai de vrai) et d’une galerie d’art contemporain. La musique est également très vivante. Si Lubumbashi est le fief des rappeurs, il est aussi le berceau des karindula – une musique des cités minières de Zambie revue et corrigée par les Katangais. C’est dans la commune de Kenya que cette dernière a ses plus grands fans. Des gosses et des femmes, qui ne se lassent pas d’écouter cette mélodie aux accents rauques – au départ destinée à animer les deuils – qui illumine leur quotidien. En la matière, le must est le groupe Bana Lupemba, animé par Djino Kodja. Un régal. La musique n’ayant pas de frontières, les amateurs d’opéra – le plus souvent issus de chorales religieuses – ne sont pas en reste. Ils doivent savoir qu’ici l’opéra se décline en swahili
De la splendeur minière passée de la région ne subsistent vraiment que l’immense terril et les usines peintes en bleu de la Société des terrils de Lubumbashi (STL), sise en plein cur de la ville. Force est de constater que l’industrie minière n’est plus ce qu’elle était. Elle a entraîné dans sa chute la plupart des autres industries. Il suffit de se promener dans la zone industrielle pour s’en convaincre. Seules sont encore debout les brasseries Bralima et Brasimba, Syntexkin, une des rares unités textiles du pays à tourner encore et qui s’approvisionne en partie auprès des plantations du Katanga, et quelques unités manufacturières.
Parfois, le terrain d’une entreprise défunte est occupé par un « minier ». Il s’agit d’une société-entrepôt qui stocke surtout l’hétérogénite, un amalgame de minerais de cuivre et de cobalt. Car les « creuseurs » ont pris le relais de l’industrie minière. Ces jeunes qui s’activent au fin fond de puits ou d’excavations pareilles à d’immenses fromages de gruyère constituent un spectacle impressionnant, notamment aux carrières de Ruashi, une commune mi-rurale dépendant de Lubumbashi. Ils seraient 4 500 dans cette seule commune et autour de 120 000 dans tout le Katanga. Une aubaine pour une grande partie des familles lushoises, qui vivent grâce à leur travail. Car, à part quelques emplois dans le commerce, les services et la fonction publique, le chômage est la règle générale.
Des tonnes d’hétérogénite partent de Lubumbashi, par camions entiers. Direction la Zambie, l’Afrique du Sud et la Tanzanie. Des expéditions souvent frauduleuses. L’extraction de la précieuse matière première, très recherchée actuellement, nourrit tout juste son homme. Mais son commerce enrichit nombre de négociants – ils seraient 350 dans la zone – avant de finir dans les usines zambiennes, indiennes et chinoises. L’activité des creuseurs est également lucrative pour certains membres de la police des mines, de l’Agence nationale de renseignements (ANR), de l’Office congolais de contrôle (OCC), des douanes et autres administrations nationales ou locales. Tout est prétexte à grappiller quelque chose, et il paraît que le cours du cobalt est à son plus haut niveau sur les marchés de Londres !
Mais ces temps-ci, les Lushois se plaignent moins de la « cueillette » dont leur secteur minier fait l’objet. Ils passent plus de temps à commenter les prochaines élections. Le Katanga n’est pas acquis à 100 % au président en place. Les « contre » y sont aussi actifs. La bataille électorale devrait être chaude.

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